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 La Lettre du 15 juin 2020
 
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Bonjour à chacune et chacun,

Au-delà de la crise sanitaire, c’est maintenant une énorme crise économique et sociale qui pointe. Les évaluations les plus officielles continuent de sous-estimer le tsunami en formation. Celui-ci sera d’autant plus fort que le grand capital prédateur en profite pour restructurer les entreprises, les sociétés et l’Etat. Au bout du compte les belles paroles du Président de La République se transforment en leur exact contraire. « Les jours heureux » ne doivent pas se limiter à pouvoir entrer dans une brasserie. Ils consistent plutôt à en donner les moyens aux travailleurs qui ne doivent pas être privé de leurs activités. Or, les mêmes entreprises qui bénéficient de crédits d’impôts, du CICE et maintenant de prêts garantis par l’Etat ou encore de subventions exceptionnelles poursuivent des restructurations négatives en éliminant des emplois. Il est même des groupes qui, comme Peugeot dans le Nord, font venir des travailleurs polonais contre la reprise de travailleurs intérimaires attachés jusque-là l’entreprise. Ainsi, au lieu de débattre d’un projet de maintien des activités et de l’emploi dans l’ensemble de l’Union européenne, les gouvernements laissent les entreprises mettre les travailleurs en concurrence entre eux dans les pays et à l’échelle de l’Europe. Rien de tel pour détourner les aspirations sociales en « racisme » et « xénophobie ».
 
 Les forces progressistes se retrouvent face à une importante question pour aider le mouvement populaire et la perspective de changement : celle de mettre en discussion des propositions alternatives dont les travailleurs et les jeunes puissent se saisir. Elles doivent tenir compte des aspirations populaires, en les valorisant, en les accompagnant jusqu’à trouver avec les citoyens les moyens de leur débouché, de leur réalisation. C’est toute la question de se mettre à disposition de ce mouvement, ou des aspirations populaires pour le droit à la santé, le droit à l’école pour tous les enfants, le droit au travail, le droit à la culture. Bref c’est une sécurité de vie pour chacune et chacun qu’il faut inventer.

De ce point de vue deux victoires ont attiré mon attention cette semaine.
 
D’abord le vote par la totalité de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale du projet de loi déposé par André Chassaigne pour des retraites agricoles à 85 % du Smic. Je connais le prix de cette victoire pour m’être occupé moi-même de cette demande des paysans dans les années 1990 lorsque travaillais aux côté d’André Lajoinie. Cette victoire devrait être portée avec plus de force pour améliorer encore le texte mais surtout pour qu’il rentre en application dans les mois qui viennent et non pas dans deux ans.
 
La seconde victoire nous vient de la Cour européenne des droits de l’homme qui a considéré que l’appel au boycott des produits israéliens était légal. Cette décision est très importante car elle contredit la jurisprudence de notre Cour de cassation. En effet la Cour de Strasbourg a jugé à l’unanimité que la France avait violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression. Il s’agissait de faire le point sur les circulaires dites Alliot Marie et Mercier qui condamnent les actions ou expressions appelant au boycott des produits israéliens, qui ont permis de poursuivre des militants notamment ceux engagés dans les actions du 26 septembre 2009 et du 22 mai 2010 à Mulhouse. Le contenu de l’arrêt de la cour est très important et fera jurisprudence. Il souligne que : « les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’Etat d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, et s’inscrivaient dans un débat contemporain ouvert en France comme dans soute la communauté internationale » ajoutant que ces appels et ces actions « relevaient de l’expression politique et militante ». La cour s’appuie également sur le Rapporteur spécial des Nations unies qui, lors de l’Assemblée générale en septembre 2019 déclarait : « en droit international, le boycottage est considéré comme une forme légitime d’expression politique, et que les manifestations non violentes de soutien aux boycotts relèvent de manière générale, de la liberté d’expression légitime qu’il convient de protéger ». 
 
 
Il s’agit ici d’un tournant à ne pas minimiser dans le combat pour que justice soit rendue au peuple Palestinien au moment où il a plus que jamais besoin de notre solidarité internationaliste. En effet, l’amplification de la colonisation – particulièrement en Cisjordanie – de connivence avec l’administration nord-américaine doit conduire à reprendre le combat pour le respect du droit international. Les campagnes de Boycott-Désinvestissements-Sanctions- en sont l’un des outils les plus efficaces. L’arrêt de la Cour européenne est un atout pour continuer d’agir.
 
