Tribune. La surexposition des jeunes enfants aux écrans numériques est considérée par les pédiatres comme un problème de santé publique. Le chercheur au CNRS Michel Desmurget dénonçait dans Le Monde du 23 octobre 2019 le risque de « crétinisation digitale ». Mais qu’en est-il des enfants qui subissent l’hyperconnexion de leurs parents ?
Le bébé vient de voir affichée, sur le mur de la station de métro, une publicité montrant un sympathique labrador. Le petit cherche à communiquer son enthousiasme à sa mère par un gazouillis animé : il se redresse sur la poussette et lâche sa tétine. Il n’a pas encore l’âge de parler mais s’exprime avec les moyens du bord. La jeune femme lui fait face, le visage incliné vers son portable, qu’elle manipule de ses pouces agiles. Elle répond au bambin joyeux d’un sourire mécanique et replonge dans son écran. Alors le nourrisson s’éteint : son sourire s’affaisse, et l’étincelle de ses yeux s’évanouit, il s’enfonce dans son siège et tète à nouveau.
Un impact crucial
Cette scène observée réellement pourrait avoir un autre scénario. « Oh un chien ! aurait dit la maman. Et comment il fait le chien ? » « Waou ! Waou ! » auraient-ils aboyé tous deux en riant. « Et le chat, il fait comment le chat ? »… Ils auraient eu quelques instants de plaisir partagé, de langage, d’intelligence éveillée. Un bébé déçu de ne pas obtenir ce qu’il souhaite, est-ce si grave ? Lorsque ces occasions ratées se répètent trop souvent, des dizaines de fois par jour, elles se transforment en pertes.
Ces pertes évoquent ce que le psychanalyste André Green a conceptualisé sous le titre du « complexe de la mère morte » (nous dirions aujourd’hui le « complexe du parent mort »). Il a décrit par là les effets délétères de l’absence psychique du parent, quand, absorbé par sa propre dépression, il devient indisponible à son enfant. Il a montré les tentatives déçues de l’enfant qui tente en vain d’animer l’adulte et finit par renoncer en adoptant une position de repli et d’extinction des forces vives de sa personnalité.
Nous le savons, le début de la vie a un impact crucial sur le développement de l’enfant et son bien-être psychique à venir. Le plaisir partagé avec les parents participe à la vitalité psychoaffective du tout-petit et à la dynamique de sa pensée. Lorsqu’il communique avec son parent, lorsque le plaisir de l’échange est sincère et réciproque, le tout-petit jubile. Il se sent le pouvoir de toucher l’autre, et en sort renforcé. L’énergie qui circule dans les échanges bébés-adultes constitue comme un carburant pulsionnel qui irrigue tous les investissements de l’enfant, favorise ses aptitudes créatives, enrichit ses capacités relationnelles, construit son langage et accroît ses compétences intellectuelles.
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