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Que penser (juridiquement) de l’article 24 de la proposition de loi “relative à la sécurité globale” ?

Sommaire

Bonjour à tous,

Il m’a semblé utile, dans la situation actuelle, de me pencher un peu sur ce fameux article 24 qui fait – à raison – polémique.

Remarque préalable : L’article que je vous propose aujourd’hui est une analyse JURIDIQUE et non politique. J’ai bien sûr mon opinion sur certains points, mais je me contenterai ici de vous exposer les points juridiques qui me semblent utiles pour bien comprendre la situation. Libre à chacun, ensuite, de conforter ou réviser sa propre opinion. Je précise également que les commentaires étant modérés sous cet article – comme dans l’ensemble du blog -, tout commentaire qui serait exclusivement politique (quelles qu’en soient la nature et l’orientation) risque bien de ne pas être validé. Ce blog n’est pas destiné à des polémiques politiques mais à des analyses juridiques.

(Dernière mise à jour : le 4 septembre 2021)

L’article 24 de la « Loi sur la sécurité globale » pose différentes questions sur le plan juridique, questions que je vais regrouper en trois catégories :

        • Sur la procédure législative
        • Sur l’inutilité d’une disposition supplémentaire et les risques de l’inflation législative
        • Sur l’application de l’article après son entrée en vigueur

Je commencerai toutefois – c’est la base ! – par reproduire le texte de l’article en question, tel qu’il se présente au jour où je rédige cet article.

L’article risque donc d’être plus long que ce que je vous propose d’habitude. J’ai hésité, au départ, à le diviser en plusieurs parties mais cela n’aurait sans doute pas aidé à la compréhension. Par contre, les éventuelles évolutions seront ensuite SOIT intégrées dans cet article de façon visible, SOIT, si cela s’y prête, feront l’objet d’un article dédié. Dans tous les cas, je ferai des renvois explicites entre les différents articles du blog où j’évoque cette question. J’ai d’ailleurs créé une rubrique spéciale intitulée “Loi relative à la sécurité globale”, et dans laquelle je publierai également des analyses d’autres dispositions de ce texte. Je vous invite donc à consulter cette rubrique.

A. L’ÉTAT ACTUEL DU DROIT ET LE TEXTE DE L’ARTICLE 24 DE LA PROPOSITION DE LOI « SÉCURITÉ GLOBALE »

À l’heure actuelle, la loi n’interdit nullement de filmer les forces de l’ordre en cours d’intervention, sauf lorsqu’il s’agit de certains services spécifiques (qui, en pratique, interviennent d’ailleurs généralement cagoulés). Pour les interventions « ordinaires » de la police et de la gendarmerie, comme les difficultés ne datent pas d’hier, une circulaire ministérielle datant déjà de 2008 (et disponible au téléchargement sur mon blog ICI) rappelle de façon très claire :

(Extrait de la Circulaire de 2008 disponible dans la section
« Téléchargements » de ce blog)

Mais depuis quelques années, la question revient régulièrement et plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées en vue de limiter le droit de filmer et/ou de diffuser des images des forces de l’ordre.

Pour que l’on sache bien de quoi il est question, il faut d’abord reproduire le texte de cet article de l’actuelle proposition de loi.

Au jour où je rédige cet article (29 novembre 2020), et dans la rédaction qui est la sienne à ce stade de la procédure législative, l’article 24 se compose de deux alinéas :

« Article 24
I – Le paragraphe 3 du chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par un article 35 quinquies ainsi rédigé :
« Art.35quinquies.
Sans préjudice du droit d’informer, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale, lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police.»
II. Les dispositions de l’article 35 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne font pas obstacle à la communication aux autorités administratives et judiciaires compétentes, dans le cadre des procédures qu’elles diligentent, d’images et éléments d’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipales »

Il s’agit donc, par cet article de loi, de rajouter un article dans la fameuse loi de 1881 (maintes fois complétée depuis sa promulgation, bien sûr) sur la Liberté de la presse. Et ce futur article 35 quinquies contiendrait l’incrimination telle que rédigée dans l’article 24 de la loi sur la sécurité globale.

La motivation qui précédait la loi l’inscrivait dans une volonté de protéger les policiers, certains faisant l’objet de menaces et de cyber-harcèlement, ce qui est en effet un fait avéré.

Mais nous verrons dans la suite de l’article que les moyens proposés pour lutter contre cet état de fait risquent bien de dépasser largement la finalité avouée et qu’il existe déjà d’autres modes d’action qui pourraient assurer une protection tout aussi efficace… et moins dangereuse pour les libertés publiques.

Notez que le début du premier alinéa, « Sans préjudice du droit d’informer…»  a été rajouté par rapport au texte initial pour (tenter de) rassurer sur les intentions du législateur quant à la liberté de la presse. Nous verrons dans la suite de l’article que cela paraît très insuffisant, pour toutes les raisons que je vais détailler.

