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Billet de blog 3 avril 2016

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Eric Fassin, de la police des idées, menotte Kamel Daoud.

Il n’est jamais sain que la lumière qui révèle le réel soit mise en accusation dès qu’elle dérange. De même qu’il n’est jamais sain que soit instrumentalisé le réel pour lui faire dire autre chose que ce qu’il est. Dans les deux cas, sévit une police des idées.

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Il n’est jamais sain que la lumière qui révèle le réel soit mise en accusation dès qu’elle dérange. De même qu’il n’est jamais sain que soit instrumentalisé le réel pour lui faire dire autre chose que ce qu’il est. Car ceux qui l’instrumentalisent, en fait, n’ont pour but que de nourrir par tromperie la politique du pire. Nous parlant d’autre chose, ils enfument les esprits pour mieux entretenir les peurs où s’alimente leur clientèle. Ceci est une affaire entendue.

Celle qui l’est moins, entendue, c’est l’affaire de ces intellectuels qui, sous prétexte de combattre ceux qui instrumentalisent le réel, voudraient, souhaitant que ce réel qui les dérange n’existât pas, et ils ont leurs raisons, mais celles ci nous importent peu, s’en prennent à celles ou ceux qui ont osé parler du réel au plus près de ce qu’il est.

Fassin, dans son article du 1er avril sur Mediapart*,  est de ce nombre sur la question des évènements de Cologne. Appliquant les règles de « L’art d’avoir toujours raison » vantées par Schopenhauer, (Edition Librio. 2 €, ce n’est pas cher pour pouvoir mieux tordre le débat), il inverse chaque argument à démolir, croyant ainsi leurrer ses lecteurs.

On aurait opposé le féminisme à l’antiracisme, nous dit-il d‘entrée de jeu. Belle manœuvre pour nous dire que l’analyse féministe des évènements de Cologne n’a pas lieu d’être. Car, en effet, qui oserait soutenir une cause qui s’oppose à l’antiracisme. Donc, si féminisme = racisme, exit l’analyste féministe ! C’est la thèse de Fassin.

De même, dire que les opposer « n’a de sens que dans une perspective culturaliste », qu’est-ce d’autre que de poser en postulat un point auquel on donne un sens qui qui n'est qu'un contre-sens.  Car, rajouter que « la culture n’est pas tant la cause que l’enjeu de la violence », qu’est-ce d’autre que de vouloir faire croire que dans l’affaire de Cologne, culture et violence ne sauraient être retenues conjointement, mais qu’il faudrait les dissocier. Pour mieux les effacer.

La manipulation, pour être grossière, ne s’arrête pas là. Le mot « culture » n’est pas assez chargé. Il est encore trop positif.  Alors, Fassin y associe un concept d’une charge bien plus lourde, un concept sur lequel a été posé par une certaine pensée française un oukase dominant. Celui de « conflit des civilisations ». Et d’écrire « On fera l’hypothèse d’un ‘’terrorisme sexuel’’ mettant en scène le ‘’conflit des civilisations’’ ».

Feignant de nous faire croire que, parmi les explications avancées sur Cologne, celle de la différence culturelle entre européens et maghrébins, portant notamment sur la vision de la femme, de la vie familiale et conjugale, sur la façon d’être dans l’espace public, ressortirait du conflit de civilisations.

Avec toute ces arguties, Fassin veut seulement recouvrir la parole de celles et ceux dont l’analyse des évènements de Cologne a retenu parmi les explications possibles celles qui tiennent à la fois du fait culturel lié aux agresseurs, à une certaine culture musulmane, mais aussi aux conditions dans laquelle tombent tout immigré ou réfugié en Europe, un accueil non préparé et non accompagné, sources de problèmes multiples.

Reconnaître que c’étaient des arabes qui avaient participé à la nuit de Cologne est pour lui tout simplement  l’affirmation de « stéréotypes ». « Des arabes, ce sont des arabes » « on vous l’avait bien dit », fait-il dire à on ne sait trop qui. Pour préciser, « Le fait prenait valeur d’explication : si les arabes commettent des violences sexistes, c’est parce qu’ils sont arabes », rajoutant  « ou encore, c’est parce qu’ils sont musulmans ».

Et, au premier rang de celles et ceux qu’il veut faire taire, il met Kamel Daoud.  « Qui a suscité la controverse » dit-il, sans préciser que la controverse était en fait venue d’une camarilla d’intellectuels français n’ayant pas supporté l’analyse de ce dernier des évènement de Cologne, l’analyse d’un écrivain algérien, prix Goncourt du Premier roman pour son « Meursault, contre-enquête », plus fine et appropriée que la leur.

Les mots, les phrases, qu’il reproche à Daoud, sortis d’un texte qui disait beaucoup, ne signifient que ce que Fassin veut bien leur faire dire, c’est à dire le contraire de ce qu’elles disaient.  Comment peut-on etre enseignant en sciences politiques et se montrer d’aussi mauvaise foi.