 C’est dans ce contexte de bouillonnement d’actions et d’idées que se prépare le second tour des élections municipales fixé au 28 juin. Dans le nouveau contexte, il convient de repenser les programmes municipaux et les manières de gérer les communes. Une partie des leçons du premier tour doit inciter aussi à réfléchir à nouveau sur la crise de la démocratie et pour une part à celles des institutions considérées comme ne représentant plus les populations dans leur diversité. C’est pour une part le sens de mon éditorial de l’Humanité-Dimanche cette semaine. 
 
 
J’ai ici même commencé à aborder la semaine dernière la nature de ce que l’on peut appeler une nouvelle « crise de la presse écrite ». Le pouvoir ne semble pas en prendre la mesure puisque rien n’est décidé pour les journaux dans le nouveau budget de crise présenté mercredi dernier au conseil des ministres. Pourtant jour après jour les mauvaises nouvelles s’accumulent. Dans un tour de passepasse, les quelques 40 millions de déficit du journal Libération sont transférés a un fonds de dotation ; celui-ci servira de fonds défiscalisé de défaisance de cette dette pour les groupes Altice et SFR tout en sachant qu’il permettra de défiscaliser à 60% les apports, après avoir déjà bénéficié des défiscalisations via le taux de TVA à 5,5 % des abonnements SFR livrés avec Libération et L’Express.

De son côté, L’Equipe annonce un plan drastique d’économie, comme le groupe Le Parisien–Aujourd’hui en France. La presse régionale elle-même est en difficulté avec le risque de fermeture de journaux locaux à terme. C’est le même phénomène qui est à l’œuvre aux Etats-Unis. Plusieurs journaux sont à la prise avec la rapacité du capitalisme qui n’a que faire de la pluralité de l’information et de la culture. On peut citer Paris-Normandie, le Nouveau Magazine Littéraire, La Recherche, le groupe Paris-Turf… Pour d’autres encore, des projets incertains de reprise ou de rachat, de réductions d’effectifs, de baisse de salaires sont à l’ordre du jour. La fermeture d’une partie des marchands de journaux, la distribution erratique des abonnés par La Poste, le redressement judiciaire de la messagerie Prestalis et surtout la liquidation des centres régionaux de distribution (les SAD) continuent d’aggraver la situation. Aujourd’hui encore, 15% du territoire national est privé de journaux de ce fait. Les recettes publicitaires se sont effondrées. Les événements qui permettaient des entrées de recettes n’ont pu se tenir. Selon plusieurs estimations les pertes de l’ensemble du secteur de la presse en ventes et abonnements s’élèvent à entre 120 et 150 millions d’euros auxquels il faut ajouter les pertes publicitaires.

L’Humanité n’échappe évidemment pas à ces graves perturbations. Alors que le groupe est en « plan de continuation », sa régie publicitaire est quasiment à l’arrêt depuis trois mois. Si nous n’étions pas autorisés ou si nous ne pouvions pas tenir la Fête de l’Humanité cette année, le choc en serait d’autant plus dur. Or, à ce jour nous n’avons toujours pas l’autorisation de tenir la fête. Nous nous trouvons dans la même situation que tous les festivals qui ne pourront se tenir cet été. Quand bien même nous serions autorisés, nous ne pouvons pas nous lancer dans une aventure risquée. La Fête est un évènement qui demande un engagement financier important dès l’étape de préparation. Nous avons déjà engagé pour environ un million d’euros de dépenses de préparation. Si la Fête était autorisée aujourd’hui puis annulée ultérieurement – par exemple à cause d’un rebond de l’épidémie fin août – le préjudice pour le groupe « L’Humanité » serait incommensurable puisque les assurances ne nous couvriraient pas. Nous espérons donc pouvoir prendre une décision définitive la plus raisonnable possible dans les semaines à venir.

L’action pour obtenir des moyens financiers pour le pluralisme de la presse doit être plus vigoureuse, tout comme les actions pour réaliser des abonnements et faire découvrir l’Humanité et L’Humanité Dimanche, ainsi que la revue « Travailler Au futur » ou encore les Hors-série dont « le feu d’Elsa », consacré à Elsa Triolet à l’occasion du cinquantenaire de son décès.
 