Entendons-nous également : je ne nie absolument pas que des membres des forces de l’ordre puissent être victimes de comportements abusifs, menaçants voire délictueux ou criminels. Mon analyse portera uniquement sur l’adéquation de la proposition de loi au but qu’elle dit poursuivre ET aux principes fondamentaux de la démocratie, par rapport à l’arsenal législatif qui existe déjà. Ainsi, d’ailleurs, que sur les risques qu’elle présente également lorsqu’à l’inverse, les membres des forces de l’ordre ne sont plus les victimes mais les coupables de dérapages tout aussi délictueux ou criminels.

B. LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE

1) Rappel synthétique de la procédure législative

Un petit rappel est utile à cet égard.

Il y a deux façons pour le Parlement (composé de l’Assemblée nationale et du Sénat) d’être saisi d’un texte susceptible de devenir ensuite une loi :

. Soit le texte émane du pouvoir exécutif (le gouvernement, donc essentiellement le premier ministre). On parle alors de PROJET de loi. Ces projets ont été, au préalable, délibérés en Conseil des ministres, après quoi ils sont soumis obligatoirement au Conseil d’État qui va donner un avis “consultatif obligatoire”, c’est-à-dire qu’il est obligatoire de demander son avis mais qu’ensuite, l’avis lui-même n’est que “consultatif”. Cela fait, le projet de loi est ensuite déposé, au choix du premier ministre, soit à l’Assemblée nationale soit au Sénat (sauf dans certaines matières où il faut privilégier l’une ou l’autre de ces assemblées).

. Soit, au contraire, le texte émane d’un député ou d’un sénateur : on parle alors de PROPOSITION de loi. Dans ce cas, l’avis du Conseil d’État n’est pas obligatoire (preuve sans doute que le législateur, lorsqu’il a voté la constitution, se méfiait moins des représentants élus que du pouvoir exécutif) mais PEUT être demandé par le Président de l’assemblée devant laquelle la proposition de loi a été déposée avant que cette proposition soit examinée par une commission. Notons – et cela est important dans la suite de mon article – que les « commissions » dont il est question ici sont des commissions permanentes de l’Assemblée nationale ou, parfois, des commissions spéciales dans le cadre desquelles l’avis de différents intervenants peut être demandé.

Le délai normal de cette procédure est, au minimum, de six semaines entre le dépôt d’un texte et sa discussion en séance par celle des deux assemblées (Assemblée nationale ou sénat) devant laquelle le texte a été déposé, puis quatre semaines supplémentaires devant la seconde assemblée.

MAIS, le gouvernement peut « décider d’engager la procédure accélérée », qui implique malgré tout certaines conditions (je ne rentre pas dans les détails). Ce fut le cas pour cette proposition de loi.

Pour aller plus loin

. Sur la procédure dans son ensemble :
http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/la-procedure-legislative

. Sur l’examen des propositions de loi en commission :
http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/l-examen-des-textes-en-commission

. La liste des huit commissions permanentes est visible sur la gauche de cette page http://www.senat.fr/commission/loi/index.html

 

 

 

Les textes, qu’il s’agisse de propositions ou de projets, vont ensuite faire des allers-retours entre les deux assemblées (on parle de « navette parlementaire ») jusqu’à ce qu’un texte identique soit voté de part et d’autre, après quoi la loi peut être promulguée, et entrer en vigueur à la date fixée par le législateur (ce peut être quasi immédiatement, ou parfois de longs mois plus tard).

2) Le dossier législatif de la loi “Sécurité globale”

Dans le cas qui nous occupe, le texte de cette future « Loi relative à la sécurité globale » est bien d’origine parlementaire, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi (« Proposition de loi n°3527 relative à la sécurité globale ») déposée le 20 octobre 2020 par le député Jean-Michel FAUVERGUE (LREM).

Sa fiche sur le site de l’Assemblée nationale est accessible ici : http://www2.assemblee-nationale.fr/deputes/fiche/OMC_PA721702. Vous y trouverez notamment – au jour où j’écris cet article – différentes vidéos sur les auditions diverses à propos des « pratiques et doctrines de maintien de l’ordre », ce qui correspond aux travaux de la commission chargée d’examiner cette proposition de loi, lesquels se tiennent à distance, confinement oblige.

Vous pouvez accéder au dossier législatif complet sur le site officiel ici : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/alt/securite_globale1. Cette page se mettra à jour au fil de l’évolution du processus législatif qui la concerne.

D’autres dispositions de la loi méritent à mon sens qu’on s’y attarde. Mais revenons à l’article 24.

Voici quelques étapes de la chronologie :

. 20 octobre 2020 : Dépôt de la proposition de loi par le député Fauvergue

. 3 novembre 2020 : Le Défenseur des droits (en fait pour l’instant LA DéfenseurE des droits – https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/institution/organisation/defenseur), rend un avis très défavorable sur cette proposition de loi de façon générale, et indique dans son avis, à propos de l’article 24 :

Selon elle, l’article 24 présente un triple risque :

. L’atteinte au principe de légalité des délits et des peines (car il s’agit ici de réprimer l’INTENTION dans laquelle une diffusion intervient)

. Le risque d’obstacle au contrôle des forces de sécurité

. Le risque d’atteinte aux libertés d’information et de communication

La Défenseure des droits souligne déjà que d’autres dispositions légales existantes permettent de protéger les policiers. Ceci est mon résumé du rapport, mais je vous invite (et incite) à lire l’avis complet. Ce qui concerne l’article 24 de la proposition de loi est en pages 4 à 6 (haut de page) de l’avis accessible en ligne ICI.