Pourtant, Daoud, victime en Algérie de menaces de mort par « les barbus », doit un peu mieux connaître que Fassin ce dont il parle, ce qu’emporte avec lui l’immigré arabe ou musulman en Occident, sa culture, sa religion, aux antipodes de ce qu’est la culture occidentale avec une pratique sociale libérée et ses religions essentiellement réservées à la sphère privée.

Comme l’a écrit Fawzia Zouari, écrivaine franco-tunisienne, dans Libération**, « Kamel Daoud a eu le tort de pointer sans détours les travers des siens. Plus précisément, il a expliqué que les harcèlements sexuels perpétrés à Cologne par des personnes d’origine arabo-musulmane découlent d’une tradition qui n’a eu de cesse de contrôler la sexualité et de condamner à la frustration ses jeunes ». « Branle-bas dans les rangs des bien-pensants et avocats d’office des musulmans ! » continue-t-elle.

Pour mieux ostraciser Daoud, Fassin rapproche les propos de ce dernier de ceux d’une féministe allemande : « L’argument résonne avec celui de la féministe allemandeAlice Schwarzer, connue pour sa critique d’un antiracisme qu’elle juge « politiquement correct ». Fassin professeur d’amalgames, il faut apprécier.

Mais voilà ce qu’a répondu par avanceFawzia Zouari à Fassin, en ayant répondu à ceux sur qui s’appuie Fassin, ses affidés de « la confrérie des sociologues » qui avaient dans Le Monde ostracisé Daoud.

« Qui, des signataires du Monde, pourrait démentir que la plupart des sociétés arabes vivent dans un puritanisme outrancier et une grande misère sexuelle ? Les femmes y sont obligées d’arriver vierges au mariage, et les garçons célibataires sont rendus fous par la frustration. La loi religieuse, appuyée souvent par la loi civile, ne permet pas à un homme ni à une femme d’avoir une relation physique avant le mariage. Encore faut-il que celui-ci soit possible en ces temps de crise et de chômage… Ce sont là des réalités concrètes, et non des idées. Et ce n’est pas mentir ni insulter que de dire, oui, le musulman réfléchit souvent de la même façon et agit avec le même réflexe. Oui, le concept de oumma recouvre l’adhésion à des certitudes dogmatiques aujourd’hui plus que jamais attestées sous le voile et le qamis. Oui, il y a une psychologie de la foule arabe. Oui, les femmes sont perçues chez nous comme des corps à cacher. Oui, il y a, dans nos sociétés, un rapport pathologique à la sexualité induit par la morale religieuse. Oui, il y a une forme de racisme qui considère qu’on peut violer une juive ou une chrétienne parce qu’elle vaut moins qu’une musulmane. Oui, les intégristes sont dans la culture de la mort. Oui, les réfugiés en Europe doivent recevoir une éducation à l’égalité des sexes. Oui, il faut leur mettre un traité de laïcité dans la main. Leur enseigner le respect des femmes des autres religions. Des femmes tout court ».

La citation est longue. Mais elle répond si bien à Fassin, qui, non content de l’amalgame ci dessus mis en lumière, en multiplie l’usage, et, incapable de s’en tenir à son sujet, tout entier pris par son délire de dénoncer, mêle à sa diatribe les noms de Valls, de Sarkozy, les viols de la mission Sangaris en Centrafrique, les tournantes de banlieues, le « date rape » américains, etc.

Tout ça pour finir en fait par conclure : « Dans ce contexte, expliquer, ce n’est pas excuser ; mais c’est choisir son camp ».

Vous l’aurez compris. Il faut choisir un camp. Le voilà le problème des Fassin et affidés. Les idées avec eux ne passent pas par le débat. Elles passent par l’excommunication. Comment défendraient-ils leur église, leur secte, contre ceux qui s’arrogent le droit de ne pas penser comme eux, de penser librement en dehors d’eux.

Fawzia Zouari et Boualem Sansal, autre écrivain, lui algérien, leur a répondu de belle façon.

« Daignez donc, Messieurs Dames, reconnaître que les Kamel Daoud peuvent remettre en question votre savoir universitaire », a écrit la première.

Le second a écrit,  lui aussi dans Libération*** : « Le danger pour Daoud, il a du talent, il sait appeler les choses par leurs noms et dire où elles se trouvent, cela en fait une cible de choix. Les lanceurs de fatwas et les censeurs les plus émérites, mais aussi les seconds couteaux, les jaloux, les faux amis et les superagents de la police de la pensée, tapis dans les hautes structures de la culture et de l’information, se mobilisent pour l’abattre ».

Fassin se reconnaitra-t-il dans ces mots ? Vraisemblablement pas. Mais vous, qu’en pensez vous ?

·      https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/010416/apres-cologne-le-piege-culturaliste

**   http://www.liberation.fr/debats/2016/02/28/au-nom-de-kamel-daoud_1436364

***  

http://www.liberation.fr/debats/2016/03/23/kamel-daoud-ou-le-principe-de-deradicalisation_1441546

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