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Manger de la viande sans culpabiliser, si elle vient de l’agriculture paysanne

Alors que le véganisme gagne du terrain en France et dans le monde, l’auteur de cette tribune explique pourquoi il s’oppose à cette « idéologie », « au nom de l’écologie et du droit à l’alimentation pour tous ».

Paul Ariès est l’auteur d’une Lettre ouverte aux mangeurs de viande qui souhaitent le rester sans culpabiliser (Editions Larousse).


Le véganisme a le vent en poupe avec le soutien actif des grands médias : qu’on songe à l’appel des 200 personnalités du show-biz en faveur des « lundis sans viande » ou à la consigne donnée par le Forum économique de Davos de consommer moins de viande. Tout cela semble joli mais repose sur l’instrumentalisation de bons sentiments… Nous avons donc décidé de construire une réponse collective face aux dangers du véganisme. Le collectif No-Vegan est une initiative d’éleveurs, de professionnels des métiers de bouche, de mangeurs, de chercheurs qui estiment indispensable d’arracher son masque à cette idéologie, au nom de l’écologie et du droit à l’alimentation pour tous.

C’est bien en tant qu’écolos que nous avons choisi de publier la Lettre ouverte aux mangeurs de viande qui souhaitent le rester sans culpabiliser et de relayer l’appel lancé du côté producteurs, par la Confédération paysanne, le Modef, Nature et Progrès, Biolait, etc., et du côté des consommateurs par Slow food, les Amap, etc. appel signé également par de nombreux députés France insoumise, Parti communiste français, élus Europe Écologie Les Verts, Génération.s, des personnalités de l’écologie et de l’altermondialisme comme Fabrice Nicolino, Jacques Testart, etc.

C’est bien au nom de l’écologie que nous dénonçons la dépolitisation de la question agricole. Non, la faim dans le monde n’est pas la conséquence d’un régime alimentaire, la responsabilité incombe à la privatisation du vivant, au vol des terres, à la casse de l’agriculture vivrière, au gaspillage alimentaire, aux choix technologiques et financiers effectués au nom de la course au profit maximal. Non, l’élevage n’est pas en soi responsable du réchauffement climatique, puisqu’une prairie avec ses vaches est un puits et non une source de carbone. Non, l’élevage n’est pas en soi responsable de la crise sur l’eau potable et dire qu’il faut 15.000 litres d’eau pour produire un kilogramme de bœuf est à la fois vrai et faux, car 3 % seulement de cette eau est réellement consommée, 3 % servent à l’assainissement, tandis que 94 % sont de l’eau verte qui reste dans les herbages.

Prétendre interdire tout élevage, y compris paysan, est soit totalement stupide soit intéressé

La vraie opposition n’est donc pas entre protéines animales et végétales mais entre, d’un côté, production industrielle de protéines végétales et animales et, d’un autre côté, agriculture paysanne et élevage fermier. Les « lundis sans viande » ne sont pas, pour cette raison, nécessairement plus écolos, tout dépend quelle viande on supprime et par quoi on la remplace. C’est pourquoi nous militons pour des « journées 100 % viandes et végétaux issus de l’agriculture et de l’élevage paysans ».

Libre à chacun, bien sûr, de ne pas vouloir manger de viande, de fromage, de lait, et le végétarisme/végétalisme de choix de vie ne nous dérange nullement, mais prétendre interdire tout élevage, y compris paysan, est soit totalement stupide soit intéressé ; L’agriculture végane serait incapable de nourrir huit milliards d’humains et la seule solution pour remplacer le fumier animal serait toujours plus d’engrais chimique, de produits phytosanitaires, bref tout ce qui détruit la terre, l’humus et les insectes. La plus grande hécatombe animale ne concerne pas la viande d’élevage mais les vers de terre. L’agriculture végane risque fort d’être le cheval de Troie des biotechnologies alimentaires, dans le domaine de l’élevage, avec la production de faux laits, de faux fromages, de fausses viandes, fabriquées, par exemple, à partir de cellules souches. Le lobby pro-fausses viandes réunit les plus grands PDG de la planète, comme Bill Gates, Sundar Pichai (Google), Richard Branson (Virgin), etc.

La situation animale n’en serait pas pour autant améliorée, puisque l’agriculture tue beaucoup plus d’animaux que l’élevage (25 fois plus pour la production de blé), tout jardinier sait qu’il faut éliminer les limaces pour pouvoir manger des salades. Les véganes les plus conséquents admettent que la prédation humaine (alimentation carnée) n’est qu’une goutte d’eau dans l’ensemble de la prédation, c’est pourquoi ils proposent de modifier génétiquement, voire de supprimer les espèces prédatrices, au nom d’une nature aseptisée, d’un refus revendiqué de la biodiversité animale.

Tout oppose les écolos et les antispécistes véganes du point de vue de la pensée

Si je suis anti-végane, c’est d’abord pour défendre le droit à la vie des animaux d’élevage et domestiques ! Tout oppose les écolos et les antispécistes véganes du point de vue de la pensée ; les écolos pensent en termes de protection des espèces et des écosystèmes, de défense des droits de la terre, alors que les véganes, conséquents avec les prémisses de leur système, pensent en termes d’individus, de réduction de la biodiversité animale, etc. Les véganes ne sont pas du côté de la méfiance envers les biotechnologies mais d’une foi béate dans la technoscience salvatrice, le bon Aymeric Caron refuse, par exemple, de condamner tous les OGM ou la viande cellulaire, il fait l’éloge du transhumanisme, de l’intelligence artificielle, il appelle même, dans son dernier ouvrage, à remplacer la démocratie politique, nécessairement imparfaite puisque les humains sont imparfaits, par le recours à l’intelligence artificielle…

Ces thèses sont sérieuses, mais elles sont tout, sauf écolos, sauf humanistes… Le prototype d’une ferme bio a toujours été et restera toujours une ferme polyvalente avec de l’élevage et de l’agriculture, une ferme qui produit à la fois des légumes, des fruits, de la viande, du lait, mais aussi de la bonne terre. J’appelle les défenseurs du bien-être animal à rejoindre la mobilisation en faveur de l’abattage sur place, dont le slogan « naître, vivre et mourir à la ferme » constitue un pied de nez à l’industrialisation monstrueuse de la production des protéines animales. Ce serait bon pour les animaux, pour les éleveurs, pour les personnels des abattoirs mobiles, pour les mangeurs, pour la défense des écosystèmes et de la biodiversité.


  • Lettre ouverte aux mangeurs de viande, de Paul Ariès, éditions Larousse, janvier 2019, 180 p., 9,95 €.
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