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« Panama papers » : ces grandes sociétés françaises qui profitent du système offshore

Les documents révélés par « Le Monde » et ses partenaires lèvent le voile sur les montages financiers dans des paradis fiscaux utilisés par certaines sociétés françaises.

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Publié le 24 mars 2016 à 19h52, modifié le 06 avril 2016 à 17h13

Temps de Lecture 7 min.

L'immeuble où se situent les bureaux de Mossack Fonseca à Panama, le 3 avril 2016.

Le développement de grandes sociétés françaises passe par les paradis fiscaux. C’est l’un des enseignements du scandale des « Panama papers ». Dans l’immense base de documents internes de la firme panaméenne Mossack Fonseca, l’un des plus grands fournisseurs mondiaux de sociétés offshore, on retrouve les noms du leader européen de l’événementiel GL Events, des pétroliers Maurel & Prom et Geopetrol ou encore du groupe Apsys, grand promoteur de centres commerciaux en Europe.

Ces montages ont-ils servi la stratégie d’optimisation fiscale de ces sociétés ? Ont-ils offert un paravent bienvenu pour des activités et des partenariats qui devaient rester discrets ? Ou correspondent-ils tout simplement à des pratiques routinières dans l’économie mondialisée ?

Si toutes assurent être dans la légalité, les réponses de trois des entreprises dont les montages ont été examinés par Le Monde sont rarement à la hauteur des questions qu’ils soulèvent.

Contourner les règles pour s’implanter à Dubaï

Les locaux de la Générale Location à Brignais en 2000.

C’est grâce à une société offshore que la société lyonnaise GL Events a franchi la première marche de son internationalisation, qui lui permet aujourd’hui de revendiquer le statut de leader européen de l’événementiel, avec presque 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et près de 4 000 employés répartis sur les cinq continents.

Fondée en 1978 à Lyon par Olivier Ginon, l’entreprise, qui s’appelle encore Générale Location (GL), décide à la fin des années 1990 de s’implanter à Dubaï – ce qui n’est pas une mince affaire pour une société étrangère dans ce petit émirat pétrolier bardé de règles ultraprotectionnistes. Sa filiale GL Events Middle East ne possède en effet aucune licence pour exercer des activités sur place.

En janvier 1997, elle fait donc l’acquisition de la société offshore Eastern Exhibition Services Limited, créée quatre ans plus tôt aux îles Vierges britanniques par un Anglais installé à Dubaï. « Cette société avait la licence d’exploitation pour travailler à Dubaï », explique l’actuel directeur financier de GL Events, Erick Rostagnat. En outre, poursuit-il, passer par une société offshore permettait à GL de « garder le contrôle de l’entité en restant majoritaire à hauteur de 100 % du capital, ce que ne permettait pas ex nihilo la réglementation locale pour les étrangers » qui imposait un ratio de capitaux émiratis. Grâce à cette société, GL Events décroche l’organisation de salons et soirées de prestige à Dubaï, et même celle du championnat du monde de parachutisme en 2012.

Si GL Events n’a jamais caché l’existence de cette filiale offshore, qui figure dans ses rapports annuels, M. Rostagnat assure qu’elle s’en est débarrassée « dès qu’elle a pu » – signe de la fébrilité provoquée par le simple mot d’« offshore ». Les « Panama papers » confirment que la société Eastern Exhibition Services Limited a bien été liquidée en novembre 2014, dix-sept ans après son acquisition. Un délai qui s’explique en premier lieu par une restructuration récente des activités de GL Events : elle mène désormais ses activités au Moyen-Orient grâce à trois filiales implantées directement dans une zone franche de Dubaï qu’elle peut détenir à 100 % grâce à une réforme de la réglementation émiratie en 2011 et qui disposent de nouvelles licences d’exploitation.

Mais ce délai est également l’un des revers des actions au porteur, qui permet au détenteur d’actions de rester anonyme, une pratique opaque encore routinière il y a peu de temps dans toutes les juridictions offshore. Plutôt que de libeller directement les actions d’Eastern Exhibition Services Limited à son nom, GL Events a en effet conservé les actions anonymes de la société, enregistrées par le premier propriétaire de la société dans un souci de discrétion. Prévenue trop tardivement de l’interdiction des actions au porteur dans les îles Vierges britanniques au 31 décembre 2010, GL Events a vu ses actions offshore gelées pendant plus de deux ans avant de pouvoir se mettre en conformité avec la réglementation et enfin pouvoir se « débarrasser » de sa société offshore, selon le mot d’Erick Rostagnat.

Financer des centres commerciaux en France et en Pologne

Le stand d'APSYS au marché international professionnel de l'immobilier de commerce (Mapic), à Cannes, le 17 novembre 2010.

Maurice Bansay, en bon capitaine d’industrie, ne souhaite en aucun cas que l’on porte préjudice à Apsys, cet empire immobilier à « la réussite remarquable » qui a bâti ou réhabilité, depuis 1996, 28 centres commerciaux en France et en Pologne, dont le célèbre Beaugrenelle dans le 15e arrondissement de Paris. « Il est impossible que mes opérations aient été financées par de l’offshore », commence par assurer le promoteur, 210e fortune française selon le dernier classement du magazine Challenges.

