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Le véganisme mérite mieux que l’insulte

Dans une tribune publiée sur Reporterre, Paul Ariès critiquait l’« idéologie » du véganisme et s’en prenait nommément à Aymeric Caron pour son engagement antispéciste. Ce dernier a accepté de répondre par une autre tribune.

Aymeric Caron est journaliste, écrivain et auteur de Antispéciste, No Steak, et Vivant.

Aymeric Caron.

Lorsque Hervé Kempf m’a appelé, en début de semaine, pour me demander si j’accepterais de répondre à une tribune de Paul Ariès publiée dans Reporterre, j’ai hésité. Ma première envie a été de décliner la proposition. Je ne souhaitais pas passer deux heures de mon temps bénévole à répondre à une nouvelle provocation du pourfendeur de véganes. Cela fait des semaines que, s’appuyant sur la publication d’un pamphlet, il répand sa haine à notre égard dans les médias. Les attaques de Paul sont si outrancières, si caricaturales, si mensongères, si malhonnêtes, qu’elles ne méritent finalement que l’indifférence. Il faudrait le laisser vociférer, comme on laisse vociférer un inconnu qui hurle des obscénités dans la rue.

Mais j’ai de l’affection pour Hervé Kempf et pour le si utile Reporterre. Par ailleurs, je venais de recevoir sur Twitter un message d’un follower végane excédé me demandant si on ne pourrait pas attaquer Paul Ariès en justice pour diffamation, preuve que le nouveau héraut des lobbies de la viande commence à exaspérer sérieusement quelques défenseurs des droits des animaux. Alors, m’y voilà. Mais par souci d’efficacité, je vais simplement me plonger dans le texte de Paul Ariès et apporter à quelques phrases ou paragraphes les commentaires nécessaires.

L’antispécisme est un courant philosophique très argumenté 

Paul Ariès : « Le véganisme a le vent en poupe avec le soutien actif des grands médias. »

Ah bon ? Les grands médias soutiennent le véganisme ? Ils en parlent, certes, mais est-ce vraiment pour le soutenir ? Allons Paul, prenez un thé, détendez-vous, beaucoup des grands médias sont encore hostiles au véganisme, et se montrent moqueurs, inquiets, condescendants à notre égard, tout comme vous. J’ai par ailleurs remarqué que BFM Business, le Figaro et l’Humanité ont fait un joli accueil à votre ouvrage anti-véganes, alors qu’ils n’ont à ma connaissance jamais parlé de mes livres.


Paul Ariès : « Tout cela semble joli mais repose sur une instrumentalisation de bons sentiments. »

Non, pas des bons sentiments, juste du bon sens. Alors qu’un rapport de Greenpeace rappelle que 71 % des terres agricoles européennes servent à cultiver la terre pour nourrir le bétail, il est établi depuis longtemps que l’élevage est responsable d’une part considérable des émissions de gaz à effet de serre (gaz carbonique, protoxyde d’azote, méthane).


Paul Ariès : « Non, l’élevage n’est pas en soi responsable du réchauffement climatique, puisqu’une prairie avec ses vaches est un puits et non une source de carbone. »

Un dédouanement simplificateur et déconnecté de la réalité. Toujours selon le dernier rapport de Greenpeace, seule la moitié des terres utilisées pour nourrir le bétail sont dédiées au pâturage, et parmi elles les terres à haute valeur écologique ne nourrissent que 20 % des bovins et 4 % des vaches laitières de l’Union européenne. Le reste subit des fertilisations régulières d’engrais polluants.


Paul Ariès : « Prétendre interdire tout élevage, y compris paysan, est soit totalement stupide soit intéressé. »

Paul, vous n’avez visiblement jamais lu un livre sur l’antispécisme que vous critiquez tant, ou vous n’avez pas bien compris. Les antispécistes, et donc de nombreux véganes (antispécisme et véganisme sont liés, mais ne désignent pas la même réalité), souhaitent en effet la fin de toute forme d’exploitation animale, et donc la fin de l’élevage. Sont-ils « intéressés » ? Cela semble difficile à croire. Aucun lobby économique ne repose pour l’instant sur l’antispécisme (contrairement à l’élevage, qui est avant tout une question financière), et les véganes font un choix personnel dont ils ne retirent aucun bénéfice autre que sanitaire et moral. Les anti-viandes seraient donc « stupides » ? Paul, vous faites semblant de ne pas comprendre que l’antispécisme est un courant philosophique très argumenté qui explique que l’appartenance d’un individu à une espèce autre qu’humaine n’est pas un critère satisfaisant pour justifier l’exploitation, la torture ou la mise à mort de cet individu. On peut ne pas adhérer à cette philosophie partagée par de nombreux penseurs occidentaux et orientaux, mais traiter ses adeptes d’abrutis, sans autre forme d’argumentation, relève d’un aveu d’impuissance intellectuelle. Paul, vous adorez vous livrer à l’insulte, et cela ne cesse de m’étonner de la part d’un homme qui m’a tant intéressé lorsqu’il évoluait parmi les éclaireurs de la nécessité de décroissance économique.


