Emmanuelle Berthiaud
Professeur agrégé, lycée de Chantilly
Docteur de l’université de Picardie
Les sociétés de charité maternelle,
de la charité à l’assistance médicale
E
n France sous l’Ancien régime, les femmes enceintes ou les jeunes
mères sont peu protégées et mal secourues, que ce soit par les
hôpitaux ou par une charité privée encore dispersée. A la fin du
XvIIIe siècle, la volonté de lutter contre la dépopulation, la valorisation
croissante de la maternité et l’émergence de la philanthropie conduisent
à consacrer certaines œuvres spécifiquement aux mères, comme les
sociétés de charité maternelle1. Dans le cadre d’une thèse de doctorat,
nous avons abordé la question de l’encadrement médical et de l’assistance
aux femmes enceintes aux XvIIIe et XIXe siècle2. Les sociétés de charité
maternelle nous sont apparues comme une structure originale : œuvre de
charité féminine par excellence, ces sociétés touchent au départ plutôt les
jeunes enfants, les parturientes et allaitantes que les femmes enceintes.
Toutefois, au cours du XIXe siècle, la grossesse est davantage prise en
compte, à mesure que ces sociétés se médicalisent et se masculinisent.
Si les sociétés de charité maternelle ont déjà fait l’objet de quelques travaux historiques, souvent monographiques3, leur étude sous l’angle de la
1
Nous nous concentrons ici sur le cas français, mais d’autres démarches de ce genre
existent ailleurs en Europe. Ainsi, en Angleterre on trouve des organisations de charité
protégeant la maternité dès la deuxième moitié du XvIIIe siècle. Ces sociétés sont
souvent associées à un hôpital, comme l’Hôpital de la maternité de la Reine ou l’Hôpital
de la maternité de Westminster, et prodiguent soins et secours à domicile. On peut citer
ainsi le rôle de l’infirmerie royale et société de charité maternelle de l’ouest de londres,
fondée en 1818 ; Gérando (Joseph Marie de), De la bienfaisance publique, Paris, Jules
renouard, 1839, t. 2, p. 9.
2
Emmanuelle Berthiaud, attendre un enfant. le vécu et les représentations de la grossesse
aux XViiie et XiXe siècles en France. Doctorat d’histoire moderne et contemporaine
sous la direction de Scarlett Beauvalet, université de Picardie Jules verne, soutenu le 3
décembre 2011, 2 t., 1230 p.
3
Parmi les travaux récents, on signalera notamment :
— Adams (Christine), Poverty, Charity and Motherhood : Maternal societies in nineteenth
Century France, urbana, Chicago and Springfield, unievrsity of Illinois Press, 2010.
— Adams (Christine), « Maternal Societies in France : Private Charity Before the Welfare
State », Journal of Wom’n’s History vol. 17, n°1, 2005.
[185]
eMManUelle BeRtHiaUD
grossesse et de la médicalisation progressive n’a pas encore été faite. Pour
mener cette recherche, nous avons principalement exploité des sources provenant de la série F 15 des Archives Nationales, qui comporte de nombreux
comptes-rendus de sociétés de charité maternelle tant parisiennes que provinciales. Des publications anciennes concernant certaines sociétés provinciales ont également été parcourues, complétées par des fonds d’archives
présents dans d’autres bibliothèques parisiennes. Elles tendent souvent à
l’hagiographie mais elles fournissent des renseignements précieux sur le
fonctionnement de ces organisations et les objectifs qui leurs sont assignés4.
Sans prétendre à l’exhaustivité, notre étude vise à poser des jalons qui
permettent d’étudier l’évolution progressive de la prise en charge de la
maternité, et plus particulièrement de la grossesse, au cours du XIXe
siècle. D’abord animées essentiellement par des objectifs charitable et
moralisateur, les sociétés de charité maternelle sont de plus en plus des
lieux de santé où s’élabore une politique nouvelle de prévention à destination des femmes enceintes et des mères.
CRÉATION ET ESSOR
DES SOCIÉTÉS DE CHARITÉ MATERNELLE
Une démarche originale à la fin du XVIIIe siècle
[186]
En mai 1788, la société de la charité maternelle de Paris est fondée par
Mme de Fougeret sur le modèle de la société philanthropique5. Fille d’un
— Adams (Christine), « Constructing mothers and families : the Society for Maternal
Charity of Bordeaux, 1805-1860 », French Historical study, 22, 1999, pp. 65-96.
— Chaline (Jean-Pierre), « Sociabilité féminine et « maternalisme », les sociétés de
charité maternelle au XIX e siècle », dans Corbin (A.), Lalouette (J.), riot-Sarcey (M.) éd.,
Femmes dans la cité, 1815-1871, actes du colloque du 20 et 27 novembre 1992, Paris I,
Paris, Créaphis, 1997.
— Grogan (Susan), « Philanthropic Women and the State : The Société de Charité
maternelle in Avignon, 1802-1917 », French History, 14 (3), 2000, p. 295-321.
— Hanscotte-Proust (Christine), « une œuvre de bienfaisance privée : les sociétés de
charité maternelle du département du Nord, Revue Prévoyance sociale — Passé, présent,
avenir, n°62, janvier 2005.
— Madignier (M.), la société de Charité Maternelle de Paris au XiXe siècle, mémoire de
maîtrise sous la direction de J.-P. Chaline, université de Paris Iv, 1992.
— Woolf (S.), « The Société de charité maternelle, 1788-1815 », Medicine and Charity
before the Welfare state, éd. J. Barry and C. Jones, 1991, pp. 998-1112.
4
Citons notamment :
— Cornereau (A.), notice sur la société de Charité Maternelle de Dijon, Dijon, 1900.
— Des Alleurs (Ch.), Histoire de la société de Charité Maternelle de Rouen, rouen, 1854.
— Gille (F.), la société de Charité Maternelle de Paris, origine, fonctionnement et marche
progressive de l’œuvre de 1784 à 1885, Paris, v. Goupy et Jourdan, 1887.
— Patay (Dr), « La Société de charité maternelle de rennes, de mai 1896 à avril 1899 »,
annales de la société obstétricale de France, 1899.
5
Elle s’inspire en effet de l’aide accordée à partir de 1784 par la société Philanthropique
(fondée en 1780) aux femmes en couches pauvres. Les familles répondant à certains critères
les soCiÉtÉs De CHaRitÉ MateRnelle, De la CHaRitÉ à l’assistanCe MÉDiCale
conseiller au Parlement et femme d’un receveur général des finances
soucieux de philanthropie6, Mme de Fougeret a connaissance de l’effroyable mortalité qui touche les enfants trouvés. Elle a donc le projet de
faire diminuer le phénomène de l’abandon — du moins celui des enfants
légitimes — en apportant des secours aux mères pauvres pendant leurs
couches et les deux premières années de vie de l’enfant7.
