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Santé

Coronavirus : la vérité sur la vague de décès dans les Ehpad Korian

Le leader européen des maisons de retraite a été touché de plein fouet par l'épidémie de Covid. Au centre des critiques pour sa gestion de la crise, confronté à des plaintes de familles de victimes pour négligence, le groupe paye-t-il pour tout le secteur des Ehpad, dont le modèle est à bout de souffle ?

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657 veriteCOVID-19 Coronavirus Le bilan s'alourdit a la Maison de Retraite "La Riviera" du groupe KORIAN, l'Agence Regionale de Sante a annonce 29 deces (date du 5 avril), 14 soignants sur 50 positifs, l'etablissement fait appel a la reserve sanitaire. La

Maison de Retraite "La Riviera" du groupe KORIAN, à Mougins (Alpes-Maritimes). 

Syspeo/Sipa

Un cauchemar à huis clos. Le 17 mars, un premier décès lié au Covid-19 frappe l’Ehpad La Riviera, à Mougins (Alpes-Maritimes). En deux semaines, 38 des 109 résidents sont morts dans cet établissement géré par Korian, le leader européen des maisons de retraite, devenu depuis l’épicentre de la colère provoquée par la surmortalité dans les Ehpad (12.000 décès fin mai en France). A la suite de plaintes des familles de victimes, des enquêtes préliminaires pour négligence ont été ouvertes à Mougins et à Clamart, dans les Hauts-de-Seine. Le 22 mai, Korian déplorait 707 décès dans ses 308 établissements en France.

Réseau très exposé

Activation d’une cellule de crise le 22 février, confinement en chambre le 6 mars, port du masque systématique le 21 mars, dépistage généralisé début avril, recrutement de 1.500 "équivalents temps plein"… Le groupe assure avoir mis en œuvre "tous les moyens possibles" pour protéger ses résidents. "Cette pandémie est arrivée comme un tsunami pour l’ensemble des acteurs, se défend Sophie Boissard, directrice générale de Korian, qui vient d’être renouvelée dans ses fonctions. Personne ne s’attendait à ce qu’elle progresse aussi vite et puisse avoir des effets aussi brutaux dans les zones les plus touchées, mais nous avons fait face et nous nous sommes organisés contre ce virus inconnu."

Le Covid a tout de même forcé la porte de 40 % des 300 établissements français du champion des Ehpad, présent dans six pays européens et coté en Bourse, avec Predica (Crédit agricole) et Malakoff Humanis au capital. "La moitié de notre réseau se situe dans le quart nord-est de la France, où les foyers de contamination ont été les plus virulents", souligne Charles-Antoine Pinel, directeur général du pôle seniors France. Une faille qui a rapidement fait douter les marchés : l’action Korian a dévissé de plus de 40 % entre le 21 février et le 17 mars.

A l’arrivée de la vague, l’Etat, focalisé sur les hôpitaux, a laissé les Ehpad et leur leader bien seuls face au Covid. "Chaque mesure que nous avons proposée au ministère a mis trois semaines à être validée par le conseil d’éthique", s’agace Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, la fédération des acteurs privés. En plus du rationnement des masques – réquisitionnés par l’Etat du 3 au 20 mars –, de l’impossible transfert des résidents vers les hôpitaux et du difficile accès au dépistage jusqu’à début avril, ce retard à l’allumage a précipité la catastrophe. "Nous avons vite compris que les personnes âgées n'étaient pas totalement prises en compte dans le radar sanitaire du gouvernement, peut-être aussi parce que pour ces personnes, un long séjour en réanimation est très difficile. Toujours est-il que cette population vulnérable est restée sans une réponse très claire quant au protocole de suivi en cas de suspicion de Covid-19", commente Thierry Chiche, président du groupe d'hospitalisation privé Elsan, qui a déployé un plan de soutien à destination des maisons de retraite durant la crise. Se disant "choqué et en colère", le député LR Eric Ciotti, élu des Alpes-Maritimes où se trouve l'Ehpad de Mougins de Korian, accusait mi-avril : "On a laissé mourir nos vieux" du Covid-19 dans les Ehpad.

Sur les 7.000 Ehpad en France, dont la moitié sont publics, 25 % privés et 25 % associatifs, certains s’en sont néanmoins mieux sortis. Orpea, qui recensait 478 décès le 15 mai dans ses 354 Ehpad en France, a anticipé la crise grâce à sa présence en Chine, même si cela ne l'a pas empêché de subir le même gadin en Bourse que Korian (-42,75% entre le 21 février et le 17 mars) (lire encadré ci-dessous). S'il a été moins mis sous les projecteurs, le troisième acteur du secteur, DomusVi -qui n'a pas répondu à nos sollicitations- n'a pas été épargné non plus par les décès, et une enquête préliminaire est en cours à la suite d'un dépôt de plainte en région parisienne. Construit à coups d’acquisitions tentaculaires pour se diversifier (20 en 2019), Korian s’est révélé un colosse aux pieds d’argile dans la tempête. "L’intégration de ces acquisitions prend du temps, l’harmonisation des normes de qualité au sein du groupe est parfois même toujours en cours", observe Gaétan Calabro, analyste chez Portzamparc.