. 13 novembre 2020 : Différents députés déposent un amendement visant au rejet total de l’article 24 au motif justement que l’arsenal législatif punit déjà les faits qui sont visés, et que l’article est en outre contraire aux principes généraux du droit pénal, et constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication, ainsi qu’au droit d’une société démocratique d’exercer un contrôle sur ses forces de l’ordre.

Les députés, auteurs de cet amendement, relevaient aussi que de nombreuses institutions (notamment la Défenseure des droits, Amnesty international, le Conseil national des Barreaux) réprouvaient une telle disposition qui n’avait aucun équivalent dans un pays démocratique (voir http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3527/AN/921 le détail de la motivation de cet amendement, qui fut bien sûr rejeté…), puisque l’article lui-même fut adopté le 20 novembre.

Il est aussi intéressant de parcourir tous les amendements qui ont été déposés à propos de cet article et du reste de la loi, et qui sont énumérés dans cette liste :

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements?dossier_legislatif=DLR5L15N40712&examen=EXANR5L15PO717460BTC3527P0D1&page=1

. 17 novembre 2020 : Après l’adoption du texte par la Commission des lois, la Défenseure des Droits rend un second avis (disponible ICI).

Elle y rappelle à nouveau que dans le principe, « le policier ou le gendarme ne peut s’opposer à l’enregistrement d’images et de sons » et que « la liberté d’information, qu’elle soit le fait d’un journaliste ou d’un particulier, prime sur le droit à l’image ou au respect de la vie privée dès lors que cette liberté ne porte pas atteinte à la dignité de la personne » (avis de la Défenseure des Droits, 17/11/2020, p.5).

Selon la Défenseure des droits, si la proposition de loi ne remet pas ce principe en cause, elle priverait ces images d’effets en limitant leur diffusion (rapport, p. 5) alors que l’exercice de la liberté d’expression et de communication est « une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés » (avis, pp. 5 et 6). Elle en conclut donc que « l’infraction prévue par cette proposition de loi n’est pas nécessaire à la protection des policiers et gendarmes, porte atteinte de manière disproportionnée à la liberté d’expression et crée des obstacles au contrôle de leur action » (rapport, p. 6).

Elle rappelle à nouveau que d’autres dispositions légales permettent déjà cette protection.

Son rapport est cette fois un peu plus long que le premier, publié le 3 novembre, mais va dans le même sens, en étayant encore les argumentations.

. 24 novembre 2020 – Adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale et renvoi à la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

. 26 novembre 2020 :  Le 1er Ministre Jean Castex annonce soudain qu’il nommera une “commission indépendante” chargée de “réécrire l’article 24”.

Et c’est à cet égard qu’on peut légitimement se poser des questions. J’ai expliqué plus haut – et c’était la raison de mes développements sur la procédure législative telle que la prévoit la loi – que nous disposons donc de huit commissions permanentes, dans le cadre d’un processus législatif qui peut certes être un peu bousculé par des procédures “accélérées” mais qui reste (plus ou moins) sous contrôle.

Et là, soudain, on annoncerait une commission indépendante… Ceci a bien sûr entraîné une vive réaction des parlementaires (voir l’article publié à ce sujet sur le site de l’agence Reuters).   Notons que, comme le relève cet article, la fronde émane des parlementaires de la majorité.

À l’heure où, du côté de l’exécutif, le président prend ses décisions avec un “Conseil de Défense” dont, sauf erreur, la composition exacte n’a pas été clairement dévoilée (si je me trompe à cet égard, n’hésitez pas à me le faire savoir) en lieu et place de décisions soumises au vote des représentants élus par la Nation, on peut alors s’interroger sur une telle “commission indépendante” en dehors de toute procédure.

Notons d’ailleurs qu’il fut également évoqué que Reporters sans Frontières (RSF) soit représentée dans cette “commission indépendante”, ce qui entraîna aussi des critiques, certains estimant que cette association n’avait pas à participer à une telle initiative. Cette appréciation sortant du cadre juridique, je n’ai pas à m’étendre sur la question. Sur le fond, RSF plaide bien sûr sur le retrait de cet article (voir notamment ICI).

Voyez également l’avis de la Commission consultative des Droits de l’Homme rendu le 26 novembre et résumé dans cette vidéo de la Commission consultative des Droits de l’Homme.

. 30 novembre 20h – La majorité recule et annonce que l’article 24 sera totalement réécrit, et non plus par une “commission indépendante” mais par les députés. Voir notamment la vidéo ICI.