Les statuts de l’organisation sont établis le 17 février 1789 ; ils récapitulent ses objectifs qui ne varient guère tout au long du XIXe siècle. Il s’agit
d’abord de « rappeler à la nature des mères infortunées qui, dégradées
par la misère, abandonnent leurs enfants comme s’ils étaient les tristes
fruits du désordre »8. On souhaite en effet éviter les abandons d’enfants,
en incitant les femmes à allaiter leurs enfants, l’allaitement paraissant le
meilleur moyen d’éveiller leur instinct maternel et de les rappeler à leurs
devoirs de mères. Il s’agit aussi de lutter contre la terrible mortalité infantile qui touche les enfants et fait perdre à l’Etat de précieux sujets :
« Des enfants périssaient au milieu de familles dont la fécondité aggravait l’indigence, ou étaient condamnées à aller partager dans les hôpitaux
le sort des tristes victimes du vice et du désordre ; la société les adopte et
les protège ; elle les rend à leurs mères, qui allaient s’en voir privées ; elles
conserve à la patrie des êtres qui peut-être un jour en seront la gloire et
l’appui, et qui sans les secours qui leur seront prodigués, seraient sans
doute à jamais perdus pour elles. »9
L’idée est d’apporter une aide à domicile pour éviter aux mères la fréquentation de l’hôpital, jugée dangereuse notamment à cause de la présence de nombreuses filles-mères. Enfin, la société de charité maternelle
cherche à rapprocher les classes sociales et se donne un objectif de moralisation des comportements ; riches et pauvres ont tout à y gagner :
« En rapprochant du malheureux la classe aisée, la Société maternelle
fait germer les vertus et le bonheur, et dans le cœur du riche, qui, au sein de
son opulence, a besoin de se rapprocher de ses semblables et se trouve isolé
s’il ne les soulage, et dans le cœur des pauvres qui reçoit, avec les secours
que ses besoins réclament, des conseils et de touchants exemples. »10
stricts (familles nombreuses, mariées, indigentes) peuvent recevoir une aide en argent,
layette, etc. ; Duprat (Catherine), le temps des philanthropes. la philanthropie parisienne
des lumières à la monarchie de Juillet, Paris, éd. du CTHS, 1993, tome I, p. 75 et sq.
6
Les deux sont membres de la société philanthropique. Son père est aussi ancien
administrateur des hôpitaux et membre de la Commission formée par Necker en 1777
pour la réforme des hôpitaux.
7
En 1784, la même démarche inspire Beaumarchais à Lyon, qui revendique la création
du modèle de cette organisation.
8
Règlements de la société de charité maternelle arrêtés à l’assemblée du 13 février 1789,
Paris, imp. De Séguy-Thiboust, 1789.
9
Archives Nationales, F/15/2565, Compte-rendu de la société de charité maternelle de
Paris à l’impératrice-reine et régente, 1813, F/15/2565.
10
ibid.
[187]
eMManUelle BeRtHiaUD
L’organisation de la charité se calque sur celle de la société philanthropique et compte d’ailleurs nombre de souscripteurs en commun. Dès la
fin de 1789, la charité maternelle de Paris compte 93 souscripteurs et 64
bienfaiteurs issus de la grande noblesse et de la riche bourgeoisie11. On y
trouve des noms célèbres ; l’archevêque de Paris figure comme premier
bienfaiteur et Mme Necker est en tête des souscripteurs. Mais la société
doit surtout sa notoriété à la protection particulière accordée par la reine
Marie-Antoinette. Celle-ci accepte d’être présidente d’honneur de l’organisation et lui alloue un crédit annuel de 24 000 livres prélevé sur les
fonds de la Loterie royale.
[188]
Le caractère novateur de l’entreprise tient à l’aide apportée à une catégorie qui ne bénéficie jusque-là d’aucun secours particulier : les mères et
les enfants légitimes en situation d’indigence. Les secours consistent à
prendre en charge les frais d’accouchement à domicile et à verser une pension à la mère pour le soin et l’allaitement de l’enfant pendant deux ans.
Le montant de l’aide s’établit à environ 192 livres, se décomposant en 18
livres pour frais de couches, 20 livres de layette, 10 livres pour la première
robe de l’enfant, 96 livres de pension pour la première année, 48 livres
pour la seconde. Le nombre de femmes pouvant prétendre à ce genre de
secours étant très élevé, des clauses restrictives sont mises en place pour
limiter le nombre d’admission. La société de charité maternelle s’adresse
ainsi, par ordre de priorité, aux femmes ayant perdu leur mari pendant
leur grossesse, aux femmes d’infirmes, aux mères de trois enfants en bas
âge et enceintes d’un quatrième et aux mères de deux enfants enceintes
d’un troisième que leur mari aurait abandonné. L’aide s’adresse exclusivement aux femmes mariées afin de ne pas encourager le vice. Il est donc
nécessaire de produire un certificat de mariage, ainsi qu’une recommandation du curé de la paroisse et une attestation de « bonnes vie et mœurs »
signés de quelques voisins. En retour, les femmes aidées par la société
doivent accepter d’allaiter leur enfant pendant deux ans12 et autoriser les
visites régulières des dames de la société qui leur remettent des secours et
contrôlent leur usage.
La société de charité maternelle de Paris connaît un essor important :
en 1788, elle aide 152 mères ; l’année suivante le chiffre se monte à 588.
En 1790, la société est également fière de déclarer que sur 672 enfants nés
de mères aidées par la société, seulement un cinquième est décédé, alors
11
Les souscripteurs sont ceux qui s’engagent à régler pour une année une cotisation dont
le montant minimum est fixé à l’avance par la Société (il s’élève à quatre louis par an à la
création de la Société). Les membres bienfaiteurs offrent une contribution exceptionnelle
d’un montant libre.
12
Si les femmes ne peuvent allaiter, elles doivent fournir une attestation médicale qui
démontre leur incapacité physique ; la société se charge alors de trouver une nourrice qui
peut suppléer la mère.
les soCiÉtÉs De CHaRitÉ MateRnelle, De la CHaRitÉ à l’assistanCe MÉDiCale
que 80 % des nouveau-nés recueillis aux Enfants-trouvés périssent avant
d’avoir un an.
Le développement des sociétés de charité maternelle
dans les deux premiers tiers du XIXe siècle
Brièvement suspendue pendant l’épisode révolutionnaire13, la société
de charité maternelle est rétablie sous Napoléon en 1801 et placée sous
les auspices du ministère de l’Intérieur jusqu’en 1811. Le décret du 5 mai
1810 réorganise les sociétés existantes et incite à leur multiplication en
province, sur le modèle de celle de Paris14. Le décret du 25 juillet 1811
remet à plat le règlement des sociétés de charité maternelle dans le sens
voulu par Napoléon. Ce n’est probablement pas un hasard si l’intérêt de
l’empereur pour ces sociétés, et la maternité en général, coïncide avec son
mariage avec Marie-Louise et la grossesse de celle-ci15. Napoléon voit
aussi tout le profit qu’il peut tirer de ce type d’organisation. Elles permettent de préserver les vies de futurs citoyens utiles à l’Etat, mais aussi
d’encadrer la maternité des femmes de milieu modeste et de donner un
rôle aux élites, qui restent sous contrôle du pouvoir central. Ainsi, Bonaparte est un des premiers souscripteurs de l’organisation et il incite les
notables à subventionner cette œuvre. La société de charité maternelle
est également placée sous la tutelle de l’impératrice Marie-Louise, qui a
le titre de présidente d’honneur, perpétuant ainsi la tradition lancée par
Marie-Antoinette.
A la chute de l’Empire en 1814, la société impériale est dissoute et l’organisation est revue par le nouveau gouvernement. Les sociétés provinciales sont désormais officiellement autonomes, mais elles restent placées
sous la supervision du ministère de l’Intérieur. Avec une remarquable
continuité, les différents régimes successifs continuent d’apporter leur
soutien aux sociétés de charité maternelle qui constituent une forme originale d’organisation associant privé et public16. Elles sont placées directement sous la protection des familles régnantes tout au long du XIXe
siècle. La duchesse d’Angoulême, puis la reine Marie-Amélie et l’impéraLe Comité de mendicité approuve pourtant le travail de la société de charité maternelle
et contribue à son financement, mais les fonds sont coupés en 1792 quand les fondateurs
de l’organisation émigrent ; Duprat (Catherine), le temps des philanthropes…, op. cit.,
p. 112 et p. 405.
