Laurent Wauquiez et les enregistrements : naïveté ou calcul ?

Laurent Wauquiez menace de porter plainte, suite à la diffusion de certains de ses propos par l'émission Quotidien sur TMC.  ©AFP - Christophe Archambault
Laurent Wauquiez menace de porter plainte, suite à la diffusion de certains de ses propos par l'émission Quotidien sur TMC. ©AFP - Christophe Archambault
Laurent Wauquiez menace de porter plainte, suite à la diffusion de certains de ses propos par l'émission Quotidien sur TMC. ©AFP - Christophe Archambault
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Le dirigeant de LR a vu certains de ses propos, tenus à huis-clos devant des étudiants, fuiter à la télévision. Comment comprendre une telle imprudence ?

Laurent Wauquiez donne des cours, en plus de ses autres casquettes. Des leçons sur les "grands enjeux contemporains" à l’école EM Business School de Lyon. Et l’émission Quotidien sur TMC s’est procuré un enregistrement audio des classes du professeur Wauquiez. Lequel, dans le huis-clos de la salle de classe, commence par demander la confidentialité à ses élèves [extrait sonore] :

"Si on veut que ce lieu soit un lieu de liberté, il faut que tout ce que je dis reste entre nous. Donc pas de tweet, pas de post sur les réseaux sociaux, pas de transcription de ce que je dis. Sinon, ça ne peut pas être un espace de liberté, et ce que je vais vous sortir sera juste le 'bullshit' que je peux sortir sur un plateau médiatique." 

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En tout, 13 heures d’enregistrement audio ont été récupérées. Dans cet autre extrait, Laurent Wauquiez affirme que Nicolas Sarkozy espionnait ses ministres : 

"Nicolas Sarkozy, il en était arrivé au point où il contrôlait les  téléphones portables de ceux qui rentraient en conseil des ministres. Il  les mettait sur écoute pour pomper tous les mails, tous les textos, et vérifier ce que chacun de ses ministres disait au moment où on rentrait en conseil des ministres".

Le propos porte aussi sur des dirigeants étrangers. Et n'est pas toujours charitable. Voici Angela Merkel vue par Laurent Wauquiez :

"Est-ce que vous considérez qu'elle incarne le pouvoir ?" [demande-t-il à ses étudiants] Vous avez déjà consulté son compte Instagram ? Croyez-moi, pour y trouver du charisme, il faut vraiment se lever de bonne heure !"

Et ce n'est pas tout. Face à ses étudiants, le patron du parti Les Républicains accuse aussi Emmanuel Macron et ses équipes d’avoir mis en place une "cellule de démolition" pour faire tomber François Fillon. 

Cette affaire pose plusieurs questions.

D’abord, comment le président du premier parti d’opposition et de la 2ème région de France, Auvergne-Rhône-Alpes, trouve-t-il le temps de pratiquer l’enseignement ? Mais surtout, pourquoi un homme expérimenté comme Laurent Wauquiez, expert en communication, s’est-il laissé prendre au piège ?

Certains suggèrent que tout cela était calculé… 

C'est une supposition un peu curieuse. Admettons qu’il s’agisse d’un coup machiavélique. Finalement qu’en a-t-il retiré ? Faisons le bilan : 

Premièrement, un coup de froid avec Nicolas Sarkozy, qui reste une figure très populaire chez les militants Les Républicains. On ne voit donc pas trop l’intérêt de se les aliéner... 

Deuxièmement, un malaise vis-à-vis de Berlin, où les remarques sur le manque de charisme d’Angela Merkel ont été relevées par la presse allemande. Précisons par ailleurs que le parti de la chancelière, la CDU, est l’alliée des Républicains au sein du Parlement européen. A un an des élections européennes, on voit assez mal le calcul, si ce n’est une passion pour se tirer des balles dans le pied. 

Troisièmement, Laurent Wauquiez avoue de lui-même faire du « bullshit » sur les plateaux médiatiques (autrement dit, raconter n’importe quoi). Il vient pourtant de passer des mois à expliquer qu’avec lui, "la parole politique franche et directe [était] de retour". Là encore, pour un coup machiavélique, ça fait un peu désordre. 

Non, de toute évidence, il y a plutôt au minimum une naïveté, peut-être une trop grande confiance en sa propre autorité… et sans doute une volonté de rouler un peu des mécaniques devant les étudiants.

De manière plus globale, cette affaire Wauquiez crée une jurisprudence... 

Oui, il y avait déjà eu des enregistrements embarrassants. Mais en général, c’est simplement le politique qui avait oublié la présence du micro d'un journaliste. C’est ainsi qu’on avait entendu des candidats FN qualifier les journalistes de "bande de chiens" (reportage de France 3, en 2015).   

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Il y avait aussi eu le dictaphone de Patrick Buisson, enregistrant secrètement Nicolas Sarkozy. Mais cette fois, ce ne sont ni des journalistes ni des politiques. Ce sont simplement des étudiants munis de smartphones. 

Cela change tout : à partir de maintenant, plus aucun responsable politique ne pourra oublier cette menace, cette possibilité que ses propos soient diffusés. Un avant et un après.

Il en ressort une vertu et un dommage. La vertu, c’est l’abolition progressive du double discours. Vous ne pourrez plus dire des choses différentes à un public de 20 personnes et à un public de 20 000 personnes.

Le dommage, c’est la fin de la parole informelle, du discours libre, non passé au tamis des éléments de langage. Comme si une surveillance décentralisée veillait au grain. 

Ou alors les politiques devront s’adapter. Et faire comme dans les vieux films d’espionnage. Pour se protéger des micros cachés, on allume le tourne-disque et on continue la conversation avec un opéra de Puccini en fond sonore. Mais c'est sans doute moins pratique pour tenir des réunions. 

Frédéric Says

L'équipe