. 2 décembre 2020 – On avance dans ce sujet, puisque j’apprends aujourd’hui que, parallèlement (ou “à la place ?”) de la réécriture annoncée de l’article 24 qui m’occupe depuis le début de cet article, il serait question d’assurer une protection de tous les fonctionnaires (forces de l’ordre, mais aussi enseignants, etc.) sur une base qui paraît d’emblée nettement plus acceptable pour tous, moins dangereuse pour les libertés, et probablement bien plus efficace.

Le 9 décembre prochain, le Conseil des Ministres examinera un projet de loi intitulé “Projet de loi confortant les principes républicains”, destiné notamment à lutter contre la radicalisation de l’Islam sur le territoire français et contre les “séparatismes”, de façon générale.

Le lien entre l’objet général de ce projet de loi et la protection des membres des forces de l’ordre lorsque ceux-ci font l’objet de harcèlements, menaces etc est sans doute un peu moins évident. En effet, s’il faut bien entendu – personne ne le contestera jamais – protéger qui que ce soit des radicalismes religieux et de toutes autres menaces sur sa personne, la finalité serait donc d’interdire – si les informations trouvées ce matin se confirment – que soient diffusées toutes informations sur la vie privée, la vie familiale “ou professionnelle” (?) de ces fonctionnaires sur les réseaux sociaux.

Voici l’article et la brève vidéo dont je tire cette information.
Article sur le site d’Europe 1.

Une brève recherche à l’instant ne m’a pas encore permis de trouver (pour autant qu’il soit accessible quelque part puisque non encore examiné par le Conseil des Ministres) le texte précis de cet article 25, mais je reviendrai compléter cet article de mon blog dès que je mets la main sur ce texte.
Il présenterait aussi l’avantage que, toujours à suivre la même source, la protection serait également étendue aux journalistes (bien qu’ils ne soient pas fonctionnaires) lorsqu’ils subissent la même menace.

La solution me paraîtrait (enfin !) pleine de bon sens, mais il reste à voir si cela va faire disparaître réellement l’article 24 de la loi relative à la sécurité globale, ou s’y ajouter dans des conditions restant à déterminer.
Affaire à suivre (ce sera définitivement le feuilleton de l’hiver).  Et ceci ne préjuge bien sûr pas du reste de cette loi, mais celle-ci sortira du sujet de ce blog.

12 décembre 2020 – L’article 25 du projet de loi “confortant les principes républicains” a été… renuméroté… et sera désormais l’article 18 dans le but avoué d’éviter toute confusion avec l’article 24 de la proposition de loi “sur la sécurité globale”.
(Source de l’information : ICI)
Tout ceci me donne une impression de “Tetris” juridique. Ce n’est pas en déplaçant les blocs qu’on règlera les questions de fond. Affaire à suivre.

. Le 18 mars 2021, le Sénat a en effet voté un texte modifié, avec une orientation un peu nouvelle.
Avant de reproduire ce texte, notez :
– Que la navette parlementaire n’est pas terminée, l’article n’est donc pas encore définitif !
– Le choix initial d’intégrer cette disposition dans la loi de 1881 sur la liberté d’expression a été abandonné, le législateur optant à présent pour l’ajout de deux articles dans le Code pénal.

Le premier de ces deux articles est rédigé de la (curieuse) façon suivante :

Notez donc qu’en lieu et place de ce qui était prévu auparavant (“le fait de diffuser /…/ l’image du visage ou tout autre élément d’identification”) il s’agit aujourd’hui de la PROVOCATION (dans le même but) À L’IDENTIFICATION des mêmes personnes.
L’amende, qui était originairement fixée à 45.000 € a, pour l’occasion, fait l’objet d’une sévère inflation puisqu’elle est désormais portée à … 75.000 € ! (tant qu’à faire…). La peine de prison passe, quant à elle, de 1 à … 5 ans !!! La tendance est clairement à l’inflation !
L’article ne vise donc plus explicitement les IMAGES, mais plutôt l’identification d’un agence (de police nationale ou municipale, d’un militaire ou d’un agent des douanes). Ceci est au moins une bonne nouvelle pour les photojournalistes, mais il reste à voir, sur le terrain, comment la mesure est appliquée.
Et l’infraction est étendue à l’identification d’un membre de la famille proche de l’agent concerné.

Le second article dont l’ajout est envisagé dans le Code pénal se présente quant à lui de la façon suivante, traitant plutôt des données personnelles :

L’article 24 de la proposition de loi aurait donc aussi pour effet d’introduire dans le Code pénal un article consacré au traitement des données personnelles concernant les mêmes agents, et sur lequel je n’ai pas d’observation particulière à faire. Je l’ai reproduit pour être complète, puisqu’il est contenu de cet article 24 de la proposition de loi. Notez toute de même la sévérité de l’amende et de la peine de prison, mais à ce niveau, plus rien ne m’étonne.

      • Le Conseil constitutionnel fut ensuite saisi par le Premier ministre, ainsi que par 60 députés et 60 sénateurs. Sur la question de cet article, qui avait été renuméroté entre temps, le Conseil constitutionnel a purement et simplement censuré la disposition. Il estimait en effet que le principe de la légalité des délits et des peines n’était pas respecté. En d’autres termes, les éléments de l’infraction envisagée (celle qui devait être insérée dans le Code pénal) n’étaient pas suffisamment précis, ce qui contrevenait à l’article 34 de la Constitution :

 

162. Selon l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant … la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire.