14
Chacune des « bonnes villes » et les chefs-lieux de département se voient obligés de
former des sociétés de charité maternelle, sur lesquelles l’autorité napoléonienne exerce
un contrôle (notamment par le biais des statuts, des règles et du financement des sociétés
locales). A la fin 1811, les sociétés sont bien organisées dans 51 départements, mais dans
les départements nouvellement rattachés à l’Empire, l’organisation est encore incertaine.
15
Napoléon épouse Marie-Louise d’Autriche le 2 avril 1810. Elle met au monde un
héritier, Napoléon François Charles Joseph Bonaparte le 20 mars 1811.
16
Il n’y a pas de limite rigide entre les deux à cette époque ; Susan Grogan parle
d’« économie mixte d’assistance » ; Grogan (Susan), « Philanthropic Women… », art. cit.
13
[189]
eMManUelle BeRtHiaUD
[190]
trice Eugénie assument ainsi successivement les fonctions de présidente
d’honneur des sociétés de charité maternelle.
Après un démarrage parfois laborieux en province, les sociétés se multiplient au cours de la première moitié du XIXe siècle et atteignent leur
apogée — en termes d’influence — sous le Second Empire. En 1866, on
compte 70 sociétés sur le territoire national ; elles distribuent 610 000
francs à environ 15 808 familles17. En 1874, elles concernent 74 villes,
principalement situées dans le Bassin Parisien et un grand Centre-Ouest
et, dans une moindre mesure, en Provence et Languedoc18. Les sociétés
de charité maternelle brassent des fonds importants notamment parce
qu’elles reçoivent de multiples subventions de la part des municipalités,
des départements et surtout de l’Etat ; 500 000 francs de rentes perpétuelles leurs sont ainsi attribuées sous l’Empire. Les sommes allouées par
l’Etat doivent être réparties entre les différentes charités maternelles existantes. Par exemple en 1815, 40 000 francs sont attribués à la charité de
Paris et 60 000 francs aux 26 charités maternelles situées dans différents
départements19. Le montant des fonds attribués aux charités maternelles
est variable au cours du XIXe siècle : les changements de régime constituent souvent des périodes de crises et de diminution du montant des
subventions, comme en 1814, 1848 et 187020. L’apogée du financement
publique de ces organisations se situe sous le Second Empire. Par ailleurs,
les sociétés bénéficient d’un financement privé mais qui reste en général
secondaire par rapport aux subventions publiques. Les souscripteurs de
chaque société doivent s’acquitter d’une cotisation annuelle dont le montant est variable selon les lieux et les époques : il est de 500 francs par an
minimum à Paris sous l’Empire, contre seulement 5 francs par an à la
Charité maternelle de Bischwiller en 1862. A Paris, en 1807, on trouve
dans la liste des souscripteurs et donateurs privés et publics de nombreux princes et princesses de la famille impériale, des ministres d’Etat,
membres du Sénat, du Conseil d’Etat, fonctionnaires, représentants de
grandes corporations, etc., qui contribuent pour un total de 414 243
francs. En province, on retrouve parmi les souscripteurs et donateurs les
élites du temps, notamment celles qui sont proches du pouvoir en place.
Outre le versement en argent, les sociétés acceptent parfois un paiement
17
En 1874, les sociétés de charité maternelles concernent 76 villes et touchent 3 000
enfants à Paris, 1150 à Lyon ; rollet (Catherine), la politique à l’égard de la petite enfance
sous la troisième République, Paris, INED-PuF, 1990.
18
Jean-Pierre Chaline note, par contre, leur relative rareté de la Gascogne à la Savoie,
voire en Lorraine. Pour l’analyse de la géographie complexe de l’implantation des
sociétés de charité maternelle ; Chaline (Jean-Pierre), « Sociabilité féminine… », art. cit.,
p. 72.
19
Archives nationales, F/15/2565, rapport 27 avril 1819 et rapport 15 juin 1815.
20
Mornet (Jacques), la protection de la maternité ; étude d’hygiène sociale, Paris, rivière
et Cie, 1910, p. 160 et sq.
les soCiÉtÉs De CHaRitÉ MateRnelle, De la CHaRitÉ à l’assistanCe MÉDiCale
en nature comme la réalisation d’une layette complète21. Les sociétés
cherchent également à récolter des fonds en réalisant des kermesses, des
loteries, des ventes de charité ou des expositions.
L’ÉVOLUTION DES OBJECTIFS ET DE L’AIDE
DES SOCIÉTÉS DE CHARITÉ MATERNELLE
Soutenir la maternité pauvre mais légitime
Au XIXe siècle, avec le triomphe des valeurs familiales et de l’idéal
maternel défendu par rousseau, les objectifs défendus initialement par
les charités maternelles sont plus que jamais d’actualité :
« Elle n’est pas seulement une œuvre de bienfaisance, c’est aussi une
institution moralisatrice. Elle encourage le mariage en ne secourant que
les femmes mariées ; elle préserve les nouveau-nés en imposant aux mères
le devoir de nourrir elle-même leurs enfants, ou de les élever près d’elle
pendant la première année. Ainsi la société fortifie le sentiment de la
famille, source de tant de vertu et de cette force si nécessaire dans les
ménages trop souvent aux prises avec la misère et le désespoir. »22
Les charités maternelles ont encore pour vocation première d’éviter
l’abandon et l’allaitement mercenaires ou artificiels qui sont, à juste titre,
perçus comme des facteurs de surmortalité infantile. La grossesse n’est
pas encore considérée comme un état relevant de soins ou d’un dispositif
d’assistance spécifique. Tout au plus reconnaît-on qu’elle peut altérer la
santé et empêcher de travailler, et c’est seulement à ce titre, en tant que
facteur de misère, qu’elle peut donner droit à des secours.
Nous n’étudierons pas ici en détail la manière dont ces sociétés sont
gérées au niveau administratif pour nous concentrer plutôt sur les secours
apportés aux indigentes. Les comptes-rendus de la société de charité
maternelle de Paris 1810 et 181123 permettent de comprendre comment
fonctionne cette organisation qui sert de modèle aux sociétés provinciales
au XIXe siècle. La particularité de ces structures est d’être presque exclusivement gérée par un personnel féminin ; à Paris, 48 dames recrutées
par cooptation se voient confier chacune un quartier de la capitale. Ces
48 femmes et trois vice-présidentes constituent le comité administratif
qui se réunit deux fois par mois et présente les rapports « sur les pauvres
Archives nationales, F/15/3799, société de charité maternelle de Bischwiller, 1866.
Archives nationales, F/15/3799-3805, société de charité maternelle de Paris, Paul
Dupont, 1870.
23
Archives nationales, F/15/2565, Compte-rendu de 1810, société de charité maternelle
de Paris.
21
22
[191]
eMManUelle BeRtHiaUD
[192]
mères qu’elles auront à proposer »24. Les critères pour obtenir l’assistance
de la charité maternelle sont toujours très restrictifs :
« Tous les enfants légitimes qui naissent au sein de l’indigence, sont
appelés à l’adoption par la Charité maternelle ; c’est pour les préserver de
la mort, de l’abandon et de toutes les suites funestes de la misère, qu’elle
s’est établie ; mais sa surveillance ne pouvant s’étendre encore sur tous
ceux qui ont le droit de réclamer ses soins, elle se borne à présent à y
appeler les deux classes qui lui ont paru les plus malheureuses. »25
Seules les femmes mariées légitimement, quelle que soit leur religion,
peuvent prétendre au secours, ainsi que celles ayant une famille nombreuse et peu de ressources26. L’aide de la société de charité maternelle ne
peut être cumulée avec celle d’un bureau de bienfaisance ; il est ainsi précisé que « si les mères reçoivent de leur comité de bienfaisance une layette
ou de secours appliqués à l’enfant, sera retranché sur ce que la société
donne, une somme proportionnelle à ce qu’elles ont reçu ». Les demandes
de secours étant nombreuses, il s’agit d’éviter le double emploi27.