Les « Panama papers » montrent pourtant que plusieurs millions d’euros ont transité par des juridictions offshore pour financer une partie du capital d’Apsys et plusieurs projets de centres commerciaux du groupe. Après quelques jours de recherches, M. Bansay a fini par se souvenir des divers accords signés entre 2003 et 2009 avec son associé Gabriel Safdié, un banquier genevois d’origine brésilienne familier de l’offshore, qui a fait transiter ses fonds vers la France en passant par les îles Vierges britanniques, le Panama et le Luxembourg.

C’est par ces montages complexes que M. Safdié a, en 2003, acquis 22,6 % du capital d’Apsys International SA et ouvert, dans la foulée, une ligne de crédits de 15,2 millions d’euros pour financer sept centres commerciaux en France et en Pologne. Maurice Bansay assure au Monde que seuls 3,8 millions d’euros ont finalement été utilisés par Apsys pour ses opérations, tout en refusant de préciser lesquelles en ont bénéficié.

L’une des sociétés luxembourgeoises de Gabriel Safdié, baptisée Avisan, a également prêté en 2005 16 millions d’euros au groupe Apsys pour pouvoir racheter sa participation minoritaire dans Centrum NS, une société luxembourgeoise propriétaire du centre commercial Manufaktura, à Lodz, en Pologne.

Dans chacun de ces épisodes, Maurice Bansay assure n’avoir eu affaire qu’aux structures luxembourgeoises de Gabriel Safdié. Pourtant, sa signature figure bien sur un contrat signé en 2006 avec l’une des sociétés offshore de Gabriel Safdié, Alto Park Properties SA, enregistrée aux îles Vierges britanniques.

Le patron d’Apsys se contente de renvoyer vers les explications de Gabriel Safdié sur la provenance de ses fonds. Le banquier genevois assure qu’il est « d’usage », pour les résidents fiscaux brésiliens, « de réaliser ses investissements par l’entremise de sociétés offshore ». Il assure que « l’interposition d’une société offshore permet de simplifier les formalités, de manière parfaitement conforme à la législation brésilienne ».

Rien d’illégal, a priori, dans ces circuits, mais le recours de M. Safdié à des mécanismes de dissimulation comme des prête-noms ou des actions au porteur pour ses sociétés offshore a de quoi poser question. L’homme argue de « réflexes » hérités de sa jeunesse sous la dictature brésilienne, où la discrétion était une « une nécessité de survie ».

Un état d’esprit qu’il a pu perpétuer en Suisse, où sa société de gestion d’actifs Safdicorp est devenue une actrice de premier plan des montages offshore. Les « Panama papers » font apparaître quelque 150 structures administrées, enregistrées ou possédées par Safdicorp auprès de Mossack Fonseca – parmi lesquelles on retrouve les trois sociétés offshore qui ont indirectement financé Apsys.

Investir dans l’exploration pétrolière

A l’époque où la société d’exploitation pétrolière Geopetrol a ouvert une filiale au Panama, en 2002, il était difficile de deviner qu’on y découvrirait neuf ans plus tard d’importantes réserves d’or noir. Ce qui a motivé le recours de la société française aux services de la firme panaméenne Mossack Fonseca est plus probablement l’environnement réglementaire pour le moins léger de ce petit paradis fiscal d’Amérique centrale. En 2002, le groupe Geopetrol a acquis 40 % des parts de la société offshore panaméenne Goldpetrol JOC Inc., aux côtés de la société pétrolière singapourienne Interra Resources.

C’est cette structure qui a matérialisé l’alliance entre les deux pétroliers pour des projets d’exploitation commune au Myanmar (ex-Birmanie), un pays sous sanctions internationales jusqu’en 2013 en raison des violations des droits de l’homme perpétrées par la junte militaire. Geopetrol, qui a revendu ses participations dans Goldpetrol en 2010, n’a pas souhaité expliquer au Monde les raisons du choix du Panama comme juridiction. On peut seulement observer que le recours à des sociétés offshore est plutôt classique pour une entreprise singapourienne comme Interra Resources.

Sa concurrente Maurel & Prom, davantage tournée vers l’Afrique, a procédé de façon similaire pour ses investissements au Congo. Entre 2002 et 2005, l’établissement français a pris des participations dans trois sociétés offshore enregistrées aux Bahamas par l’intermédiaire de Mossack Fonseca : Zetah Congo Limited, Zetah Noumbi Limited et Zetah Kouilou Limited. Des participations qui figurent au bilan de Maurel & Prom, mais qu’elle n’a pas souhaité commenter, se bornant à déclarer qu’elles avaient été cédées à ENI Congo en 2007. Or, les données internes de Mossack Fonseca montrent que Maurel & Prom n’a cédé ses participations dans Zetah Kouilou qu’en 2012 et restait en 2015 l’actionnaire majoritaire de Zetah Noumbi aux côtés de la filiale congolaise de la société pétrolière londonienne Afren.

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