“163. D’une part, le délit contesté réprime la provocation à l’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale « lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police » et à l’identification d’un agent des douanes « lorsqu’il est en opération ». Le législateur a fait de cette dernière exigence un élément constitutif de l’infraction. Il lui appartenait donc de définir clairement sa portée. Or, ces dispositions ne permettent pas de déterminer si le législateur a entendu réprimer la provocation à l’identification d’un membre des forces de l’ordre uniquement lorsqu’elle est commise au moment où celui-ci est « en opération » ou s’il a entendu réprimer plus largement la provocation à l’identification d’agents ayant participé à une opération, sans d’ailleurs que soit définie cette notion d’opération. D’autre part, faute pour le législateur d’avoir déterminé si « le but manifeste » qu’il soit porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique du policier devait être caractérisé indépendamment de la seule provocation à l’identification, les dispositions contestées font peser une incertitude sur la portée de l’intention exigée de l’auteur du délit.

164. Il résulte de ce qui précède que le législateur n’a pas suffisamment défini les éléments constitutifs de l’infraction. Dès lors, le paragraphe I de l’article 52 méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines. Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, ce paragraphe est donc contraire à la Constitution”. (Lien vers la décision complète)

TOUT ÇA POUR ÇA….  cet article ne verra donc pas le jour, du moins pas dans la forme où le législateur le souhaitait…

Mais poursuivons.

C. L’ARSENAL LÉGISLATIF ACTUEL – L’INUTILITÉ D’UNE DISPOSITION SUPPLÉMENTAIRE ET LES RISQUES DE L’INFLATION LÉGISLATIVE

Dans le processus législatif actuel, de très nombreuses dispositions existent déjà, et permettraient, en cas de publication de la photo d’un membre identifiable des forces de l’ordre dans un but manifestement destiné à lui porter préjudice, de sanctionner l’auteur d’une telle publication.

Voyons quelques exemples concrets à partir de situations qui pourraient se présenter, et pour lesquelles j’indiquerai chaque fois sur quelle base légale une action pourrait être introduite :

Imaginons à présent qu’une personne diffuse l’image d’un membre des forces. Et imaginons qu’à l’occasion de cette diffusion, soient en même temps commises une ou plusieurs des infractions suivantes :

      • Atteinte à la vie privée : On cite à ce sujet l’article L226-1 du Code pénal, mais ceci appelle une précision.

“Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
3° En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d’une personne sans le consentement de celle-ci.
Lorsque les actes mentionnés aux 1° et 2° du présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis sur la personne d’un mineur, le consentement doit émaner des titulaires de l’autorité parentale.
Lorsque les faits sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende.”

(voir l’art. 226-1 du Code pénal en ligne)

Cet article – dont je découvre à cette occasion qu’il a été modifié récemment par une loi du 30 juillet 2020 – ne visait à l’origine que les images qui ont, elles-mêmes, été prises dans un lieu privé. Il ne s’agirait plus alors des photos ou vidéos prises lors des interventions des forces de l’ordre. L’article pourrait certes s’appliquer, comme il le peut pour tout citoyen, mais uniquement à la condition que les images ou les conversations captées l’aient été dans un lieu privé.

Toujours sur base du même article, et en vertu cette fois du « 3° » qui fut rajouté récemment dans cette disposition, le fait de communiquer la localisation précise (et donc, potentiellement, l’adresse de celle-ci) pourrait également faire l’objet de poursuites.

    • Menaces de mort ou de blessures : Elles sont réprimées et sanctionnées en tant que telles par l’article 222-17 du Code pénal

“La menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes dont la tentative est punissable est punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende lorsqu’elle est, soit réitérée, soit matérialisée par un écrit, une image ou tout autre objet.

La peine est portée à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende s’il s’agit d’une menace de mort.” (Voir l’Art. 222-17 en ligne)

  • On peut ajouter aussi la mise en danger de la vie d’autrui prévue à l’article 223-1 du Code pénal

“Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.” (Voir l’art. 223-1 du Code pénal en ligne)

  • Provocation aux crimes et délits – Art 23 de la loi du 28 juillet 1881 sur la liberté de la presse, modifié le 21 juin 2004

“Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet.
Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n’aura été suivie que d’une tentative de crime prévue par l’article 2 du code pénal.” (voir l’article 23 de la loi de 1881 en ligne).

  • La provocation au suicide est également réprimée par le Code pénal :

“Le fait de provoquer au suicide d’autrui est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une tentative de suicide.

Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75000 euros d’amende lorsque la victime de l’infraction définie à l’alinéa précédent est un mineur de quinze ans.” (Art. 223-13 du Code pénal)

 

  • Dans l’article 24 de la même loi, juste ensuite, d’autres provocations à commettre des crimes ou délits :

“Seront punis de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal. /…/” (voir l’art. 24 de la loi de 1881 en ligne).