Les démarches envers la société doivent être effectuées à la fin de la
grossesse, suffisamment tôt pour que tout soit en règle au moment de
l’accouchement : « Les mères, pour être admises, se présenteront dans le
dernier mois de leur grossesse, la dame de leur arrondissement prendra
sur elle les renseignements les plus positifs ». Pendant longtemps, la priorité des charités maternelles n’est donc pas la grossesse, mais bien l’accouchement, l’allaitement et les soins apportés à l’enfant pendant la petite
enfance. Toutefois, les dames patronnesses en visite chez une future-mère
sont invitées à inspecter son logement afin de l’aider à préparer l’accueil
de son bébé. Elles doivent notamment recenser tout ce qui fait défaut :
berceau, layette, etc., afin d’aider la femme le moment venu. L’aide à domicile est privilégiée parce qu’on souhaite éviter que les femmes mariées
accouchent à l’hôpital où elles risquent de subir la double « contagion »
de l’immoralité des filles-mères et de la fièvre puerpérale28. En outre,
ibid.
ibid.
26
Sont aidées en priorité les femmes de « première classe », c’est-à-dire « les femmes qui,
ayant perdu un mari, celles qui, ayant au moins un enfant vivant, auront un mari tout à
fait estropié ou attaqué d’une maladie chronique, celles qui, étant infirmes elles-mêmes,
auront deux enfants vivants », et les femmes de « deuxième classe », à savoir « toutes les
grandes familles au moins de trois enfants vivants, dont l’aîné sera en bas-âge ». Les mères
doivent encore fournir la preuve qu’elles se sont mariées à l’Eglise, présenter également un
certificat d’indigence et de bonnes mœurs de leur comité de bienfaisance, un certificat
signé de leur principal locataire ou de quelques voisins, lesquels attestent que mari et
femmes vivent bien ensemble et le nombre d’enfants vivants. Les veuves doivent fournir
l’extrait mortuaire de leur mari, les infirmes un certificat du médecin ou du chirurgien.
27
Toutefois, si les secours du bureau de bienfaisance visent à soulager la misère de la
famille entière, ils peuvent être combinés avec ceux de la société de charité maternelle.
28
Dans le dernier tiers du XIXe siècle, les admirateurs de la société maternelle de Paris se
flattent aussi que le système d’accouchement à domicile « éloigne et préserve les mères en
24
25
les soCiÉtÉs De CHaRitÉ MateRnelle, De la CHaRitÉ à l’assistanCe MÉDiCale
les femmes aidées sont des multipares ; elles ne veulent pas laisser leurs
enfants et leur foyer sans surveillance.
une fois accouchées, les mères doivent envoyer l’acte de naissance
de leur enfant à la dame chargée de leur dossier : « Cette dame leur fera
remettre une layette, s’y transportera ou y enverra une personne sûre,
pour examiner l’état de la mère et de l’enfant ; elle suivra cette famille avec
la plus scrupuleuse attention, pour juger du bon emploi des secours »29. La
société s’engage également à payer les frais de l’accouchement à domicile
par une sage-femme ou un médecin ; elle fournit aussi une aide matérielle et octroie une indemnité aux mères allaitantes30. Entre 1805 et 1810,
entre 300 et 450 mères sont ainsi secourues à Paris et chacune reçoit en
moyenne 128 francs pour une période de quinze mois31. Au milieu du
XIXe siècle, environ 900 mères sont secourues chaque année dans la capitale. Dans les années 1880 leur nombre est compris entre 1 000 et 1700,
mais le montant qui leur est alloué est en baisse32.
Les sociétés de charité maternelles provinciales sont indépendantes
les unes des autres mais elles présentent globalement les mêmes dispositions et règlements que l’organisation parisienne. Toutefois le montant
et les détails des secours apportés aux mères varient selon les périodes
et les lieux. Outre les frais de layette, de couches et de mois de nourrice, les dépenses peuvent également couvrir des journées d’hospitalisation, le coût des médicaments, mais aussi des distributions alimentaires,
de paille et de divers moyens de chauffage (bois, fagots ou houille). La
société d’Avignon précise également que « si la mère se trouve tout à fait
dans l’indigence, on lui donne une paillasse et on lui prête des draps de lit
et des couvertures pour le terme des couches »33.
Les sociétés de charité maternelle permettent ainsi de lutter contre le
problème de plus en plus criant de la pauvreté urbaine. Certaines sociétés
ne se contentent pas d’aider les femmes après l’accouchement ; elles leur
viennent aussi en aide pendant la grossesse quand elles ne peuvent pas
couches du danger de la contagion des hôpitaux en les retenant et les secourant dans leur
propre domicile […] par cette innovation salutaire, la société avait devancé de plus de
quinze ans l’application qui se fit plus tard, en 1865, d’un service spécial d’accouchement
à domicile dont l’effet […] réduisit la fièvre puerpérale, la péritonite ou les accidents
foudroyants à une victime sur 1 300 accouchées ! », Gille (F.), la société de charité
maternelle…, op. cit., 1887, p. 111.
29
Après la naissance, une dame patronnesse se rend une fois par mois au domicile de la
femme secourue.
30
Les mères doivent s’engager à nourrir elle-même ou à élever au lait leur enfant si « par
quelque cause extraordinaire elles ne pouvaient pas nourrir ».
31
Archives Nationales, F/15/2565, Comptes de 1811, Compte-rendu de la société de
charité maternelle de Paris à l’impératrice-reine et régente, 1813.
Gille (F.), la société de charité maternelle…, op. cit., 1887.
32
ibid.
33
AD vaucluse 3X 14, 29 août 1810, cité par Grogan (Susan), « Philanthropic Women… »,
art. cit., p. 300.
[193]
eMManUelle BeRtHiaUD
travailler à cause de leur état et connaissent une grande misère. C’est le
cas de la société de charité maternelle de Troyes qui mentionne en 1866
que certaines femmes, pas encore accouchées, bénéficient de secours,
« attendu que pendant les derniers mois de leur grossesse elles étaient
incapable de travail ; elles ont donc pris part aux distributions de pain,
bois, etc. suivant leur incapacité de travail »34. D’après nos recherches,
l’aide globale accordée par les sociétés est généralement comprise entre
50 et 138 francs par femme, le montant des secours étant adapté à chaque
cas particulier. Ainsi, chaque mère coûte environ 60 francs à la Charité maternelle de Lille en 1819 : 13 francs sont comptés pour la layette,
5 francs pour l’accouchement, auxquels s’ajoutent 10 mois de secours à
4 francs et le reste pour des frais annexes.
Le rôle des dames patronnesses
[194]
Les sociétés de charité maternelle, plus encore que d’autres sociétés
charitables, se caractérisent par le rôle central des femmes des élites dans
leur organisation35. En effet, dames patronnesses ou dames de charité en
assurent à la fois la direction, la gestion administrative ainsi que la mise
en œuvre sur le terrain. Ainsi, elles tricotent, distribuent des vêtements
et cherchent surtout à lever des fonds en organisant différentes manifestations de charité (concerts, bals, quêtes). Certaines assurent aussi des
visites et des inspections au domicile des indigentes où elles délivrent
également les secours nécessaires. Les dames très investies dans ces structures peuvent consacrer un temps considérable à ces différentes tâches.
