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Déchets nucléaires

Déchets nucléaires : le gouvernement britannique cherche désespérément une solution

La Grande-Bretagne a repoussé pendant des années la question du devenir de ses déchets radioactifs. Pour y remédier, le gouvernement actuel a lancé une opération de séduction des communes rurales pour les inciter à accueillir le site de la future poubelle nucléaire.

  • Londres (Grande-Bretagne), correspondance

L’époque est révolue où les Britanniques réglaient la question des déchets nucléaires en les jetant dans la Manche. Pourtant, aucune solution à long terme n’est venue remplacer cette méthode expéditive. Les déchets radioactifs accumulés depuis des décennies traînent dans les centrales, en majorité dans celle de Sellafield, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Ils y sont stockés de façon précaire dans des bouteilles en plastique ou dans des bennes disposées au fond de cuves d’eau au béton dégradé et exposées aux intempéries. C’est ce qu’a révélé un documentaire de la BBC en 2016. « Cette émission a montré une image négative de notre sûreté, dans laquelle nous ne nous reconnaissons pas », avait annoncé un représentant de la centrale à l’époque. Un des lanceurs d’alertes à avoir parlé à la BBC, un ancien cadre supérieur de Sellafield, disait alors qu’il s’inquiétait « chaque jour » pour l’état du centre.

Autant dire que trouver un lieu de stockage permanent pour cet héritage empoisonné devient urgent. Et quel héritage ! Quelque 155.000 m3 de déchets contre près de 138.000 m3 en France. Le seul site de Sellafield abrite le plus grand stock de plutonium civil au monde, 112 tonnes, une quantité astronomique lorsqu’on sait que pour faire une arme nucléaire, il suffit de 5 à 10 kilogrammes. C’est un défi qui menace depuis des décennies, sans qu’aucun gouvernement ne se soit décidé à le relever. « Il est toujours plus rentable de remettre le problème aux gouvernements suivants, car créer un site de stockage est une politique très impopulaire, dit Stephen Thomas, chercheur en politique énergétique à l’université de Greenwich. Ne rien faire fera toujours perdre moins de points au gouvernement. Donc, c’est ce qu’ils ont fait depuis trente ans. »

« Trouver une collectivité qui accepte de devenir une décharge nucléaire » 

On pourrait croire que le gouvernement de Theresa May, engagé dans les négociations chaotiques du Brexit, n’aurait pas envie de s’ajouter d’autres sujets de controverse. Pourtant, en décembre dernier, Londres a annoncé qu’il recommencerait la recherche d’un lieu d’enfouissement des déchets. « Nous avons besoin d’une solution permanente, et puisque c’est nous qui avons profité des retombées de la technologie nucléaire, c’est notre responsabilité d’en gérer les déchets », annonce Richard Harrington, le sous-secrétaire d’État chargé du nucléaire. Il évoque un « service public responsable pour les générations futures ».

Le site de Sellafield stocke 112 tonnes de plutonium.

Depuis une dizaine d’années, il y a consensus au sein du gouvernement britannique sur la manière de stocker les déchets : l’Angleterre optera pour le stockage en couche géologique profonde. Une méthode qui fait penser à une « poupée russe », explique Neil Hyatt, professeur de chimie de la matière nucléaire à l’université de Sheffield. « La première poupée s’insère dans une plus grande, qui s’insère dans une encore plus grande, et cetera. C’est comme ça que nous cherchons à contenir les déchets radioactifs. » Les déchets seraient empaquetés dans des conteneurs résistants à la corrosion, qui seraient ensuite placés dans une cavité de stockage à 500 mètres de profondeur, que l’on remplira d’argile ou de ciment. Une succession de barrières naturelles et artificielles qui « permet de s’assurer qu’aucune quantité nocive de radioactivité n’atteindra jamais la surface », assure le site web du gouvernement.

Trouver un lieu d’enfouissement présente d’abord un enjeu géologique : il faut un sous-sol adapté, une formation géologique stable depuis des millions d’années et susceptible de le rester pendant les centaines de milliers d’années que mettront les déchets à perdre leur radioactivité. Mais la géologie n’est pas le défi principal, puisqu’une « bonne partie du sous-sol du Royaume-Uni est adaptée », explique Ann McCall, chargée de la recherche de lieu et de l’engagement communautaire au sein du Radioactive Waste Management, l’organisation publique chargée des déchets nucléaires, au quotidien The Guardian. Le plus gros du travail consiste à trouver une collectivité qui accepte de devenir une décharge nucléaire. « Nous devons rentrer en contact avec les collectivités, expliquer notre projet en profondeur, sensibiliser la population, afin d’attirer une commune qui accepterait d’abriter un tel site », dit Ann McCall.

Dans un contexte d’austérité, certaines collectivités risquent d’être tentées

Les communes volontaires risquent d’être rares : lors de la dernière tentative pour trouver un lieu d’enfouissement en 2013, une seule s’était proposée, Allerdale, dans le Cumbria, avant d’y renoncer face à l’opposition populaire.

