Consulter des sites djihadistes : un nouveau délit contesté par les défenseurs des libertés

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Consulter des sites djihadistes : un nouveau délit contesté par les défenseurs des libertés

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© Sipa

Le seul fait de consulter de façon "habituelle" un site web faisant l’apologie du terrorisme est un délit depuis début juin, passible de deux ans de prison et 30.000 euros d’amende. Une disposition jugée "trop floue" et "inégalitaire" par un avocat qui a saisi le Conseil constitutionnel. Écoutez le.

Quel danger derrière le clavier ? La question agite les tribunaux depuis le mois de juin, et s’invite au Palais de justice de Paris ce vendredi, où comparaît un jeune homme de 29 ans soupçonné, entre autres, d’avoir consulté des sites web terroristes. De plus en plus de juges s’emparent du dossier, car un nouveau délit a fait son entrée dans le Code pénal : le délit de consultation de sites djihadistes. Le fait de consulter de façon "habituelle" des contenus faisant l’apologie du terrorisme suffit, sans autre preuve matérielle, à une condamnation, à savoir une peine maximale de deux ans de prison et 30.000 euros d’amende.

Extrait d'une vidéo sur le site www.stop-djihadisme.gouv.fr, lancé par le gouvernement français pour lutter contre la radicalisation.
Extrait d'une vidéo sur le site www.stop-djihadisme.gouv.fr, lancé par le gouvernement français pour lutter contre la radicalisation.
© AFP - JOEL SAGET

Une disposition qui ne concerne pas certaines professions : les enquêteurs évidemment, mais aussi les journalistes et les chercheurs. Cette loi serait donc "inégalitaire", instaurant deux catégories d’internautes, dénonce l’avocat nantais Sami Khankan. Il a déposé mi-septembre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour faire abroger ce délit au Conseil constitutionnel. Le texte est selon lui "trop flou, trop contre-productif, imprécis, il porte atteinte à la liberté de communication et à l’égalité des citoyens". Contre-productif, car cette loi pourrait remplir un peu plus les prisons, "foyer de radicalisation".

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"Cela devient politique et on essaie de faire des magistrats de nouveaux Nostradamus."

Sami Khankan (avocat nantais) : "Un texte trop flou, trop contre-productif."

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Sami Khankan pointe aussi du doigt l’impossibilité pour les juges de connaître les intentions précises de chaque internaute : "On essaie de faire des magistrats de nouveaux Nostradamus (…). Je ne pense pas que dans un pays des droits de l’homme comme la France ce soit quelque chose de possible, aucun homme n’est capable d’anticiper ce qu’un autre va faire demain. Cela devient des peines d’élimination, dans le sens où l’on veut mettre en dehors de la société, par peur du risque, tel individu pendant tant de temps."

"Un vrai problème de garantie des droits fondamentaux"

Ce texte "pose un certain nombre de problèmes", ajoute Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de la Quadrature du net, association de défense des libertés sur la Toile. "Ce délit part du principe que consulter des sites faisant l’apologie du terrorisme est une forme de participation à des actes de terrorisme, ou du moins une preuve, or ce n’est pas du tout aussi systématique et simple que ça (…). Là, c’est devenu un délit à part entière, ça nous pose un vrai problème de garantie des droits fondamentaux."

Adrienne Charmet : "Cela nous pose un vrai problème de garantie des droits fondamentaux."

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"C’est un élément important dans la lutte contre le terrorisme", défend Philippe Bas, président (Les Républicains) de la commission des lois du Sénat et ardent défenseur de cette mesure. Il en est à l'origine : "Ce n’est pas innocent de consulter habituellement des sites qui appellent au meurtre. C’est l’antichambre du terrorisme."

Philippe Bas (sénateur) : "C'est l'antichambre du terrorisme."

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Philippe Bas, sénateur Les Républicains et président de la commission des lois du Sénat.
Philippe Bas, sénateur Les Républicains et président de la commission des lois du Sénat.
© Maxppp - DANIEL FOURAY

Evoquée pendant le mandat de Nicolas Sarkozy en 2012, après les tueries de Mohammed Merah à Toulouse et Montauban, cette mesure était déjà très critiquée. Le Conseil d’Etat avait estimé à l’époque qu’un tel délit portait atteinte à la liberté de communication… En d’autres termes, consulter un site de propagande terroriste ne veut pas dire cautionner, voire inspirer de tels actes.

Cet avocat nantais veut donc prouver que cette loi est contraire à la Constitution. La Cour de cassation a trois mois pour transmettre, ou non, sa demande au Conseil constitutionnel.

Ecoutez aussi : Pourquoi ne coupe-t-on pas Internet à l’État Islamique ? (La Vie numérique)