L’action de ces femmes s’inscrit dans un contexte général de charité
bourgeoise qui perpétue les traditions aristocratiques36 et vincentienne
du XvIIe siècle37. Dans la première moitié du XIXe siècle, on assiste à une
véritable émulation philanthropique. Il s’agit bien sûr d’aider les pauvres
dans une optique chrétienne, mais également de faire œuvre de moralisation et de pacification sociale38. On peut y voir aussi un moyen de
Archives nationales, F/15/3894, société charité maternelle de Troyes, 1866.
voir Smith (Bonnie), les bourgeoises du nord, 1850-1914, Paris, Perrin, 1989.
36
voir Daumard (Adeline), le bourgeois et la bourgeoisie en France depuis 1815, Paris
Flammarion, coll. « Champs », 1990 (1re éd., 1987) ; Martin-Fugier (Anne), la vie élégante
ou la formation du tout-Paris, 1815-1848, Paris, Fayard, 1990.
37
Dames et filles de la charité collaboraient dans un esprit et une pratique de spiritualité
caritative ; Dinet-Lecomte (Marie-Claude), les sœurs hospitalières en France aux XViiie
et XViiie siècles, Paris, Champion, 2005.
38
La philanthropie n’est pas là juste pour suppléer les carences de l’Etat ; elle témoigne
aussi d’une volonté d’établir un lien personnel entre riches et pauvres ; il s’agit par-là
de prévenir les conflits sociaux, Grogan (Susan), « Philanthropic Women… », art. cit.,
p. 295.
Sur la question du contrôle social, voir également Boltanski (Luc), Prime éducation et
morale de classe, Paris EPHE, 1969.
34
35
les soCiÉtÉs De CHaRitÉ MateRnelle, De la CHaRitÉ à l’assistanCe MÉDiCale
légitimer l’utilité sociale des élites39. La philanthropie se voit d’ailleurs
accorder une place essentielle dans l’éducation et la vie des femmes. En
effet, les qualités « maternelles » invoquées par les médecins, les penseurs
et les philosophes comme « naturelles » et propres aux femmes justifient
leur rôle dans l’assistance aux pauvres. Dans le règlement de la société de
charité maternelle de Paris en 1816 on peut ainsi lire que :
« La société de Charité Maternelle a été établie par des femmes, parce
que ce sont elles que la Providence a plus particulièrement appelée au
secours de l’enfance et des mères indigentes, et que leur sensibilité doit
leur faire plus facilement surmonter les dégoûts attachés aux détails de la
misère. »40
L’idéalisation de la fonction maternelle aboutit ainsi au XIXe siècle
à étendre le rôle maternel en dehors de la seule sphère domestique. Les
grandes dames se voient donc assigner la mission de s’occuper des enfants
des autres et de diffuser leur idéal de maternité en direction des mères
infortunées. Les sociétés charitables à destination des mères mettent en
avant l’importance du lien personnel entre riches et pauvres établi par la
charité :
« Le caractère distinctif de la société maternelle est principalement
dans les rapports qu’elle établit entre les mères de famille pauvres et les
dames riches et charitables qui veillent à leurs besoins, qui les consolent
et les rendent meilleures par leurs avis répétés. »41
En effet, la relation de personne à personne permet de moraliser
davantage les indigents42. Les dames de charité ne se contentent pas d’apporter leur aide ; elles encouragent les comportements qu’elles jugent adéquats. Elles procurent ainsi des conseils qui instruisent les classes pauvres
de leurs devoirs43. Cette démarche est censée être une source de vertu et
de bonheur tant pour ceux qui reçoivent que pour ceux qui accordent
l’aide44 :
Martin-Fugier (Anne), la vie élégante…, op. cit., pp.155-156.
Archives nationales, F/15/2565, société de charité maternelle de Paris, 1850.
41
ibid.
42
La comtesse de Gasparin, grande dame proche des cercles du pouvoir sous la
monarchie de Juillet, essaye d’inciter ses semblables à pratiquer « la charité directe,
d’individu à individu », qui lui paraît bien préférable aux organisations philanthropiques
et charitables, qui déresponsabilise une partie des riches ; Gasparin (valérie, comtesse
de), il y a des pauvres à Paris… et ailleurs, Paris, L.-r. Delay, 1846, p. 107.
43
C’est la raison pour laquelle leur recrutement est très surveillé ; les dames de charité
doivent être irréprochables moralement afin d’être respectées. Le personnel de chaque
société de charité maternelle est constitué de l’élite noble et bourgeoise du lieu. Chaque
nouvelle recrue fait l’objet d’une enquête et doit être cooptée par une dame appartenant
déjà à la société.
44
Grogan (Susan), « Philanthropic Women… », art. cit.
La
comtesse de Gasparin indique le bien que fait aux riches l’aide directe aux pauvres :
donner de l’argent aux associations religieuse exerçant la charité ôte « tout ce que
vous apprendrait la vue des grandes douleurs, tout ce qu’elle développerait en vous
39
40
[195]
eMManUelle BeRtHiaUD
[196]
« En général il nous semble que le bien qui résulte des visites personnelles faites par les dames patronnesses aux femmes pauvres en couches
dépasse de beaucoup celui que la société peut faire par des services directs
et que les relations qui en résultent entre riches et pauvres ne pouvait pas
manquer de porter d’excellents fruits pour la moralisation de la classe
indigente. »45
Les dames patronnesses cherchent ainsi à évangéliser et à promouvoir les valeurs chrétiennes ; elles incitent notamment au mariage. Elles
essayent également de diffuser les valeurs familiales bourgeoises. Ainsi,
la comtesse de Gasparin essaye de convaincre les femmes de son milieu
de l’importance de leur rôle : « vous ne savez pas ce que c’est que d’entrer
dans l’intimité d’une famille nécessiteuse, que de vous faire ménagère
économe avec la mère, conseiller amical avec le père, sage et doux protecteur avec les enfants ! »46. En effet, la visite de la dame de charité au
domicile des indigents revêt un caractère essentiel.
On ne sait pas comment cette démarche, assez intrusive, est perçue par
les principaux intéressés47, mais certains comptes-rendus notent que les
dames de la société tiennent leur autorité sur les mères pauvres moins par
la gratitude que par la peur48. Ces visites, parfois effectuées par surprises,
sont toutefois défendues par les dames car elles leur permettent d’adapter
le secours aux besoins et de contrôler plus étroitement l’aide apportée49.
Inquiètes à l’idée d’être dupées, les dames veulent en effet pouvoir
contrôler l’état d’indigence et la situation réelle de la famille. C’est un
moyen notamment de repérer les pauvres au comportement déviant
qui sont responsables de leur pauvreté et ne méritent pas d’être aidés.
Les sociétés de charité maternelles privilégient d’ailleurs plutôt l’aide en
nature qu’en argent pour éviter qu’elle ne soit mal employée.
La fonction sociale assurée par les dames patronnesses est loin d’être
négligeable. Elles constituent un intermédiaire et un rouage essentiel
entre l’administration centrale et les pauvres50. Elles gèrent des fonds
d’abnégation et d’amour fraternel. Puis, vous dérobez au pauvre cette première fleur de
tendresse, ces premiers élans consolateurs qui sont sa richesse, à lui » ; Gasparin (valérie,
comtesse de), il y a des pauvres…, op. cit., p. 118.
45
Archives nationales, F/15/3799, société de charité maternelle de Bischwiller, 15 fév.
1867.
46
Gasparin (valérie, comtesse de), il y a des pauvres…, op. cit., p. 117.