 

  • Art 29 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse (diffamations et injures – Voir l’article 29 en ligne) – Étant précisé que lorsqu’elle elle commise envers un dépositaire ou agent de l’autorité publique”, la diffamation est punie d’une amende de 45.000 € également (Art. 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, modifié le 5 août 2013 (voir l’article 31 en ligne).
  • L’injure contre les mêmes agents représentant l’autorité publique est punie par l’article 33 de la même loi (voir l’article 33 en ligne).
  • Dans la mesure où l’un des buts du législateur était, si on en croit les discussions parlementaires, d’interdire aussi la constitution d’une base de données contenant des données personnelles relatives aux membres des forces de l’ordre, il existe, là aussi, une disposition légale qui permet déjà de sanctionner une telle collecte :

“Le fait de collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.” (Art. 226-18 du Code pénal – Voir l’article en ligne).

 

J’en oublie sans doute, mais je viendrai compléter ma liste si d’autres me viennent en tête…

Sans même avoir besoin de se pencher sur les dispositions légales, la jurisprudence elle-même précise apporte une réponse tout à fait conforme à la volonté de floutage contenue dans l’article 24. Depuis de nombreuses années, il est fréquemment jugé que lorsqu’il faut mettre en balance le droit à l’image et au respect de la vie privée d’une part et le droit à l’information d’autre part, la diffusion de l’image d’une personne ne peut être autorisée que lorsque différentes conditions sont réunies :

        • La personne doit être concernée par l’information illustrée
        • Le visage ne doit pas être montré si – précisent les tribunaux -, l’information peut être illustrée avec la même efficacité sans montrer le visage de la personne représentée.

(Voir à cet égard mon ouvrage “Droit à l’image et droit de faire des images”, Ed. KnowWare et nombreux articles sous l’appellation “Jurimage” sur le site des Éditions 29bis).

En lieu et place de créer encore une nouvelle infraction qui va, nous le verrons ci-dessous, poser d’importantes difficultés pratiques dans sa mise en application, ne serait-il pas plutôt utile que l’on donne aux juridictions les moyens de fonctionner et d’appliquer déjà les lois existantes dans des délais raisonnables ? S’il faut plusieurs années pour qu’une personne poursuivie (au civil et parfois au pénal) soit condamnée, faute de magistrats notamment et/ou en raison des moyens dérisoires qui sont donnés à la justice, comment imaginer qu’une disposition légale créant une nouvelle infraction fasse l’objet de procédures plus rapides ? Elles risquent même d’être plus longues puisqu’il faudra précisément le temps que la jurisprudence s’adapte, et fixe, au fil des décisions – et sans doute des arrêts de Cassation, ce qui implique un temps judiciaire encore plus long – les limites de ce qui est considéré, ou non, comme une atteinte à ce nouvel article intégré dans la loi de 1881.

Et pendant les années qu’il faudra pour que la jurisprudence réponde aux questions que je vais poser dans la suite de mon article, combien d’incidents comme ceux qui ont été filmés ces derniers jours devront-ils encore se produire ?

Je pense tout d’abord aux propos tenus à la fin de cette vidéo-ci (quelques secondes avant la fin) :

Et ensuite cette vidéo-ci :

D.  LA MISE EN ŒUVRE PRÉVISIBLE « SUR LE TERRAIN »

Devant l’Assemblée nationale, le Ministre de l’Intérieur affirmait devant les députés que OUI, les journalistes ET les citoyens pourront continuer à filmer les interventions de la police :

(https://youtu.be/xQz-_kfi5xUvoir à 1’25’’)

C’est en effet l’analyse rigoureuse du texte, qui ne parle – rappelons-le – que d’interdire la DIFFUSION et ce dans certaines conditions.

MAIS…  Il est évident qu’en pratique, ces nuances risquent bien de ne pas être comprises – ni même entendues ! – par les forces de l’ordre sur le terrain.

Différentes difficultés vont dès lors inévitablement se poser en pratique :

      • En pratique – et c’est l’écueil qui saute immédiatement aux yeux – qui va rappeler aux membres des forces de l’ordre la différence essentielle entre la captation des images et leur diffusion ? Je crains fort, au vu des débordements (c’est un euphémisme) que l’on constate déjà, que cette formation initiale soit tout simplement inexistante…
      • Qui va décider – et surtout à quel moment – qu’une DIFFUSION de photographie a pour but de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un membre des forces de l’ordre ? Légalement cela ne pourrait être qu’un magistrat, mais on se heurte déjà, à ce stade, à l’une des objections soulevées par la Défenseure des droits : les principes généraux du droit pénal, en vertu desquels on ne réprime que les actes, les faits matérialisés sur base de dispositions légales rédigées en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire, et non les « intentions ». Mais en tout état de cause, cette appréciation ne pourrait intervenir que si la diffusion a déjà été faite, et qu’il s’agit de poursuivre son auteur. Et NON au moment de la prise de vues ! Messieurs les policiers/gendarmes etc., votre rôle n’est donc pas de vous ériger en juge de « l’intention » de l’auteur des prises de vues, lesquelles ne sont pas encore diffusées !
      • Enfin – et la question est d’importance ! – il faudra rappeler tant aux forces de l’ordre sur place qu’aux magistrats en cas de poursuite, que, comme le souligne aussi la Défenseure des Droits, le droit d’informer et de communiquer appartient à TOUS les citoyens, qu’ils soient journalistes ou non ! Or, il y a quelques jours, le même ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, suggérait rien de moins que la mise en oeuvre d’une accréditation préalable des journalistes auprès des autorités avant de les autoriser à couvrir la manifestation !
        Et dans son esprit, il semble bien que cette “accréditation” ne serait en réalité délivrée qu’aux journalistes titulaires de la carte de presse.

