Quand l’Elysée fabrique une fausse information

Ismaël Emelien "ne savait pas que la vidéo qu'il avait relayée était fausse" ©Radio France - Christophe Morin
Ismaël Emelien "ne savait pas que la vidéo qu'il avait relayée était fausse" ©Radio France - Christophe Morin
Ismaël Emelien "ne savait pas que la vidéo qu'il avait relayée était fausse" ©Radio France - Christophe Morin
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Le 18 juillet dernier, lorsque l’Elysée apprend que va sortir l’article du Monde identifiant Alexandre Benalla, chargé de mission à la Présidence de la République, en train de molester un couple place de la Contrescarpe le 1er Mai, c’est la panique. Ismaël Emelien, conseiller spécial du Président, décide d’une riposte.

Il s’agit d’une vidéo, dernier soubresaut en date de l’affaire Benalla. Je résume. Le 18 juillet dernier, lorsque l’Elysée apprend que va sortir l’article du Monde identifiant Alexandre Benalla, chargé de mission à la Présidence de la République, en train de molester un couple place de la Contrescarpe le 1er Mai, c’est la panique. Ismaël Emelien, conseiller spécial du Président, décide d’une riposte et fait fabriquer une vidéo montrant que le couple n’est pas tout blanc. Cette vidéo est composée de deux types d’images : les unes proviennent de caméras de vidéo-surveillance de la police, on y voit le couple lancer des objets sur les forces de l’ordre. Diffuser ces images est illégal, Ismaël Emelien a été entendu par la police pour cela, il dit ne pas avoir eu connaissance de leur origine. Y sont accolées d’autres images, montrant quelqu’un en train de vouloir lancer une chaise vers les forces de l’ordre. Problème, il ne s’agit pas de l’homme du couple. Ismaël Emelien a dit qu’à ce moment-là, il ne le savait pas. Tout cela a été diffusé sur un compte Twitter anonyme, mais tenu par le responsable du pôle e-influence de La République en marche.  

Il y a l’aspect judiciaire de cette histoire, sur lequel on n’a pas à se prononcer, la procédure est en cours. 

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Mais, indépendamment de cet aspect judiciaire, il y a de quoi s’étonner. 

D’abord, on peut s’étonner du côté très amateur de tout ça. Voici Ismaël Emelien, chargé de la communication de crise à l’Elysée, qu’on nous présente depuis des mois comme un génie, qui fait fabriquer, avec des images aux sources douteuses, une vidéo que ne renierait pas le troll de base.  Tout ça dans l’idée que ces débiles d’internautes vont trouver moins scandaleux les actes d’un chargé de mission de la Présidence, parce que ces petits jeunes, « ils l’ont bien mérité ». Donc, au côté artisanal de la riposte, s’y mêle du mépris. 

Deuxième étonnement, plus grave, tout cela manifeste ce qu’on pourrait appeler un “réflexe trumpien”. Pourquoi “trumpien” ? Parce qu’il s’agit de faire comme Trump : pour contrer une information provenant d’un journal sérieux (et dont on peut imaginer qu’elle a été pesée et vérifiée), opposer un tweet et des images dont on n’a rien à faire de savoir si elles sont vraies ou pas, et voir ce que ça donne. Là, c’est un mépris pour la vérité qui se révèle. On n’est pas loin d’un cas exemplaire de fabrication de fausse information. 

Troisième étonnement, c’est la justification apportée par Ismaël Emelien quand on lui demande pourquoi être passé par un compte Twitter anonyme. C’était vendredi dernier dans “ C’ à vous” sur France 5, dans un échange avec Patrick Cohen 

WHAAAAT ???? Qu’est-ce que j’entends. Mais le problème n’est pas de savoir ce qui est la règle sur Internet ou pas. Le problème est de savoir si la communication de la présidence de la république peut-être anonyme et à ça, Emelien répond tranquillement qu’on peut indexer la communication du Président à ce qui se fait sur Internet. Et tout ça ne semble gêner aucunement une majorité présidentielle qui s’apprête à légiférer, précisément, sur les fausses informations.

Cette histoire a pour mérite de rappeler que le problème des fausses informations, ce n’est pas seulement celui d’un peuple crédule ou de puissances étrangères et malveillantes. Il y a quelques jours, un ami m’a envoyé la page de garde d’un livre datant de 1759, écrit par M. de Guigne, de l’Académie Royale et professeur au Collège royal de France. Le livre fut publié avec l’approbation et privilège du roi. Vous savez comment il s’intitule ce livre ? “Mémoires dans lequel on prouve que les Chinois sont une colonie égyptienne.” Comme quoi, le fait d'être près du pouvoir, n'a jamais protégé contre une vision fantaisiste de la vérité. 

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