47
Les dames patronnesses bourgeoises jugent nécessaires l’inspection du domicile des
indigents alors que semblable profanation de leur « home » inviolable serait considérée
comme intolérable ; Grogan (Susan), « Philanthropic Women… », art. cit.
48
Adams (Christine), « Constructing Mothers and Families… », art. cit.
49
Pour la comtesse de Gasparin, « si nous ne visitons pas le pauvre, si nous ne faisons pas
le compte de ses souffrances, nous n’établirons jamais de proportions équitables entre nos
revenus et nos libéralités, Gasparin (valérie, comtesse de), il y a des pauvres…, op. cit., p. 140.
50
voir Adams (Christine), Poverty, Charity and Motherhood…, op. cit.
les soCiÉtÉs De CHaRitÉ MateRnelle, De la CHaRitÉ à l’assistanCe MÉDiCale
importants qui influent sur le quotidien de milliers de familles. Leur
rôle local semble important même s’il est partout insuffisant, tant les
besoins sont considérables. Dans certaines villes, notamment en période
de crise, l’aide apportée semble dérisoire. Ainsi à Lyon en 1817, seules
234 mères reçoivent une assistance alors qu’une population de plus de
60 000 travailleurs est exposée au chômage51. A Lille, en 1818, 187 mères
reçoivent des secours alors que la municipalité estime qu’environ 700
femmes ont besoin de la bienfaisance publique pour accoucher dans la
ville52. Ailleurs, l’aide est plus conséquente et ces sociétés apportent un
complément essentiel aux actions officielles des bureaux de bienfaisance.
Si l’on s’en tient à l’exemple de Metz en 1865, on voit que 307 femmes ont
été aidées, 274 enfants sont nés viables, 7 morts en venant au monde, 11
dans les dix premiers mois. Si l’on rapproche ces chiffres de celui des
naissances d’enfants légitimes à Metz pendant l’année 1866 (930), « on
voit que la société de la charité maternelle a prêté son assistance au tiers
des mères et des enfants nés dans le cours de cette année »53. En outre,
l’action des sociétés de charité maternelle permet de réduire de manière
non négligeable la mortalité infantile. Cependant, le montant accordé
par les sociétés à chaque mère tend à diminuer entre le début et à la fin
du siècle, car de plus en plus de femmes sont aidées54. Avec un montant moyen de 10 francs par mois au milieu du XIXe siècle, les femmes
ne peuvent pas s’occuper de leur enfant sans travailler. Cette aide est
néanmoins appréciable et elle peut être complétée par d’autres moyens
d’assistance.
Outre leur action d’assistance à destination des indigents, l’expérience
des sociétés de charité maternelle est riche pour les femmes des élites qui
y participent. Même s’il s’agit avant tout d’une activité mondaine pour
certaines55, pour d’autres c’est un moyen de prendre conscience de la réalité de la question sociale et d’exercer de nouvelles responsabilités. En
effet, dans ces œuvres quasi exclusivement féminines, les femmes sont
émancipées de la tutelle masculine, elles apprennent à gérer des fonds, à
parler en public, à faire pression sur les hommes politiques. La protection
de la maternité des indigentes a permis à certaines femmes d’acquérir une
conscience politique et une conscience de genre : elles se reconnaissent
comme solidaires de toutes les femmes grâce à l’expérience de la maternité, malgré les barrières de classe. La philanthropie féminine dans son
Woolf (S.), « The Société de charité maternelle. ; », art. cit.
Grogan (Susan), « Philanthropic Women… », art. cit., p. 301.
53
Archives nationales, F/15/3799-3805, Charité maternelle de Metz.
54
Pour rachel Fuchs, le montant de l’aide à Paris passe de 100 francs au début du XIXe
siècle, à 80 francs à dans les années 1840, puis à 54 francs en 1851 ; Fuchs (rachel G.),
Poor and pregnant…, op. cit., p. 129.
55
La charité est une activité parfois très mondaine ; être dame patronnesse est « bien vu »
et conforte une position sociale.
51
52
[197]
eMManUelle BeRtHiaUD
ensemble est fortement marquée par ce courant que Jean-Pierre Chaline
qualifie de « maternalisme »56.
Même si les femmes jouent un rôle essentiel dans ces structures d’assistance, on peut toutefois noter qu’à la fin du XIXe siècle les sociétés qui
défendent mère et enfants tendent à évoluer, tant dans leurs fonctionnement que dans leurs buts57.
Une médicalisation croissante
des sociétés de charité maternelle
[198]
En effet, tout en continuant à accorder les secours traditionnels, les
charités maternelles dispensent de plus en plus de soins médicaux. Dès
leurs débuts, les sociétés de charité maternelle disposent d’un médecin et
un chirurgien attachés à l’établissement, auxquels sont également associés des sages-femmes, afin de réaliser les accouchements des indigentes.
Les praticiens médicaux se voient également confier la tâche d’administrer gratuitement les soins et de vacciner les enfants58. En effet, les charités maternelles sont chargées de promouvoir l’inoculation de la vaccine afin de lutter contre les ravages de la variole59. Ce type de démarche
préventive tend à se développer au cours du XIXe siècle, à mesure que
les médecins tiennent une place grandissante dans les structures d’assistance. Ainsi à Metz, la société accorde des « secours médicaux et
accouchements gratuits à toute femme dans une situation malaisée, des
consultations gratuites leurs sont données par MM. les médecins avant
et pendant l’accouchement »60. L’étude de la Charité maternelle de Metz
fournit d’ailleurs un exemple éloquent pour comprendre le lien entre ce
type de société, les autorités médicales et les autres structures d’assistance au niveau local61.
La Charité maternelle a en effet été fondée en 1804 par Pierre-Etienne
Chaline (Jean-Pierre), « Sociabilité féminine… », art. cit.,
rollet (Catherine), la politique à l’égard de la petite enfance…, op. cit.
58
Les infrastructures des sociétés de charité maternelle servent notamment aux
ambitions du programme social de Napoléon dont la généralisation de la vaccination fait
partie ; Adams (Christine), Poverty, Charity and Motherhood…, op. cit.
59
La vaccination antivariolique, découverte par le britannique Edward Jenner (17961798), a été introduite en France dès 1800, mais elle peine à s’imposer à causes des
résistances importante que suscite cette innovation ; Bourdelais (Patrice), les épidémies
terrassées. Une histoire de pays riches, Paris, La Martinière, 2003 ; Faure (Olivier), les
Français et leur médecine au XiXe siècle, Paris, Belin, 1993.
60
Archives nationales, F/15/2565, société de charité maternelle de Metz 1819.
61
Le plus souvent, un lien étroit existe entre la société de charité maternelle et le bureau
de bienfaisance municipal du lieu, comme c’est le cas à reims ou à Amiens ; Chaline
(Jean-Pierre), « Sociabilités féminines… », art. cit., p. 75.
voir Fayet-Scribe (Sylvie), associations féminines et catholicisme. De la charité à l’action
sociale (XiXe-XXe siècles), Paris, Ed. Ouvrières, 1990.