Ceci n’est absolument pas tolérable, pour différentes raisons :

– Tout d’abord, il ne s’agit pas ici d’accréditer des photographes pour aller faire des photos “officielles” au sein de l’Élysée, mais bien de permettre à des journalistes d’exercer leur métier, et de mettre en oeuvre la liberté de la presse. Depuis quand, en France, faut-il une “accréditation” pour couvrir une manifestation en tant que journaliste ? La même remarque est d’ailleurs valable également pour les particuliers, qui ne seraient pas journalistes, comme le rappelait la Défenseure des Droits dans ses deux rapports des 3 et 17 novembre 2020, cités plus haut !

– Ensuite, tous les journalistes ne sont pas titulaires d’une carte de presse, pour la bonne et simple raison que les conditions d’octroi de cette carte de presse sont très sévères, et impliquent notamment que la majorité des revenus professionnels du journaliste soit issue de cette activité. De jurisprudence constante, les tribunaux reconnaissent bien sûr la qualité de journaliste avec ou sans carte de presse. Imaginerait-on que le gouvernement vienne aujourd’hui restreindre le droit d’exercer cette profession, là où la loi ne pose aucune condition ? Le ministre a donc abandonné rapidement son idée… (“Pour l’instant” aurais-je tendance à rajouter).

– Enfin, lorsqu’au début de l’article 24, on rajoute la mention “Sans préjudice du droit d’informer…” il faut bien comprendre que dans l’esprit du Ministre cela ne s’adresse qu’aux journalistes. Même à supposer qu’il abandonne son critère de tri en fonction de la détention ou non d’une carte de presse, comment entend-il définir la notion de journaliste ? La loi elle-même ne contient pas de définition identique selon les textes…
Sceptiques ?

Voici une brève énumération :

. Le Code du Travail propose tout d’abord cette première définition (Art. L

“Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa.” (Art. L7111-3 du Code du Travail)

. Mais le même Code, à l’article suivant, et sans plus la moindre condition de revenus, leur assimile les collaborateurs directs de la rédaction. J’en fais donc partie aussi, du fait de mes articles réguliers dans “Compétence photo” et de ma participation au Collectif DR.

“Sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle.” (Art. L7111-4 du Code du travail)

. Et à l’article suivant le Code du Travail y ajoute aussi :

“Les journalistes exerçant leur profession dans une ou plusieurs entreprises de communication au public par voie électronique ont la qualité de journaliste professionnel.” (Art. L7111-5 du Code du travail)

Pour tous ces articles, voir ici : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072050/LEGISCTA000006189947

. Il existe aussi une autre définition, contenue cette fois dans l’article 2 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 (modifié en 2010)

“Est considérée comme journaliste au sens du premier alinéa toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public.” (Art. 2 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 modifié le 4 janvier 2010)

Devons-nous rappeler à M. Darmanin ses propres propos tenus devant l’assemblée nationale ?

Ma conclusion (provisoire)

Vous l’aurez compris à la lecture de tout ce qui précède : cet article me semble tout d’abord inutile puisque d’autres dispositions légales peuvent aboutir au même résultat sans violer les principes fondamentaux de notre démocratie et les principes généraux du droit pénal. En outre, abonder encore dans le sens d’une telle inflation législative aura surtout pour conséquence que les cours et tribunaux devront ensuite, en lieu et place de condamner efficacement, consacrer une incroyable énergie à tenter de déterminer quand il faut appliquer l’une ou l’autre de ces dispositions, et comment fixer le champ d’application d’infractions à ce point semblables.

Et pour le surplus, les conditions et modalités dans lesquelles cet article (et l’ensemble de la loi) est voté sont – pour le moins – déconcertantes. C’est la raison pour laquelle la loi sur la sécurité globale interpelle bien au-delà de nos frontières. Je vous invite notamment à lire cet article évoquant la réaction de l’ONU).

Suite à la décision du Conseil constitutionnel rendue le 21 mai 2021, l’article ne verra donc pas le jour…

Sur le même sujet, je vous propose de visionner une vidéo très bien conçue, réunissant sept juristes éminents à propos de la même proposition de loi, accessible sur la plateforme Vimeo en cliquant sur la vignette ci-dessous :

Un tout grand merci également aux autres membres du Collectif DR pour les photos d’illustration qu’ils ont bien voulu me transmettre.  Comme toutes les agences et tous les collectifs de photographes indépendants, les photographes du Collectif DR (dont je fais partie par ailleurs avec ma casquette de photographe) se battent pour le respect des libertés, parmi lesquelles la liberté d’informer et de s’exprimer. Merci à Céline BREGAND, Oscar CHUBERRE et Nicolas de POULPIQUET qui m’ont généreusement offert les quelques photos ayant illustré cet article. Voir ICI pour découvrir le site du Collectif DR.

