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« L’émancipation des femmes n’est pas un enjeu identitaire »

L’émancipation des femmes n’est pas le propre de l’Occident, contrairement à ce que certains affirment dans l’actuel débat suscité par des articles de Kamel Daoud. Il s’agit d’un combat universel.

Publié le 02 mars 2016 à 17h02, modifié le 02 mars 2016 à 15h02 Temps de Lecture 3 min.

La gare de Cologne, théâtre d'agressions sexuelles de masse le 31 décembre

Par Martine Storti

Un processus d’occidentalisation de l’émancipation des femmes est à l’œuvre, conduit par des courants politiques, religieux, idéologiques en apparences opposées mais qui concourent à la construction d’une impasse. L’actuel débat autour des articles de Kamel Daoud en est un exemple de plus, il n’est pas le premier et sans doute pas le dernier.

S’énonce en effet de manière tonitruante l’affirmation que la liberté des femmes, leur égalité avec les hommes sont une composante de l’identité française et plus largement occidentale. Depuis le lancement en 2009, sous présidence Sarkozy, du débat sur l’identité nationale, le processus d’identitarisation de l’émancipation des femmes n’a pas cessé.

Et après les agressions commises, en particulier à Cologne, la nuit de la Saint-Sylvestre, par des centaines d’hommes, pour la plupart d’origine maghrébine, contre des centaines de femmes, nous avons pu constater à quel point la liberté des femmes a été présentée comme la marque de l’Occident, y compris par ceux qui, quelques mois plus tôt, avaient porté au pinacle « Le suicide français » d’Éric Zemmour, pourtant chantre agressivement nostalgique de la soumission des femmes à l’ordre patriarcal, ordre hélas mis à mal à partir des années 1970 par les horribles militantes du MLF, à la fois féministes, gauchistes et soixante-huitarde, autant dire le nec plus ultra de l’infamie !

Cette transformation de l’émancipation des femmes en marque identitaire est une aubaine pour celles et ceux qui, en apparence opposés aux précédents, font du féminisme l’autre nom de l’impérialisme, du néocolonialisme et le rendent synonyme de la « mission civilisatrice » jadis brandie par le colonialisme pour se légitimer. Cette autre manière d’occidentaliser le féminisme est une vieille histoire, qui s’écrivait par exemple à Téhéran, en mars 1979, il y a donc 37 ans, lorsque par milliers des Iraniennes manifestaient contre le port du tchador prôné par l’ayatollah Khomeiny tout juste rentré de son exil en France. Et là encore, le processus se perpétue, jusqu’à instruire le procès du féminisme au nom de l’anti-impérialisme, de l’antiracisme, de l’anti-islamophobie, de la défense du camp des « dominés ».

Il faut dire non aux deux. En même temps. Dans un seul mouvement. L’émancipation des femmes n’est ni une donnée de l’Occident, ni l’autre nom du néo-colonialisme.

Rabattre l’émancipation des femmes sur l’identité occidentale revient à faire fi des siècles de luttes sur de multiples fronts qu’il a fallu mener pour la réaliser. Ces libertés, cette émancipation, ont été conquises contre. Contre des traditions, des préjugés, des religions, des grilles, des enfermements. Contre la morale établie, contre le contrôle du corps des femmes.

Faire face aux opprobres

Les « occidentales » ont dû affronter leurs églises, leurs partis politiques, leurs pères, leurs frères, leurs camarades. Elles ont dû faire face aux opprobres, aux injures, aux stigmatisations, aux refus déguisés en « plus tard », en « ce n’est pas le moment », en « ce n’est pas l’enjeu principal ». Elles ont dû dénoncer les pactes démocratique et républicain qui pendant des siècles les ont exclues. Et contrairement à ce qu’on entend ou lit ici ou là, les salons littéraires des siècles passés, aussi brillantes qu’y furent quelques femmes, la galanterie et la conversation, aussi grand que soit leur charme, ne valent pas émancipation !

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Celle-ci est le produit de combats constants, et elle exige une vigilance permanente, tant la tentation n’est jamais loin de rogner les droits acquis, les libertés conquises, en particulier d’ailleurs celles qui renvoient à la maîtrise par les femmes de leur corps et de leur sexualité, ainsi que l’atteste l’opposition, jamais éteinte en Europe, à l’avortement, pour ne prendre que cet exemple.

Au lieu de figer l’émancipation dans une identité, il faut lui rendre son historicité. Car l’historiciser, c’est la rendre possible pour d’autres. D’autres qui ont aussi à se battre contre leurs religions, leurs traditions, leurs préjugés, leur enfermement dans une communauté ou une culture. D’autres qui, depuis des décennies, se battent pour le droit à la subjectivité, à la singularité, à l’individualité. Et qui continuent. Et qui ainsi prennent souvent le risque de leur vie.

Les combats sont les mêmes, parce que l’égalité, la liberté ne sont ni des marques identitaires, ni des enjeux de mœurs, de modes de vie. Ils sont des principes politiques. Et comme tels, leur valeur, leur portée sont universelles. Et c’est ainsi que de surcroît, ils font ressemblance et assemblage. Et qu’ils permettent d’avancer ensemble contre l’essentialisation des différences que tant de voix, en apparence opposées mais en réalité convergentes, s’emploient à construire.

Martine Storti, écrivaine, dernier ouvrage paru Sortir du manichéisme, des roses et du chocolat (Michel de Maule, 152 pages, 17 euros).

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