56
57
les soCiÉtÉs De CHaRitÉ MateRnelle, De la CHaRitÉ à l’assistanCe MÉDiCale
Morlanne (1772-1862)62, professeur d’accouchement à Metz, avec pour
objectif d’accoucher les femmes pauvres, de vacciner et de soigner les
enfants. Il souhaite combiner les activités classiques d’une charité maternelle avec la création d’infrastructures médicales pour accoucher les
femmes indigentes. Ainsi, le 27 septembre 1809, il crée un hospice tenu
par des sœurs de la Charité maternelle. Ces sœurs sages-femmes doivent
se vouer à l’accouchement des pauvres femmes à l’hospice, dans la ville ou
à la campagne, sous la responsabilité de l’accoucheur Morlanne. L’hospice
de la Maternité accueille désormais dans deux salles les pauvres femmes
qui sont soignées aux frais de la Charité maternelle. Le règlement de la
société précise en 1819 :
« Toutes les dames sociétaires ont le droit de recommander les pauvres
femmes enceintes à l’administrateur ; cette recommandation a lieu par un
simple billet signé d’une de ces dames. La femme qui réclame les secours,
soit à domicile, soit pour être admise à l’Hospice de la Maternité, doit être
munie de cette recommandation dès le septième mois de sa grossesse. »63
Dames patronnesses et sœurs sages-femmes unissent ainsi leur action
pour soulager la misère des femmes qui sont secourues soit à domicile,
soit à l’hospice, si leur état le nécessite :
« Indépendamment des cas d’accouchements qui se présentent de jour
et de nuit, les sœurs visitent celles des pauvres femmes qui sont malades,
soit pendant la grossesse, soit après les couches ; elles leur portent tout
ce qui est nécessaire à leur alimentation et à leur soulagement » ; « celles
des pauvres femmes que l’accoucheur jugera dans le cas d’éprouver une
délivrance difficile, celles qui seraient malades pendant la grossesse ou
qui le deviendraient pendant l’allaitement, seront reçues à l’Hospice de la
Maternité, et là on leur donnera tous les secours et tous les soins nécessaires à leur état. »64
Dans les comptes de 1819, il apparaît que 62 femmes sont venues faire
leurs couches à l’hospice, 201 femmes ont été secourues à domicile et 84
femmes ont pu accoucher gratuitement sans faire l’objet d’autres secours.
Il faut noter qu’à partir de 1811, à cause des dispositions votées par Napoléon, les filles-mères ne sont plus reçues avec les autres femmes à l’hospice
mais sont accueillies dans une structure particulière, appelée la Madeleine65. Toutefois, il semble que certaines dames patronnesses se laissent
parfois attendrir et continuent d’accorder des secours aux filles-mères.
Bouchon (Lucien), Un ami des enfants et des mères, le chirurgien Morlanne, fondateur
des sœurs de la Charité Maternelle de Metz, 1772-1862, Paris, 1930.
63
Archives nationales, F/15/2565, société de charité maternelle de Metz 1819. — Archives
nationales, F/15/3799-3805, règlement de la société de Charité maternelle de Metz.
64
Archives nationales, F/15/2565, société de charité maternelle de Metz 1819.
65
A cette date, l’hospice bénéficie de nouveaux locaux. En 1811, Pierre-Etienne Morlanne
crée une maison de santé pour les femmes enceintes où il loge les sœurs de la Charité
maternelle. En 1813, l’établissement comporte deux salles de cinq lits chacune.
62
[199]
eMManUelle BeRtHiaUD
[200]
Elles se font vigoureusement rappeler le règlement lors d’un compterendu de la société :
« quelques personnes mal informées ont cru que des sentiments d’humanité avaient pu, dans quelques cas particuliers, permettre dans cet hospice l’admission de femmes enceintes, autres que celles qui, pour y être
reçues, présentent l’extrait de leur acte de mariage ; l’Administration prévient de nouveau les Dames abonnées que cette disposition est contraire
aux statuts de l’association, et qu’aucune fille devenue mère, quelque-soit
son état d’infortune, n’a jamais été admise dans cet établissement, où on
reçoit à la vérité les femmes malheureuses mais honnêtes. »66
On le voit, l’heure n’est plus à la mansuétude avec les filles-mères. Le 2
décembre 1814, l’institut des sœurs de la Charité maternelle est approuvé
par décret du roi et la maternité est placée sous la surveillance administrative des hospices de Metz. Le règlement confirme que seules les femmes
mariées sont admises pour un accouchement67. L’institut des sœurs de la
Charité devient plus tard sainte Félicité68 et la Charité maternelle de Metz
est reconnue établissement d’utilité publique par un décret impérial le
23 avril 1853. Il faut attendre 1905 pour qu’une nouvelle maternité soit
construite permettant l’accueil des filles-mères jusque-là toujours interdites de séjour à la Maternité69. Sont toutefois prévues deux sections distinctes : une pour femmes mariées, une pour filles-mères.
On trouve ailleurs en province un lien entre certaines sociétés de charité maternelle et écoles d’accouchement. Ainsi à Pau, la fondation de la
société a coïncidé avec la création d’une école d’accouchement aux frais
du département70 :
« Depuis la société et l’école ont toujours confondu leurs efforts et leurs
ressources. Les femmes indigentes y font leurs couches dans les salles de
l’école où elles sont assistées par les élèves sages-femmes du département.
Les accouchements varient de 80 à 200 par an. L’intention des dames de
la Société de charité maternelle est à la fois morale et affective. Elles sont
consultées sur l’admission des femmes et après leurs couches, elles leur
délivrent une layette ou un secours de 15 à 20 francs. »71
A rennes également, avant la fondation d’un service d’accouchement à
Archives nationales, F/15/2564, société de charité maternelle de Metz, 1816.
Archives nationales, F/15/3799-3805, société de charité maternelle de Metz.
Les sœurs sont formées comme des sages-femmes ; on en compte huit en tout, quatre pour
le service intérieur (la supérieure, l’infirmière de la salle des accouchées, la cuisinière, la
lingère s’occupant aussi de la pharmacie), et quatre qui se rendent au dehors.
68
Les sœurs de la Charité maternelle sont une congrégation toujours active aujourd’hui ;
elle aide à la maternité dans le monde.
69
Elles étaient accueillies au dispensaire municipal.
70
L’école compte quatre médecins et accueille vingt élèves pendant deux ans.
71
Archives nationales, F/15/3894, rapport au ministère de l’Intérieur à propos de la
Société de charité Maternelle et Ecole d’accouchement de Pau, 13 octobre 1851.
66
67
les soCiÉtÉs De CHaRitÉ MateRnelle, De la CHaRitÉ à l’assistanCe MÉDiCale
l’hôpital, la société de charité maternelle sert à l’instruction des étudiants
en médecine qui peuvent ainsi pratiquer beaucoup d’accouchements72.
Ces exemples témoignent d’une imbrication étroite entre charité privée
et bienfaisance publique, fonctions d’assistance et fonctions médicales73.
On remarque d’ailleurs une médicalisation croissante de la grossesse dans
ces sociétés, comme cela s’observe dans certains hôpitaux à la toute fin du
XIXe siècle. Ainsi, certaines sociétés de charité maternelle commencent
à imposer des examens médicaux à la fin de la grossesse, non sans réticence de la part des futures-mères. Ainsi, la société de charité maternelle
de rennes bénéficie à partir de 1896 des services d’un accoucheur militant, le Dr Patay, persuadé de la nécessité de médicaliser la grossesse. Il
explique à ses confrères les nouveautés qu’il a introduites dans la société :
« Art. 8 : Les secours seront retirés à la mère qui en ferait mauvais usage
ou qui se refuserait à laisser vacciner ses enfants. J’ai obtenu que, dorénavant, on menacerait également de retirer les secours aux femmes qui
refuseraient l’examen obstétrical au cours de leur grossesse […]. quand
les femmes enceintes ont été admises à la réunion mensuelle de la société,
elles en sont avisées par la dame administrante de leur paroisse et elles
doivent se rendre chez le médecin accoucheur […]. Les femmes admises
viennent chez le médecin accoucheur chercher une carte pour la sagefemme qu’il leur désigne ou qu’il leur laisse choisir en connaissance de
cause. »74
Le Dr Patay ne consent à donner la carte qu’après avoir interrogé et
examiné chaque femme enceinte, ce qui suscite une levée de bouclier chez
les indigentes, peu enclines à se laisser examiner par un médecin, même
contre une promesse d’assistance :
« Je dois dire que cette manière de procéder n’a pas été appréciée
comme elle devait l’être par les femmes admises, et j’ai eu beaucoup à
faire, surtout au début, pour leur faire comprendre l’extrême utilité de cet
examen complet. Ces grandes multipares me répondaient, quelques fois
en pleurant « qu’on ne leur avait jamais fait cela », « qu’on leur avait dit
que cela faisait accoucher » ou « donnait des douleurs pendant des mois
après l’accouchement même ! », etc. Je fus obligé souvent d’agir de ruse, et
les circonstances me servant, je les décide presque toujours maintenant
assez facilement en leur disant « nous allons voir si vous êtes enceinte, et
s’il n’y en a qu’un » (la peur des jumeaux y est pour beaucoup). Certaines
femmes se sont complètement refusées à cet examen, et même s’étaient
répandues dans de belles lamentations que des dames administrantes
Patay (Dr), « La société de charité maternelle de rennes de 1896 à 1899 », art. cit.