« C’est un conseiller municipal qui a proposé notre commune, de façon très mesquine, puisqu’on ne l’a découvert que plusieurs années plus tard, explique Geoff Betsworth, habitant d’Allerdale et président de l’association Cumbria Trust. Par la suite, nous avions découvert qu’il s’était fait inviter à des dîners, à des soirées, aux frais des industriels du nucléaire. » En effet, le comté de Cumbria est une cible de première ligne pour l’industrie. L’une des zones les moins densément peuplées du Royaume-Uni, on pouvait espérer y trouver une faible opposition de la population, surtout que celle-ci est bien accoutumée au nucléaire. C’est dans le Cumbria qu’est située l’immense centrale de Sellafield.

Pourtant, de nombreuses personnes se sont mobilisées contre le projet, et les opposants et opposantes ont fondé le Cumbria Trust, qui a fait venir des experts pour examiner le terrain. « Ils ont montré que le terrain n’est pas du tout adapté, dit Geoff. Il y a des montagnes, des cours d’eau au débit rapide… Ici, lorsqu’on enterre quelque chose, ça a tendance à remonter à la surface. » Ces découvertes ont poussé Geoff à composer une chanson de protestation, intitulée The Wrong Rock (mauvaise roche). « Là où la géologie se prête le mieux, c’est sous Londres. Leur sous-sol est en argile. On devrait mettre ça sous Westminster ! » rigole-t-il.



En 2013, le Cumbria Trust a réussi à faire pression sur les politiques, et le conseil régional a retiré la candidature d’Allerdale en 2013. Aujourd’hui, Londres voudrait éviter l’obstacle de la gouvernance locale. Dans son nouveau plan, le gouvernement a supprimé le droit de veto des conseils régionaux, et la décision finale sur le lieu d’enfouissement pourrait être déterminée par un référendum local, selon The Guardian.

Pour soudoyer la population, jusqu’à 2,5 millions de livres (2,8 millions d’euros) par an seront proposés à la commune qui accepterait les déchets. De l’argent qui pourrait servir à améliorer les routes, mettre en place des programmes d’apprentissage ou venir en aide aux plus démunis … Dans un contexte d’austérité, certaines collectivités risquent d’être tentées. De plus, le gouvernement insiste sur la création d’emplois liés au centre de stockage : 1.000 postes pendant la construction du site, et 600 par la suite.

Le sujet des déchets nucléaires est très peu présent dans le débat public en Angleterre 

« Ce n’est pas une région très riche, et je pense que les gens risquent d’être manipulés. On leur tend la carotte, et ils vont vouloir le saisir », dit Geoff. Il explique que certains habitants de sa ville le « foudroient du regard » à cause de son rôle dans le mouvement de contestation. « Certains travaillent à Sellafield, et verraient d’un bon œil l’arrivée de nouveaux emplois dans le secteur », dit-il. Sauf qu’en réalité, les retombées sociales du projet risquent d’être modérées, puisque l’économie du Cumbria repose beaucoup sur le tourisme au sein du parc naturel du Lake District. Le secteur « pourrait être mis à mal si l’on commence à faire des trous de forage dans le sol », dit Geoff. Surtout que le gouvernement n’a pas écarté la possibilité de construire la base de stockage sous le parc naturel lui-même.

À Allerdale, le mouvement d’opposition se prépare à renaître face au nouveau plan du gouvernement. « Pour le moment, on attend, on garde les yeux ouverts. On sait que l’on arrivera à mobiliser du monde dès qu’il le faudra », dit Geoff, qui a d’ores et déjà commencé à composer une nouvelle chanson de protestation.

Malgré les poches de résistance locales, le sujet des déchets nucléaires est très peu présent dans le débat public en Angleterre. « Les Britanniques sont connus pour leur désintérêt envers l’industrie nucléaire. C’est très difficile de faire s’intéresser les gens à ce sujet, explique Stephen Thomas. Les plus grandes ONG environnementales n’ont même pas de campagne en cours sur les déchets radioactifs en Angleterre. » En effet, contactée par Reporterre, la branche britannique des Amis de la Terre n’a pas voulu commenter : « Nous ne menons actuellement aucune action à ce sujet. »

Un silence bien pratique pour l’industrie nucléaire, explique Adam Vaughan, journaliste du Guardian spécialiste des questions énergétiques, dans un podcast. « C’est un scandale que nous en parlions aussi peu, et c’est très avantageux pour l’industrie nucléaire, surtout au moment où nous débattons du futur de l’énergie. » Le silence autour du nucléaire permet au gouvernement anglais d’avancer ses ambitions nucléaires - et d’esquiver la question qui doit être au cœur de tout débat autour des déchets, selon David Elliott, auteur du livre Nucléaire ou pas Nucléaire L’énergie nucléaire a-t-elle sa place dans un avenir durable .

« Ces déchets-là n’auraient jamais dû être produits, dit-il. Ça doit être cela, le point de départ de toute discussion. »

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