Ce soir 23h, 10 chiffres et 5 zonesLe téléphone change pour accueillir plus d'abonnés. Question-réponse.

par Edouard Launet
publié le 18 octobre 1996 à 0h24

Aujourd'hui, à 23 h (heure de la métropole), il va y avoir du

chambardement sur la ligne. D'abord, il faudra composer deux chiffres de plus sur son clavier, ensuite il faudra apprendre à se passer du turlututututu, petit bruit annonciateur de l'appel. Aux onze coups de l'heure H, la «tonalité d'acheminement» disparaîtra. Un impressionnant silence va remplacer le joli bruit mécanique. La France sera divisée en cinq zones d'appel, et le 16 et le 19 disparaîtront (voir infographie). Un bouleversement qui n'entraîne aucune modification des tarifs. Déjà, en 1985, le pays était passé de six ou sept chiffres selon les endroits au système actuel à huit chiffres. Onze ans plus tard, l'opération est donc réitérée. Mais ne devrait pas se répéter avant 2040 ou 2050, assure France Télécom. En quelques questions, éclairage sur les coulisses techniques du basculement. Pourquoi dix chiffres?

«Avec une croissance des besoins de plus d'un million de numéros par an, le plan de numérotation à huit chiffres approchait de ses limites dans certaines régions», plaide France Télécom pour justifier le passage à dix chiffres. Téléphones mobiles, fax et autres «bipeurs» ont certes consommé beaucoup de numéros. Mais le changement répond aussi ­ et peut-être surtout ­ à un autre impératif: préparer l'avènement de la concurrence, programmé pour le 1er janvier 1998.

Les futurs compétiteurs de France Télécom auront besoin en effet de stocks de nouveaux numéros à redistribuer à leurs abonnés. Il fallait donc en «créer» avant l'échéance de la «libéralisation». Ajouter deux chiffres va permettre d'étendre le stock de numéros utilisables à environ 470 millions. Une partie de cette ressource est d'ores et déjà réservée aux futurs opérateurs, qui en hériteront par blocs de 1 million.

Les mathématiciens objecteront que 10 chiffres permettent 10 milliards de combinaisons. Mais les contraintes pesant sur le format des numéros (il ne peut y avoir de numéro à 7 chiffres, par exemple) et les indicatifs de zone géographique (01, 02, etc.) réduisent fortement le nombre de combinaisons utilisables. Au total, deux chiffres en plus, c'est seulement dix fois plus de numéros attribuables. Consciente que ce nouveau changement de numérotation va quelque peu énerver (le précédent est intervenu le 25 octobre 1985), l'opérateur national tient à rappeler qu'il n'est plus décisionnaire en la matière. La responsabilité en revient à la Direction générale des Postes et Télécommunications, souligne France Télécom. Pourquoi le zéro?

Le zéro présent devant tous les numéros ne sert à rien, du moins dans l'immédiat. Ceux qui appelleront de l'étranger n'auront d'ailleurs pas à le composer. Par contre, en 1998, lorsque le téléphone sera ouvert à la concurrence, ce premier chiffre pourra prendre d'autres valeurs, identifiant chacune un opérateur donné. Le 0 restera sans doute l'indicatif de France Télécom. Le 2 pourrait, par exemple, être celui de la Générale des eaux et le 4 celui de Bouygues, etc. Ni le 1 ni le 3 ne pourront être utilisés comme indicatif, le premier étant réservé aux numéros des services d'urgence, le second aux numéros de type 36 15. Ne restent ainsi que 7 indicatifs possibles pour les futurs concurrents de France Télécom. Et s'il y avait à terme plus de 7 opérateurs, il faudrait rajouter des chiffres à la numérotation. Les autorités françaises des télécoms essaient dès aujourd'hui de parer le coup. Et n'excluent pas d'imposer d'emblée un indicatif à 3 chiffres à tout le monde. Du coup, la numérotation ne serait plus à 10 mais à 12 chiffres!

Pourquoi ne peut-on pas choisir son numéro?

C'est possible, dans une certaine mesure, pour les entreprises. Il n'aura pas échappé au lecteur que le numéro du standard de Libération (42.76.17.89.) a un petit air révolutionnaire. C'est parce que le journal l'a demandé. Alors pourquoi pas l'usager ordinaire? «Vous comprenez bien que si tout le monde se met à vouloir des numéros mnémoniques (simple à mémoriser, ndlr), il n'y en aura pas assez pour" etc.» Oui, mais si le client est prêt à payer (un peu)? Cela ferait rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat. En deux ans, le Trésor américain vient d'empocher 107 milliards de francs en vendant aux enchères des bandes de fréquences à des opérateurs de radiotéléphone. Voilà quelques mois, le patron de Force ouvrière, Marc Blondel lui-même, proposait de mettre les numéros de téléphone aux enchères. Pourquoi ne pas utiliser des lettres?

On se souvient des Balzac 18.09 et autres Odéon 12.14. Alors, allons plus loin. Pour contacter Libération, vous ne composeriez plus le 01.42.76 .17.89, mais taperiez L-I-B-E-R-A-T-I-O-N. Certains téléphones ont encore des petites lettres sur leurs touches (ABC sur le 2, DEF sur le 3, etc.). Pour les autres, il suffirait de coller des petits stickers. Jean-Marie Chaduc, spécialiste des dossiers techniques à la direction générale des Télécoms, estime que ce n'est pas demain la veille: «Les conditions pour un retour des lettres ne sont pas réunies. La France n'y serait pas nécessairement opposée. Mais il faudrait au préalable définir une norme internationale.» L'Union internationale des télécommunications à Genève ne semble pas prête à se mobiliser sur le sujet. «Ce n'est pas de notre ressort. C'est à chaque pays de se déterminer sur ce point.»

En fait, une «numérotation» en lettres sera bien plus difficile à gérer qu'une numérotation classique. En outre, comme il y a trois lettres par touche (donc par chiffre), des combinaisons différentes de lettres pourraient donner le même numéro. Il faudrait départager les candidats à un même numéro. Dès lors, deux possibilités. Soit se conformer à la règle du premier arrivé, premier servi. Soit instaurer un marché du «mot de téléphone». Ce qui renvoie à la question précédente.

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