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Décryptage

Aux origines de la polémique sur le festival afroféministe Nyansapo

La maire de Paris, Anne Hidalgo, a annoncé vouloir saisir le préfet pour faire interdire un festival afroféministe organisé pour partie dans un bâtiment appartenant à la capitale et comprenant des ateliers en non-mixité. C'est le dernier acte d'une polémique lancée par l'extrême droite et relayée par la Licra.
par Frantz Durupt
publié le 28 mai 2017 à 19h36
(mis à jour le 29 mai 2017 à 14h47)

Mise à jour le lundi 29 mai à 14h45 : La maire de Paris, Anne Hidalgo, annonce ce lundi dans une série de tweets qu'une «solution claire a été établie» concernant l'organisation du festival afroféministe Nyansapo, qu'elle menaçait dimanche de faire interdire en raison de son organisation en non-mixité partielle : «Le festival organisé dans un lieu public sera ouvert à tous. Des ateliers non-mixtes se tiendront ailleurs, dans un cadre strictement privé.» C'est-à-dire une répartition que le collectif Mwasi expliquait hier après-midi avoir prévue depuis le départ (lire plus bas). La mairie de Paris affirme de son côté que c'est à la suite d'un premier échange entre Anne Hidalgo et le collectif, hier midi après les premiers tweets de la maire, que cette répartition a été évoquée, puis actée ce lundi matin.

Du 28 au 30 juillet doit se tenir à Paris un festival «afroféministe militant à l'échelle européenne», Nyansapo, organisé par le collectif Mwasi. Deux mois avant sa tenue, l'événement fait l'objet, ces derniers jours, d'une offensive sur Internet, relayée ce dimanche par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui a publié une série de tweets où elle dit «demander l'interdiction du festival» et annonce qu'elle va «saisir le préfet de police en ce sens». L'élue «se réserve également la possibilité de poursuivre les initiateurs de ce festival pour discrimination».

Qu’est-ce que ce festival et qui l’organise ?

C'est la première édition du festival Nyansapo. Sur son site, le collectif organisateur définit ainsi sa raison d'être : «Au sein de nos communautés et dans une société occidentale capitaliste et patriarcale, nous voulons lutter contre toutes les oppressions liées à nos positions de femmes noires. Mwasi, c'est aussi faire entendre les voix des Noires africaines et afrodescendantes dans leur diversité, car notre afroféminisme n'est pas un ensemble monolithique. Enfin, c'est se réapproprier nos identités et notre image en tant que femmes (et personnes assignées femmes) noires.»

Le festival Nyansapo assume d'être pour partie organisé en non-mixité. C'est-à-dire qu'il proposera quatre espaces distincts dont trois seront réservés respectivement aux femmes noires, aux personnes noires, et aux femmes «racisées» (lire ici une définition du terme «racisé»). Le quatrième sera ouvert à tout le monde.

Concrètement, indique le programme, tous les événements ouverts à tout le monde se dérouleront dans les locaux de la Générale Nord-Est, une «coopérative artistique, politique et sociale», sise dans le XIe arrondissement parisien. Elle loue ces locaux à la mairie de Paris, d'où la réaction de celle-ci, qui s'est sentie concernée. «La position de la maire est simple : elle est attachée à la possibilité pour tous les Parisiens d'avoir accès à tous les événements culturels», explique-t-on à la communication de la mairie de Paris, contactée par Libération.

Le problème, c’est qu’Anne Hidalgo a cru que l’intégralité du festival se déroulerait dans les locaux de la Générale. Or, les ateliers organisés en non-mixité se tiendront dans un lieu privé, explique le collectif Mwasi. La mairie de Paris ne devrait donc avoir aucun droit de regard dessus.

Mise à jour du lundi 29 mai à 11h15 : Dans un communiqué publié dimanche soir, La Générale a pris la défense du festival et de ses organisatrices.

Par ailleurs, la mairie finance déjà au moins un lieu non-mixte : une maison des femmes, située dans le XIe arrondissement, qui sert notamment à organiser des groupes de paroles et des actions contre les violences masculines, a souligné sur Twitter l'association féministe et LGBT les Effronté-e-s. Mais pour la mairie de Paris, les deux cas ne sont pas comparables, la maison des femmes étant une «association». Elle est également partenaire, souligne le collectif Mwasi, d'un festival du film lesbien et féministe dont l'accès est réservé aux personnes s'identifiant en tant que femmes.

Pourquoi la non-mixité ?

Le fait de s'organiser en non-mixité dans le cadre d'un mouvement social n'est pas nouveau. En mai 2006, la sociologue Christine Delphy rappelait (dans un texte republié en 2016 sur le site LMSI.net) l'importance de ce mode d'organisation dans le mouvement féministe des années 70 et expliquait : «La pratique de la non-mixité est tout simplement la conséquence de la théorie de l'autoémancipation. L'autoémancipation, c'est la lutte par les opprimés pour les opprimés. Cette idée simple, il semble que chaque génération politique doive la redécouvrir. Dans les années 60, elle a d'abord été redécouverte par le mouvement américain pour les droits civils qui, après deux ans de lutte mixte, a décidé de créer des groupes noirs, fermés aux Blancs.»

