Oh Raymond !

Annotation :

Est-ce d'avoir inventé un faux auteur qui a permis à Queneau d'écrire ce livre si différent du reste son œuvre, ou est-ce parce qu'il était si différent qu'il lui fallait appartenir à un faux auteur ? En tout état de cause, OETTBALF est surprenant. Très surprenant. Quelques révoltés irlandais s'emparent d'une Poste à Dublin en 1916, une loyaliste se retrouve enfermée avec eux, dehors les Anglais préparent l'encerclement… en fait on se croirait presque dans un film de Hawks ! Au coeur du problème, la lutte entre Réflexe et Réflexion : penser empêche-t-il d'agir, agir empêche-t-il de penser ? Comme pour mieux coller à ces questionnements, le romanesque se dérobe, et la forme choisie - une grande majorité de dialogues pour une action ramassée en lieu et temps - efface le plus possible le commentaire de l'auteur. On le devine caché en tapinois, observant plus que jugeant cette troupe hétéroclite de révolutionnaires paumés, riant certes in petto de l'ironie de l’existence, mais bluffé tout de même par ce que cette existence possède de force vitale, envers et contre tout.

Annotation :

Alors que l’Europe est en train de se diriger tout droit vers une seconde guerre mondiale, Queneau pour son sixième roman choisit de revenir sur l’hiver 1916, alors que s’éternise un conflit qui ne devait durer que quelques semaines. Roman de l’arrière à tout point de vue : arrière saison, arrière pays (la scène est au Havre, ville de naissance de l’auteur), et galerie de personnages en marge des combats, à l’image du héros démobilisé à cause d’une blessure à la jambe. Et le boiteux Bertrand de tirer cet étrange Winterreise du côté de la souffrance et de l’errance : veuf à vingt ans à cause d’un rude fait divers (et d’hiver lui aussi, puisque arrivé le 21 février 1904, la date de naissance de Queneau), il mène une vie morne, comme congelée, attendant que sa jambe guérisse pour repartir au combat. Pessimiste, défaitiste, il traine dans les rues glacée d’une ville, et d’une vie, qu’il n’aime pas. Tout devrait nous pousser à le condamner, et pourtant Queneau relève la gageure, sans même utiliser les armes de la fantaisie et de l’humour qu’il maitrise si bien. Non, il décide de rester de plein pied face à la douleur lancinante de son personnage, de la circonvenir, de la creuser, de l’épuiser. Comme d’habitude chez lui, l’oeuvre est truffée de sous-entendus et de clés (la principale étant donnée par le nom de famille de Bernard - Lehameau - qui n’est autre que la traduction de Hamlet en français) parsemées sans en avoir l’air, non pas tant pour leur valeur métaphorique que pour souligner que tout oeuvre littéraire ne vaut que si elle demande de la part du lecteur une collaboration, une compassion au sens fort du terme. Un travail en commun qui reste tapi au coeur d’un texte à la fois très simple et très complexe, éminemment poétique. Perec ne s’y était d’ailleurs pas trompé : « La première fois, je me suis émerveillé de cette histoire tranquille en me demandant comment elle faisait pour m'émouvoir. Depuis, à chaque relecture, je découvre un détail auquel je n'avais pas prêté attention. Aucune de ces découvertes n'est vraiment originale mais, de surprise en surprise, de découverte en découverte, Un rude hiver, pour moi, s'achemine doucement vers l'inépuisable. »

Annotation :

Un Queneau un peu mineur, certes, mais même comme ça, cette histoire d’un rêveur éveillé, façon Walter Mitty avant la lettre, est diablement chouette à lire. La faute aussi à ces fusées incessantes, ces inventions langagiques, ces pitreries ortographières, autant de pieds de nez à la convenance et au sérieux dont Raymond avait le génie.