Léonard (Jacques), « Femmes, religion et médecine. Les religieuses qui soignent, en
France au XIXe siècle », annales. economies, société, Civilisations, vol. 32, n°5, sept.-oct.
1977, pp. 887-907.
74
ibid.
72
73
[201]
eMManUelle BeRtHiaUD
[202]
elles-mêmes s’en étaient émues et trouvaient peut-être, je le crains, mon
zèle excessif. »75
Ce passage est éclairant à plus d’un titre. On mesure à quel point la
médicalisation de la grossesse est encore rare et ne va pas de soi à la fin du
XIXe siècle. Les femmes des milieux populaires ont toujours une grande
répugnance face aux examens intimes, notamment la pratique du toucher vaginal que souhaite répandre le médecin76. Celui-ci fait d’ailleurs
preuve de bien peu de psychologie féminine, sûr qu’il est de son savoir
et du bien-fondé de sa pratique. Il réussit quand même à parvenir à ses
fins, en jouant sur certaines peurs féminines (existence ou non de la grossesse, présence de jumeaux, accouchement difficile). Il confesse d’ailleurs
à ses collègues sa manière de procéder au moment de l’examen : « Après
l’avoir interrogé complètement afin de lui donner un peu de confiance,
je passe, moment difficile, à l’examen, et en y procédant, j’insiste sur
les dangers de l’éclampsie ; je lui en fais peur, et cela m’a toujours réussi
jusqu’ici »77. Le bilan de sa pratique lui paraît positif parce qu’il note que,
sur 216 femmes examinées par ses soins, aucune n’est morte et n’a connu
de pathologies graves au moment de l’accouchement ; alors que sur les 39
femmes qui se sont refusées à son examen, plusieurs cas d’accouchements
difficiles se sont présentés, notamment liés à des problèmes de présentation de l’enfant ou d’éclampsie.
Cet exemple est représentatif d’un changement d’attitude vis-à-vis de
la grossesse au tournant des XIXe et XXe siècles. Celle-ci devient l’objet
d’un intérêt et d’une vigilance nouvelle de la part des médecins78. Ce cas
particulier montre aussi le rôle croissant joué par les hommes dans les
structures d’assistance privées. Les médecins deviennent des « experts » et
marginalisent les dames de charité dont le rôle tend à s’effacer. Celles-ci
se font désormais le relais des médecins dans les milieux populaires, vulgarisant les conseils d’hygiène et d’élevage des enfants.
Structures originales et influentes tout au long du XIXe siècle, les sociétés
de charité maternelle voient leur rôle décroître à partir du dernier tiers du
siècle. En effet, leur action est de plus en plus critiquée par les républicains
qui pointent du doigt les limites de ces structures. Théodore roussel fait
notamment remarquer que « ces associations si utiles, le seraient davantage
si elles fonctionnaient avec des règlements moins chargés de restriction »79,
c’est-à-dire en aidant aussi les filles-mères. Paul Strauss est encore plus criibid.
Dans ce cas, 15, 29 % des femmes refusent l’examen : 255 femmes examinées, 216
acceptent l’examen, 39 le refusent ; ibid.
77
ibid.
78
voir notre thèse de doctorat sur ce point particulier.
79
roussel (Théodore), Rapport sur la loi pour la protection des enfants, p. 20 ; cité par
Lagneau (Dr G.), « De l’influence de l’illégitimité sur la mortalité », annales d’hygiène
75
76
les soCiÉtÉs De CHaRitÉ MateRnelle, De la CHaRitÉ à l’assistanCe MÉDiCale
tique80 : le « formalisme rigide » et le « caractère confessionnel » de ces structures nées sous l’Ancien régime paraît archaïque et politiquement suspect aux républicains souvent anticléricaux. Le nombre et l’activité de ces
sociétés tend alors à diminuer, car la réponse de l’Etat à la pauvreté évolue
et parce qu’elles sont concurrencées par de nouvelles formes d’assistances
aux mères81. quant à la prévention et à l’encadrement médical pendant la
grossesse, ils sont de plus en plus assurés par l’hôpital.
Il faut toutefois souligner le rôle pionnier joué par les sociétés de charité maternelle dans l’élaboration d’une politique à destination des mères
et des enfants. Comme dans d’autres pays occidentaux, les organisations
charitables féminines ont en effet une place essentielle dans la transition
qui conduit de la charité privée à un système d’assistance publique, même
dans un Etat centralisé comme la France82. Les sociétés de charité maternelle fournissent en effet un modèle pour les services de l’Etat-providence en France, les prestations des dames patronnesses anticipant ceux
des fonctionnaires salariés au XXe siècle83. Ces organisations charitables
ont également contribué à offrir une voix dans le débat national et une
forme d’influence politique aux dames de charité concernant la question
de l’assistance aux mères pauvres et à leurs enfants.
[203]
et de médecine légale, 1876, pp. 53-86 (mémoire lu devant académie de médecine le 26
janvier 1875), loc. cit., p. 69.
80
Strauss (Paul), l’enfance malheureuse, Paris, Charpentier, 1896.
81
Toutefois, les sociétés de charité maternelle n’ont pas toutes disparues ; celle de Paris
s’occupe actuellement des enfants sidéens.
82
La question de l’influence des organisations féminines charitables sur la politique
sociale de l’Etat et le développement de l’Etat-Providence en France a intéressé de
nombreux historiens, notamment anglo-saxons, et suscite la controverse. Alors que
la plupart des historiens jugeaient jusque-là leur rôle limité, les travaux de Christine
Adams tendent à montrer le contraire :
— Adams (Christine), Poverty, Charity and Motherhood…, op. cit.
— Bock (Gisela), Thane (Pat) eds, Maternity and Gender Policies : Women and the rise of
the european Welfare states, 1880’s-1950’s, London, routledge, 1991.
— Koven (Seth), Michel (Sonya) eds, Mothers of a new World. Maternalist Politics and
the origins of Welfare states, London, routledge, 1993.
— Klaus (Alisa), every child a lion : the origins of Maternal and infant Health Policy in
the United states and France, Ithaca, Ny, Cornell university Press, 1993.
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A partir de la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les femmes investissent de
nouveaux métiers comme celui de visiteuses sociales ou d’inspectrices et leur mode
d’action doit beaucoup aux dames œuvrant pour les sociétés de charité maternelle,
s’inscrivant dans le phénomène de féminisation du personnel soignant qu’on observe
dès la fin du Moyen Age.