Bonne semaine à tous

Joëlle Verbrugge

8 commentaires sur cet article

  1. Merci beaucoup pour ce papier qui nous donne avec beaucoup de rigueur de nombreuses infos ayant trait à cet épineux sujet de la liberté de la presse et liberté d’expression.
    Courage à tous ceux qui sur le terrain doivent rendre compte de cette violence inadmissible et de ces débordements des FO envers ceux qui expriment leur désaccord.

  2. Merci pour toutes ces informations, quand on n’a pas l’habitude de ce genre de texte juridique, c’est un peu ardu, mais en allant au bout, j’ai pu comprendre que ce fameux projet de loi sur la sécurité est aussi épineuse qu’un cactus et il semble y avoir beaucoup d’épines. Bon courage à vous tous, et continuez à nous informer. Paris et les grandes capitales, c’est une chose, mais la province également à une opinion et pense, surtout les non essentiels dont je fais partie, ce qui nous laisse du temps pour vouloir s’informer pour comprendre. Encore merci.

  3. Bonjour
    Photographe amateur de rue ( j’ai lu et applique votre livre sur le droit à l’image), je suis toujours étonné de lire des articles de journalistes, écouter des politiques, les personnes refusant d’être filmées, qui mélangent en permanence le mot “enregistrer” ( photographier, filmer, enregistrer la voix) et “diffuser”.

    Si chacun faisait un effort en utilisant les bons termes, les choses seraient déjà beaucoup plus claires.

    « Art.35quinquies.
    Sans préjudice du droit d’informer, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000euros d’amende le fait de diffuser, ……

    Il est écrit ” diffuser”, donc déjà il n’est pas écrit, “d’enregistrer avec tout support”.
    Pour l’instant, et à ce stade, si l’on s’en tient au juridique, ceux qui veulent continuer de filmer pourront le faire comme auparavant ( et effectivement c’est exactement déjà la loi actuelle.)

    Personnellement, je continuerai comme avant à ” enregistrer” ( hors lieux privés qui dit bien, )enregistrer ou diffuser) et lorsque quelqu’un m’attaquera sur les conditions de ma diffusion alors je prendrai en considération le fait que celle ci puisse être hors la loi. ( Ai je atteint ou non à l’intégrité de la personne par cette diffusion)
    En l’état, je respecte la législation actuelle existante, donc “j’enregistre”. Hors violences physiques sur moi, je ne vois pas qui aurait la loi derrière lui pour m’en empêcher.

    Il m’est souvent arrivé d’en discuter avec des soldats, gradés et non gradés, policiers, gendarmes, particuliers etc… ( Qui effectivement ne sont pas formés et ignorent la loi.

    Histoire veridique.
    Reponse d’un soldat “C’est mon adjudant qui m’a dit de vous interdire”,
    Je vais voir l’adjudant ” Oui je sais, je ne peux pas vous interdire, mais c’est ce que je dit aux soldats, c’est plus simple à gérer. Comme vous n’êtes pas ” un profil maghrébin, africain etc…”, et donc pas dangereux, je vous laisse continuer à nous photographier”

    Tant que je n’ai pas diffusé, personne ne peut porter plainte contre moi. Sauf à m’accuser de delit d’intention.
    (Je conduis une Ferrari, on ne me mettra un PV que lorsque j’aurai été pris au radar. Pas avant.)

    Je vous invite à écouter les mots utilisés par les divers orateurs et questionneurs, lors du débat récent avec M Darmarin.
    Le mélange est permanent, et donc ne permet pas d’en débattre en termes juridiques.
    Je m’amuse à remplacer à chaque fois le mot “filmer ” par “enregistrer”. Les discours, articles, … deviennent alors totalement inutiles car déphasés avec les termes exacts de la loi. Ils sont donc inutiles.

    Malheuresement, nos députés et journalistes, pour ou contre cette loi, n’attachent aucune importance à cette différence fondamentale. Dommage. Espérons, que le législateur continuera à le faire.

    Dites moi si je me trompe sur ma position, merci.

    Remarque: Concernant la circulaire de 2008, que j’utilise face à des policiers et CRS. ( Voir tous les services concernés en début des circulaire.

    Pouvez vous me direz si ce document est aussi valable pour les gendarmes, les militaires, les services des douanes et les polices municipales. ( Hors services “haute sécurité” bien sûr)

    Cdlt
    Jean Pascal

  4. Bonjour
    Question.
    Dans les articles, il est souvent utilisé le terme droit à l’image.
    Y a t il une différence entre ” diffuser légalement” et ” respecter le droit à l’image”
    Si oui, l’utilisation de ces deux termes est alors souvent mélangée et confusante.

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