« Le Feu d’Elsa » une belle et exceptionnelle édition spéciale de l’Humanité
 
ELSA TRIOLET, 1896-1970 - A la découverte d’une célèbre inconnue
 
L’un des plus grands poètes du XXe siècle l’a aimée, Louis Aragon. Elle fut renvoyée au rang de muse, cantonnée à ce rôle, effacée derrière la figure écrasante de son époux. Mais qui se cachait derrière Les yeux d’Elsa ? Qui fut l’écrivaine Elsa Triolet, auteure d’une œuvre littéraire considérable, née en Russie, qui publia vingt-sept livres et devint la première femme à obtenir le prix Goncourt, en 1944 ? Qui fut la Résistante, qui fut cette grande intellectuelle de l’après-guerre, son prénom devenant un mythe ?

Cinquante ans après sa mort, survenue le 16 juin 1970, l’Humanité a décidé de rendre hommage à cette femme exceptionnelle, complexe, amoureuse et inquiète, porteuse des promesses et des beautés de l’aube.

Ce hors-série, intitulé « Le Feu d’Elsa » et réalisé en partenariat avec le Maison Elsa Triolet-Aragon, vise deux objectifs : sortir Elsa Triolet du purgatoire au fond duquel elle est restée assignée ; et aider redécouvrir ce talent littéraire hors normes, injustement tombé dans l’oubli.
 
 
 
Les meilleurs spécialistes du sujet ont prêté leurs plumes afin de dresser le portrait de la femme, sous tous ses aspects :
Marie-Thérèse Eychart, maître de conférences
Marianne Delranc-Gaudric, docteure de poétique comparée
Alain Trouvé, maître de conférences
Velimir Mladenovic, doctorant
Florence Calame-Levert, docteur en Ethnologie
Bernard Vasseur, philosophe
Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de la Maison Elsa Triolet-Aragon
 
Avec des écrivains, des poètes, des auteurs, des artistes :
Erik Orsenna, écrivain, membre de l’académie française
Amos Gitai, cinéaste israélien
Ariane Ascaride, actrice
Jean Ristat, poète
Louise Guillemot, auteur
Edmonde Charles-Roux, écrivaine
Olivier Barbarant, poète
Francis Combes, poète
Paul Fournel, écrivain
Pierre Juquin, auteur
Alice Zeniter, romancière et dramaturge
Jean-Emmanuel Ducoin, journaliste et écrivain
 
Dans ce hors-série figure un événement éditorial : « Pourquoi j’écris », un texte inédit d’Elsa Triolet, daté du 28 février 1959.
 
Un dessin exclusif : le portrait d’Elsa Triolet, par Ernest Pignon-Ernest, artiste plasticien. (Cet œuvre d’art sera prochainement disponible en sérigraphie, numéroté et édité par l’Humanité).
 
A découvrir également : une centaine de photographies, des manuscrits de la main d’Elsa Triolet, des documents exclusifs, etc.
 
 
 
 
Unité dans la lutte anti-raciste et changement de société
(un texte publié sur mon blog le 14 juin)
 
L’assassinat de George Floyd aux Etats-Unis par un policier blanc rencontre en France un formidable écho. Il rejoint celui qui réclame justice pour Adama Traoré et toutes les victimes de violences policières. Il dit la saturation des discours racistes, des polémiques instruites par la droite identitaire relayées avec complaisance, des violences policières impunies et des propos racistes tenus par de trop nombreux policiers dans les quartiers populaires. Il dit tout autant la faillite d’un Etat républicain qui trahit sa promesse d’égalité en laissant se perpétuer les discriminations raciales dans l’accès à l’emploi ou au logement, les contrôles au faciès. Ce réveil des consciences signe le refus générationnel et grandissant de ce racisme qui empoisonne les relations sociales. La nouveauté tient au caractère spontané, en dehors des organisations politiques, de ce vent de révolte contre l’injustice. Ces mobilisations ont ainsi remis au-devant de la scène les débats sur l’antiracisme, parfois avec véhémence. Et si l’on comprend la légitime colère, notamment due aux refus de traiter convenablement les zones d’ombres persistantes sur la mort d’Adama Traoré, aussi doit-on réfléchir aux évolutions d’un mouvement aux fortes potentialités émancipatrices et qui, dans son expression, n’a pour l’heure rien d’homogène. Comme souvent l’Histoire est ici en procès, celle du colonialisme et de l’esclavagisme à travers notamment des figures statufiées, témoignant d’un « passé qui ne passe pas ». Il faut impérativement comprendre les ressorts de ce rapport à l’Histoire pour tenter de faire avancer le débat.
 
