Face à la crise historique engendrée par la pandémie de coronavirus, organisons notre sécurité alimentaire

Contribution externe

Une opinion rédigée et transmise à la Première ministre et aux Ministres-présidents régionaux par un collectif de signataire (voir ci-dessous).

Ce 26 mars, les Nations Unies ont lancé un avertissement : "les mesures de confinement liées au coronavirus pourraient causer une pénurie alimentaire mondiale". Flambées de prix, ruptures de stock de denrées, brusque hausse de commandes aux producteurs, protestations de camionneurs, conditions de travail difficiles pour les saisonniers, des signaux qui posent question par rapport aux tensions qui traversent un système de distribution alimentaire organisé sur la base de flux tendus.

Le Gouvernement flamand a lancé la semaine passée un appel pour attirer des travailleurs wallons dans les exploitations agricoles du Nord du pays, faute de saisonniers en suffisance. En France, le ministre de l’agriculture appelle les personnes sans emploi à aller soutenir les agriculteurs dans les champs. Et en Wallonie, des maraîchers s’interrogent sur la nécessité d’augmenter leurs surfaces cultivées au vu de la demande accrue.

Alors qu’en est-il de la capacité de production des territoires qui nous nourrissent ? Nombreux à être confinés en pleine pandémie, les ouvriers agricoles des zones maraîchères d’Espagne, d’Italie, ou du Maroc, seront-ils au rendez-vous pour produire et livrer les fruits et légumes que nous consommons au quotidien ? Quelle saison agricole vivrons-nous chez nous, alors que la production alimentaire est menacée par le changement climatique, la sécheresse, les vagues de chaleur et la disparition progressive des insectes pollinisateurs, y compris en Belgique ? Qui traite ces questions dans notre pays ?

Vers une autonomie alimentaire minimale

A court, moyen et long termes, la sécurité alimentaire de la Belgique est un enjeu vital. La quantité, la qualité et l’accessibilité de la nourriture sont essentielles à notre santé et à notre immunité face aux possibles vagues successives du coronavirus. Cet enjeu mérite l’attention immédiate de l’État belge. Car tous les scénarios doivent aujourd’hui être envisagés. La pandémie de coronavirus est historique à plus d’un titre. Le principe de précaution implique d’anticiper les effets de seuil possibles et de se préparer à de possibles aggravations dans tous les secteurs d’activités vitaux en prévoyant les réponses adéquates.

Chez nous, la fédération belge de l’industrie alimentaire (Fevia) et les fédérations wallonne et flamande de l’agriculture (Fwa et Boerenbond), ont demandé à reconnaître le secteur agroalimentaire comme d’importance vitale et et de prendre les mesures de crise nécessaires pour assurer la continuité de l’activité et assurer l'approvisionnement. Nous saluons cette initiative mais nous la pensons insuffisante à ce stade pour répondre à l’enjeu.

La Belgique doit disposer d’une autonomie alimentaire minimale. Cette nécessité appelle à mettre en oeuvre une stratégie déterminée le plus rapidement possible car nous sommes en début de saison de production agricole, et les décisions qui engagent nos capacités de production sont prises pour les prochains mois. Toutes les cultures ne sont pas comestibles pour les humains, étendre les surfaces maraîchères ne peut se faire en un tour de main et les semis sont réalisés à des dates précises.

Nous sommes disponibles

C’est pourquoi nous sommes disponibles pour soutenir la Première ministre Sophie Wilmès dans la mise en place d’une task force interfédérale chargée de planifier et mettre en place une politique de résilience alimentaire pour notre pays, selon différents scénarios critiques et au cas où les échanges internationaux ne suffiraient plus à assurer l’alimentation des Belges. Cette politique de résilience devrait être déclinée à tous les échelons, européens et belges, et s’inscrire dans un cadre international de sécurité alimentaire solidaire, tenant compte de la situation des populations les plus vulnérables. Il s’agit également de solliciter l’expertise académique, institutionnelle, économique et associative pour mettre en place cette “ceinture de sécurité alimentaire” qui protège les citoyen.ne.s dans notre pays.

Selon nous, les dispositions prises pour le déploiement d’un plan d’urgence de souveraineté alimentaire équitable et solidaire devraient faire l’objet d’une publication en toute transparence. Prix, stocks, flux d’approvisionnement, surfaces cultivées, demande et offre alimentaires intra-belges doivent faire l’objet d’un suivi rigoureux et indépendant. Gestion des semences, contrats d’approvisionnement collectifs, aide aux coopératives, appel aux citoyens, développement des ceintures alimentaires, soutien à l’emploi agricole doivent être envisagés. L’histoire illustre l’importance des productions alimentaires au niveau local et de la diversification des filières pour augmenter la résilience générale du système face aux crises. Le Conseil National de Sécurité doit aussi prendre en compte la possibilité de fournir en semences les citoyens afin de cultiver un potager à brève échéance.

Enfin, nous appelons les autorités à porter la discussion au niveau européen pour déployer une Politique Alimentaire Commune résolument durable et solidaire et à inscrire celle-ci dans le cadre de la déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans, qui offre une garantie d'accès aux semences et de souveraineté alimentaire pour chaque pays.

Nous disposons en Belgique de terres fertiles et de capacités d’innovation et d'adaptation parfois insoupçonnées. Alors, agissons sans attendre afin d’assurer ensemble la sécurité alimentaire chez nous et ailleurs, aujourd’hui et demain !

Cet appel a été transmis à la première ministre et aux ministres-présidents régionaux par les cosignataires suivants:

Philippe Baret, professeur à l'Université de Louvain

Gauthier Chapelle, auteur, ingénieur agronome et docteur en biologie

Cédric Chevalier, ingénieur de gestion et économiste, coauteur de Déclarons l'État d’Urgence écologique

Nicolas Dendoncker, géographe, professeur à l’Université de Namur, Lead author de l'IPBES

Olivier De Schutter, co-président du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food),

Patrick Dupriez, ingénieur agronome, président d’Etopia

Corentin Hecquet, docteur en sciences de l’environnement, spécialiste des réseaux semenciers

Julie Hermesse, docteure en science sociale politiques et sociales, chargée de recherche à l’Université de Louvain

Marc Lemaire, ingénieur agronome, coalition Kaya

Pierre Ozer, chargé de recherche en sciences et gestion de l’environnement, ULiège, co-fondateur du Festival Nourrir Liège

Pierre M. Stassart, ingénieur agronome, professeur de sociologie de l’environnement à l’Université de Liège

Raphaël Stevens, auteur, chercheur, expert en risques systémiques et résilience

Julie Van Damme, coordinatrice de la Cellule transversale de Recherches en Agriculture biologique du CRA-W

Jean-Pascal van Ypersele, professeur à l'Université de Louvain

Marjolein Visser, professeur associé, Chair of Agroecology, Université Libre de Bruxelles

Si vous souhaitez vous joindre aux signataires de cet appel, vous pouvez le signer également ici : https://framaforms.org/organisons-notre-securite-alimentaire-1586166455

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