En mars 2016, alors que des polémiques naissaient autour de groupes de parole non mixtes organisés à l'université Paris-VIII, et avant d'autres durant un «camp d'été décolonial» organisé à Reims en août, la blogueuse Kiyémis expliquait l'importance, à ses yeux, de disposer d'espaces non mixtes pour militer : «Je sais que ma colère n'aura pas l'air stupide, jamais. Qu'elle ne sera pas utilisée comme une manière de me "taquiner", ou de me "provoquer", comme si j'étais un truc dont on peut titiller les chairs à vif pour voir si je bouge encore. Je sais que je pourrais craquer et m'effondrer, sans devoir expliquer.»

Plus tard, les organisatrices du camp d'été «décolonial» de Reims, Sihame Assbague et Fania Noël (membre du collectif Mwasi), expliqueraient elle aussi le principe : «Ce n'est pas un projet de vie, ce sont des universités d'été de trois jours réservées aux personnes directement concernées par le sujet.»

Aux origines de la polémique

Ce dimanche, c'est donc la série de tweets de la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui a pour de bon lancé une polémique en gestation depuis plusieurs jours. Pour rédiger son premier message, elle s'appuie sur un autre tweet, signé lui par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) et publié vendredi après-midi.

«Festival "interdit aux blancs"» : la formule de la Licra, reprise telle quelle par la maire de Paris, ne s'appuie sur aucun extrait de la présentation du festival par ses organisatrices. Au contraire, la Licra publie à l'appui de ses tweets des captures d'écran où figure bien le fait qu'un espace «ouvert à tou.te.s» est prévu. Par ailleurs, comme l'expliquaient l'année dernière les organisatrices du camp d'été «décolonial», «la couleur de peau est loin de constituer le seul marqueur de racialisation. A cela s'ajoutent des marqueurs plus ou moins visibles tels que le patronyme ou des signes distinctifs, notamment d'appartenance à la religion musulmane, qui renvoient à une origine, une différence réelle ou supposée». Ainsi, dans le cas du festival Nyansapo, rien ne dit que l'espace réservé aux «femmes racisées» ne pourrait pas accueillir des femmes blanches.

Mais pour la Licra, contactée par Libération, «il faut dire les choses clairement : "espace non mixte femmes noires (80% du festival)" revient à une conséquence simple : si vous êtes un homme blanc, vous n'êtes pas autorisé à participer aux ateliers».

En fait, la formulation «interdit aux Blancs» provient d'un article publié sur le site de LCI le vendredi après-midi. Un article où Alain Jakubowicz, le président de la Licra, estime que «Rosa Parks doit se retourner dans sa tombe» (il avait déjà dit cela à propos du camp d'été de 2016) et où il appelle la mairie de Paris à désapprouver le festival. Et si cet article utilise cette formulation, c'est parce que Wallerand de Saint-Just, trésorier du Front national, a été un des premiers à s'emparer du sujet en parlant, vendredi matin, d'un «festival interdit aux "Blancs"».

La Licra affirme avoir été informée dès jeudi, au soir, de l'existence du festival, par plusieurs de ses militants. Mais de fait, dès l'après-midi du même jour, c'est l'extrême droite qui la première a lancé le sujet, via ses canaux habituels, et notamment le site Fdesouche :

Jeudi, le collectif Mwasi relevait que sur des forums de JeuxVideo.com et dans des groupes de discussions privés, des personnes s’organisaient pour lancer une campagne sur Twitter. Selon le collectif, ce sont ces personnes qui ont averti Wallerand de Saint-Just.

Ce dimanche, l'animateur de Fdesouche Pierre Sautarel pouvait donc se réjouir sur Twitter qu'Anne Hidalgo et la Licra aient «relayé les révélations de Fdesouche».

Interrogée sur ce soutien, la mairie de Paris ne fait pas de commentaire. Quant à la Licra, elle répond à Libération : «Que l'extrême droite instrumentalise ce type de festival n'est pas nouveau. Quand la Licra s'était constituée partie civile dans les affaires de racisme antiblancs, c'était déjà le cas. La Licra combat tous les racismes.»

La préfecture de police a réagi dimanche en début de soirée en indiquant n'avoir «pas été saisie, à ce jour, de l'organisation de cet événement» mais en précisant que Michel Delpuech, le préfet, «veillera au respect rigoureux des lois, valeurs et principes de la République».

Un hashtag de soutien au festival et au collectif, #JesoutiensMwasi, a été lancé ce dimanche. Un pot commun pour le soutenir est en ligne.

Pour aller plus loin :

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