Paul Ariès : « L’agriculture végane serait incapable de nourrir huit milliards d’humains. »

Allons donc. De plus en plus fort dans l’intox. Il faut entre 3 et 11 ou 12 calories végétales pour obtenir une calorie animale (oui, les animaux doivent bien manger des végétaux pendant leur courte vie avant qu’on les tue pour les transformer en steaks). Un enfant de cinq ans comprendra donc qu’on nourrit plus facilement l’humanité avec des végétaux qu’avec de la viande, surtout lorsque l’on sait (voir plus haut) que les terres agricoles sont malheureusement monopolisées par l’élevage. C’est au contraire la viande qui rend problématique l’approvisionnement en nourriture de l’humanité : la FAO prévoit que, si nous ne changeons rien à nos habitudes, la consommation de viande dans le monde pourrait doubler d’ici 2050, en raison de l’accroissement de la population et des changements alimentaires des pays émergents. Mais nous n’avons pas les terres nécessaires pour faire face.


Paul Ariès : « L’agriculture tue beaucoup plus d’animaux que l’élevage (25 fois plus que pour la production de blé). »

 
 ???? Je relis. Je ne comprends toujours pas. L’élevage n’est-il pas une partie de l’agriculture ? Peut-être s’agit-il d’une erreur sémantique. Peut-être faut-il comprendre que la culture de végétaux tue plus d’animaux que les 70 milliards d’animaux terrestres élevés chaque année pour nous nourrir, et qui ont eux-mêmes été nourris aux végétaux ? Je ne réponds même pas.

L’antispécisme est le nouvel humanisme, c’est-à-dire le souci d’autrui, étendu aux animaux non humains sensibles

Paul Ariès : « Tout oppose les écolos et les antispécistes véganes du point de vue de la pensée. »

Faux. L’antispécisme est l’écologie du XXIe siècle. Cette pensée s’inspire d’écologistes comme Élisée Reclus, Théodore Monod et, bien sûr, Peter Singer. L’antispécisme s’oppose en revanche à l’écologie superficielle, dont se réclame Paul Ariès, laquelle n’a pas encore intégré les récents apports de la science qui a démontré que tous les animaux non humains sensibles sont des individus, dont certains sont même très proches des humains.


Paul Ariès : « Ces thèses sont sérieuses, mais elles sont tout, sauf écolos, sauf humanistes… »

Il y a ici confusion entre humanisme et anthropocentrisme. L’antispécisme est le nouvel humanisme, c’est-à-dire le souci d’autrui, étendu aux animaux non humains sensibles.


Paul Ariès : « Le bon Aymeric Caron refuse, par exemple, de condamner tous les OGM ou la viande cellulaire, il fait l’éloge du transhumanisme, de l’intelligence artificielle, il appelle même, dans son dernier ouvrage, à remplacer la démocratie politique, nécessairement imparfaite puisque les humains sont imparfaits, par le recours à l’intelligence artificielle… »

Voilà que Paul parle de moi, en m’affublant d’un adjectif dont on ne peut ignorer la portée ironique. Sacré Paul. Tu ne peux pas t’empêcher d’être taquin. Non, je ne fais pas l’éloge du transhumanisme et de l’intelligence artificielle, décidément tu lis bizarrement. Dans mon ouvrage Vivant, je fais simplement le constat de leur développement et j’écris même : « Nous avons des raisons de nous inquiéter. » En revanche, j’appelle à puiser le meilleur de ces technologies, en créant le cadre pour les contrôler, et j’imagine le concours que des logiciels de calcul adaptés pourraient apporter à l’analyse de questions politiques. Je n’ai jamais, jamais, écrit quelque part que je souhaitais remplacer la démocratie politique des humains. Dans mon livre Utopia XXI, je consacre même de longues pages à imaginer comment impliquer pleinement les citoyens dans les prises de décisions politiques et dans la gestion des cités et des régions. Toutefois, je te confirme avoir écrit que les humains sont imparfaits dans l’analyse. Merci, par tes écrits, de me donner raison.



Tiens, je me rends compte que je tutoie, Paul. Désolé de la familiarité soudaine, j’imagine que nous sommes devenus plus proches, à force de dialoguer. Sur ce, il est tard, je vais me coucher. Sous ma couette 100 % végane, sans plume de canard. Un jour, Paul, je t’expliquerai pourquoi. J’espère que tu ne m’insulteras pas.

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