Economies sur le bien-être

En interne, la question de la gestion de la crise divise. Soucieux de ne pas mettre de l'huile sur le feu, les syndicats Unsa et CFDT soutiennent la direction et ont lancé une pétition en ligne "Du respect pour nos résidents, leurs familles et pour les salariés Korian", qui avait raflé plus de 3.900 signatures début juin. D'autres jugent que Korian paye le prix de sa gestion "de capitaliste de l’or gris", comme l’écrit SUD dans un tract. "Les Ehpad doivent faire toujours plus d’économies afin d’atteindre les objectifs délirants de rentabilité, de l’ordre de 15 % à 20 %, qui leur sont imposés par la direction chaque année", renchérit Albert Papadacci, élu CGT, le deuxième syndicat du groupe. Si les effectifs de soignants sont fixés et financés par l’Etat, les directeurs d’établissement, rémunérés avec des parts fixes et variables sur objectifs, ont chacun leurs astuces pour limiter les dépenses.

Quitte à faire des concessions sur le bien-être des résidents, "en rationnant, ici ou là, des gants de toilettes, des serviettes ou des protections hygiéniques", selon le syndicaliste. Ce qui n’empêche pas Korian de facturer ses lits à prix d’or : parfois le double du tarif moyen des Ehpad (110 euros par jour, dont 70 % pour l’hébergement et les services annexes), selon l’emplacement et le cachet du bâti. "Les directeurs sont sous pression pour remplir les lits, et ne se préoccupent que de rafler des avis positifs sur Google. On nous demande clairement de faire en sorte que les familles parlent en bien de notre établissement autour d'eux", abonde cette soignante du groupe dans l’est francilien. Ressortant les revendications déçues lors de la grande grève des Ehpad en 2017, la CGT, FO et SUD repartent au combat : appel à la grève le 25 mai dans une cinquantaine de sites Korian, mobilisation prévue le 16 juin… Et ce malgré la promesse de la direction de Korian, le 26 mai, de verser une prime de 1.500 euros pour tous les salariés des Ehpad du groupe, quelle que soit la zone géographique. 

Ecœurée par cet "Ehpad bashing", Florence Arnaiz-Maumé défend ses troupes : "Les groupes cotés sont les seuls à avoir les moyens de développer des solutions de prise en charge pour les personnes âgées." Korian, qui s’est lancé dans la création de "bassins de vie" de proximité pour les seniors, investit ainsi 200 millions d’euros par an dans son parc immobilier en France. Pour Joachim Tavares, ancien directeur d’un Ehpad du groupe en Bourgogne, et fondateur de la start-up Papyhappy, rien d’anormal à ce que Korian veuille "faire tourner la boutique". La pression commerciale serait même, selon lui, un gage de qualité : "Si un établissement ne s’occupe pas bien des résidents, cela se sait et il perd des clients potentiels."

Modèle à bout de souffle

Le Covid risque, lui, de ternir durablement l’image de Korian et du secteur, malgré leurs catalogues de résidences modernes, au mobilier agréable et aux noms douillets. "Les familles vont être plus exigeantes dans leurs critères de choix", prédit un analyste, qui craint en outre de voir "l’Etat mettre son nez dans les affaires des Ehpad privés, en imposant des contrôles de qualité plus stricts encore et de nouveaux critères comme le taux de médecins coordinateurs par patient, le taux d’absentéisme, ou encore le nombre de mètres carrés par résident". D’autant qu’une mauvaise image nuit aussi au recrutement, déjà difficile sur certains métiers en tension comme les aides-soignants et les infirmiers. "La revalorisation de ces métiers par des augmentations de salaires et d’effectifs est inévitable", selon Gaétan Calabro. Si les fondamentaux du marché, liés à la démographie, sont solides, le modèle de l’Ehpad – où les résidents entrent plus âgés et malades – s’essouffle.

"Il faut investir massivement des fonds publics, mais aussi privés, dans les capacités sanitaires, notamment les plus médicalisées", plaide Daniel While, directeur recherche et stratégie à Primonial Reim. Et enfin relancer le plan "grand âge" laissé en jachère par l’ex-ministre Agnès Buzyn ? Dans l’urgence, le gouvernement a promis un plan d’aide d’1,2 milliard d’euros, dont 500 millions d'euros pour verser des primes aux salariés et le reste pour compenser les surcoûts et pertes financières liés à la crise, et la création d’une cinquième branche de l’Assurance maladie pour financer la dépendance. "Nous avons fortement avancé, en quelques semaines, dans le traitement de difficultés que l’on essayait de surmonter depuis des années. Rapprocher les Ehpad du monde sanitaire, donner plus de place aux médecins coordonnateurs, déployer la téléconsultation de manière massive, déployer les solutions d’hospitalisation à domicile dans les établissements, structurer une vraie politique de renforts en ressources humaines…, assure-t-on au ministère de la Santé. L’heure est à l’action, pas encore au bilan. Mais nous ferons, avec le secteur, l’inventaire des acquis de cette crise et des urgences qui restent à traiter." Reste à trouver le - bon - timing.

Grâce à la Chine, le concurrent Orpea a anticipé la crise

En activant sa cellule de crise pour gérer la pandémie dès le 21 janvier, Orpea a dû passer pour un ovni. "Nous avons pris très tôt la mesure de la crise, car nous avons deux sites en Chine, dont les équipes nous ont alertés de ce qui se passait à Wuhan", explique Jean-Claude Brdenk, directeur général délégué en charge de l'Exploitation. Achats d’équipements de protection, installation de secteurs Covid dans les Ehpad, confinement en chambre : Orpea a mis en place les mesures sanitaires avant ses concurrents. Le groupe s’appuie aussi sur ses ressources internes : 48 "hygiénistes" maison et son réseau de cliniques. Mais l’expérience est son atout majeur. "Nous sommes l’un des rares groupes à avoir affronté la canicule de 2003, qui a fait 20.000 morts car les hôpitaux n’ont pas tenu : les personnes âgées sont donc décédées en établissement."


 

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