La conception matérialiste de l’histoire nous enseigne que les productions intellectuelles et artistiques d’une époque -les idéologies au sens large- sont le reflet des rapports de sociaux de cette même époque. Et l’on sait que la nation française a notamment fondé sa puissance, comme beaucoup d’autres mais avec sa singularité, sur l’impérialisme, le colonialisme et l’oppression des classes laborieuses. C’est ainsi qu’ont été érigés des statues, des monuments, ou baptisées des rues des noms de ceux – essentiellement des hommes, bien entendu – qui correspondent aux rapports sociaux sur lesquels se fondent cette histoire. L’action de certains de ces hommes est à comprendre dialectiquement : Voltaire, par exemple, a fondé sa fortune sur la traite négrière et fut, en même temps, l’un des plus intraitables contempteurs du fanatisme et de l’intolérance, et écrivit des pages remarquables contre l’esclavage. Ferry, zélateur du colonialisme fut en même temps le prometteur d’une éducation universelle. A l’inverse, Clémenceau s’éleva contre le colonialisme tout en faisant matraquer sans vergogne les mineurs qui se dressaient pour de meilleures conditions de travail. Colbert mit en place l’infâme Code noir tout en émancipant l’Etat des tutelles nobiliaires. Bref, ils furent hommes de leurs temps, embrassant à leurs postes de pouvoir les contradictions de leur temps, parfois pour le pire.
 
Vouloir détruire ces statues, c’est vouloir effacer cette histoire, et avec elle ses ressorts dialectiques. Est-ce souhaitable pour saisir les avancées, fruits des luttes pour l’émancipation? Est-il autant souhaitable que l’on inscrive des écriteaux pédagogiques à côté de ces statues ou monuments pour rappeler les crimes ou fautes de tel ou tel homme statufié ? N’y aurait-il alors pas comme une infantilisation du citoyen qu’il faudrait édifier d’un savoir extérieur à lui ?
 
Aucune statue n’est immortelle ni fétiche, et bien des symboles de pouvoirs oppresseurs peuvent ou doivent tomber. Les communards comme les révolutionnaires de 1789 s’attaquaient à des instruments ou symboles d’une oppression réelle et vécue. Mais si aujourd’hui des symboles d’un passé effectivement coupable existent bel et bien, ils ne servent plus à légitimer l’action d’un Etat colonisateur ou qui prodiguerait une éducation fondée sur des thèses racistes. Ils sont des vestiges, parfois risibles, parfois manifestations du génie humain (songeons aux châteaux ou aux cathédrales, symboles d’un pouvoir féroce), d’un passé révolu. Et bien qu’il subsiste des traces de cette histoire, l’oppression aujourd’hui, se joue essentiellement à la Bourse, à la Défense, dans les quartiers huppés où les gilets jaunes semèrent l’effroi. Et il y a maintes Bastilles à prendre aujourd’hui, à commencer par les chaînes d’information qui continuent à servir la soupe à un polémiste raciste plusieurs fois condamné par la justice.
 
A rebours d’un combat purement moral, il convient de mener un travail d’éducation pour forger l’esprit critique des futurs citoyens et l’autonomie du jugement. Contre l’histoire édifiante que tentent d’imposer la droite et l’extrême droite, résumée aux « grands hommes » linéaire et hagiographique, nous avons besoin d’une histoire qui mette en relief les mouvements populaires, qui expose plus et mieux la colonisation, ses ressorts, ses crimes, qui fasse la part belle aux luttes pour l’émancipation contre les tutelles coloniales, l’oppression sociale, la domination patriarcale, qui montre les ressorts dialectiques de l’histoire des sociétés et le rôle des classes sociales. Nous avons besoin de poursuivre et d’amplifier le travail de mémoire et d’explication sur la période et les guerres coloniales du 19ème et 20ème siècle, sur la guerre d’Algérie qui continue de hanter la mémoire nationale. C’est une des conditions nécessaires pour construire un destin commun aux habitants de ce pays, quel que soit leurs origines. L’audace commanderait de créer rapidement une commission de travail ayant pour mission de réfléchir aux compensations pour les descendants d’esclaves et les victimes de la colonisation. Nos sociétés européennes notamment ont un devoir de réparation pour ces peuples.
 
