Lire "Voyage autour de ma chambre", un texte ô combien d’actualité !

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Lire "Voyage autour de ma chambre", un texte ô combien d’actualité !

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Model of a bed room with white bed and orange armchairs
Model of a bed room with white bed and orange armchairs
© Getty

Culture Maison. Ce petit livre, devenu un des best-sellers du XIXème siècle, a été publié anonymement à Bruxelles en pleine Révolution française (1794) par Xavier de Maistre, frère du penseur contre-révolutionnaire Joseph de Maistre.

Emmanuel Laurentin, producteur du Temps du Débat, vous explique pourquoi Voyage autour de ma chambre (disponible en ligne sur Gallica, ou ici dans sa version numérisée) peut devenir un parfait manuel en temps de confinement, et reste de toute époque un classique très particulier.

Il est très-sûr, me disais-je, que les murs de ma chambre ne sont pas aussi magnifiquement décorés que ceux d’une salle de bal : le silence de ma cabine ne vaut pas l’agréable bruit de la musique et de la danse ; mais, parmi les brillants personnages qu’on rencontre dans ces fêtes, il en est certainement de plus ennuyés que moi.

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Au moment de la rédaction de ce récit, Xavier de Maistre, né d’une famille de Savoie, est alors militaire, assigné à résidence pendant quarante-deux jours à Turin, pour une affaire de duel interdit. Tel un dandy qu’il n’est pas, il décrit sa mise en quarantaine avec beaucoup de légèreté, y voyant l’occasion de se découvrir lui-même. Détestant la ligne droite, il privilégie le voyage en zig-zag dans un local exigu. Malgré son intention de gagner sa porte en diagonale, il rencontre son fauteuil en chemin : "je ne fais pas de façon, (…) c’est un excellent meuble qu’un fauteuil. Il est surtout de la dernière utilité pour tout homme méditatif."

Une ode à la méditation

Car son texte est une ode à la méditation, un plaidoyer pour l’indécision, une critique des planificateurs : même dans un espace contraint, l’imagination choisit de vagabonder, la mémoire nous joue des tours. Une chambre, si petite soit-elle, recèle des potentialités inconnues. Chacun des objets qui y a pris place devient une source de réflexion et de rêverie.

De Maistre écrit bien avant le romantisme officiel, mais toutes ses composantes sont déjà là : goût pour l’intimité, plaisir de se découvrir comme individu, capacité à l’imagination. Il ne veut pas "suivre les idées à la piste, comme un chasseur poursuit le gibier" mais "cultiver une âme ouverte à toutes sortes d’idées, de goûts et de sentiments." Ce Voyage autour de ma chambre se veut ainsi, de manière ironique, un manuel pour apprendre à faire voyager son âme toute seule, pour ainsi "doubler son existence".

La citadelle de Turin, où X. de Maistre fut assigné à résidence (gravure de 1682)
La citadelle de Turin, où X. de Maistre fut assigné à résidence (gravure de 1682)
© Getty - DEA PICTURE LIBRARY

Bien plus loin que les murs de sa chambre

Dans sa balade confinée, De Maistre décrit successivement son lit, "meuble délicieux", "théâtre qui prête à l’imagination", nettoie le cadre qui renferme le ravissant portrait d’une femme autrefois désirée, rapporte son dialogue avec son domestique, décrit sa chienne Rosine dont l’affection lui semble plus sincère que celle de nombreux amis qui se sont détournés de lui. Notre noble prend ainsi "des leçons d’humanité de (son) domestique et de (son) chien."

Xavier de Maistre est un homme de culture et peut donc disserter sur la musique de son temps, sur le talent du peintre Raphaël. Mais c’est surtout en frôlant sa bibliothèque qu’il peut décliner sa culture classique, depuis le "Paradis perdu" de Milton jusqu’aux personnages de Virgile. Un rêve lui permet même de faire dialoguer Platon, Périclès et Aspasie qui se moquent des étranges coutumes des femmes et des hommes des Lumières. Mais l’auteur du Voyage… ne se laisse pas impressionner par ces augustes critiques et y fait montre des curiosités des lettrés de son temps, comme la lecture des voyages de Cook qui conduisent bien plus loin que les murs de sa chambre turinoise.

Il doit pourtant la quitter un jour. Et ce jour-là, après quarante-deux nuits sans pouvoir en sortir, Xavier de Maistre célèbre les vertus de l’imagination, qu’il doit pourtant abandonner pour retourner aux affaires.

Xavier de Maistre
Xavier de Maistre
- Cyprien Jacquemin

Se penser comme individu

Ce texte ironique et léger est une parodie des récits de voyage qui ont remporté tant de succès avant la Révolution. Mais ce n’est sûrement pas la raison principale de son succès au XIXème siècle. Promeneur solitaire, Rousseau avait accompagné la naissance du moi au XVIIIème. Promeneur en chambre, Xavier de Maistre choisit un autre chemin pour conduire au même but : se penser comme un individu.

Pourquoi le lire encore aujourd’hui, alors qu’une bonne part des références convoquées et que le contexte des guerres révolutionnaires et de la chute de l’ancienne aristocratie, qui conduira de Maistre à s’engager pour le Tsar, nous échappent ?

Parce que ce livre court est disponible gratuitement dans ses éditions anciennes depuis chez nous sur le site de la BNF, Gallica.

Parce qu’il nous dit combien nous ne regardons plus notre décor quotidien, attiré par un monde extérieur constamment en expansion.

Parce que, malgré l’aristocratisme distant et désagréable parfois de son auteur, malgré la description d’un monde disparu, fait de domestiques et de duels, il nous rappelle que "le plaisir qu’on trouve à voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes".

  • Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre (1794), disponible en ligne sur Gallica ou ici dans sa version numérisée
À réécouter : Numéro 7. En appartement
L'Atelier intérieur
1h 00
Pas la peine de crier
59 min

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