Il importe tout autant d’inscrire dans l’espace public – qui est aussi un espace politique – des noms de rues, des monuments, des lieux de mémoire qui rendent compte des combats pour l’égalité. C’est ce qu’ont fait massivement des municipalités progressistes, aux premiers rangs desquelles des municipalités communistes qui, à chaque fois, prennent le parti de l’histoire des luttes pour baptiser de nouveaux équipements. Une manière d’enfourcher le combat antiraciste en mettant à l’honneur les Rosa Parks, Dulcie September, Martin Luther King, Nelson Mandela, Aimé Cézaire, Mumia-Abu-Jamal et tant d’autres. Qui promeuvent des femmes jusqu’ici invisibilités. On le constate aisément, la toponymie des villes communistes raconte l’histoire des luttes pour l’émancipation et contre toutes les oppressions, dont l’oppression raciste. Ces prises de position, et la présence considérable sur les listes d’union de personnes issues de l’immigration, ont valu à ces édiles bien des injures de la part de la droite ou de l’extrême droite.
 
On ne peut dès lors qu’être scandalisé par un appel à manifester devant le siège du parti communiste, accusé de couvrir le racisme en son sein, au prétexte que, dans une ville, un militant adepte de la polémique ne soit pas reconduit et que les communistes n’endosseraient pas en tout et pour tout ce qui est nommé « antiracisme politique ». Que le débat ait lieu sur les concepts et les stratégies pour mener le combat antiraciste est chose saine. Mais cette volonté de faire le ménage à gauche par l’intimidation peut se payer extrêmement cher. L’extrême droite est à l’affût et la police commence à se rebiffer face aux timides remontrances du gouvernement… La municipalité incriminée de Saint-Denis est celle qui a organisé 45 (!) éditions d’une « Quinzaine antiraciste et solidaire », qui a organisé un référendum local sur le droit de vote des étrangers mobilisant un tiers de la population, qui a mis en place un Conseil Consultatif des Citoyens Étrangers pour donner la parole à celles et ceux qui en sont privés, qui s’est battu contre l’expulsion des familles Rom. C’est la droite dans la ville de Bobigny et du Blanc Mesnil qui a fait tomber les deux municipalités communistes il y a six ans en utilisant l’abjecte et xénophobe argument de leur soutien à ces mêmes Rom. Ajoutons que le parti et la municipalité accusés de « racisme » sont ceux qui figurent toujours en première ligne contre toutes les discriminations, pour la régularisation des sans-papiers, la droit de vote des étrangers, pour le droit au logement, irréprochable sur son travail de mémoire qu’il s’agisse de la guerre d’Algérie ou de la mémoire du colonialisme. Et ils en paient en tout honneur les conséquences.
 
Pour revenir au vrai racisme, il est incontestable qu’il fait bel et bien système dans notre société puisqu’il s’infiltre dans différents corps de métiers et différentes strates de la société. On peut donc légitimement parler de « racisme systémique ». Notons que le phénomène est mondial, comme un calque hideux de la mondialisation capitaliste qui provoque un repli sur soi de peuples entiers. Rares sont les pays qui échappent à la vague nationaliste et à la résurgence des idées racistes. La France ne fait, à cet égard, pas exception et elle a un lourd passé enfoui qui fournit un excellent terreau aux idées réactionnaires. Ici, la police est violement contaminée. Elle l’est pour plusieurs raisons. Tout d’abord par le fait que l’usage de la force physique dont elle a le monopole légal attire naturellement ceux qui observent une fascination pour la force et qui croupissent à l’extrême droite. C’est ainsi que des groupuscules infiltrés dans la police dispensent une propagande raciste, parfois avec l’onction syndicale. Que l’Etat prétendument républicain n’ait osé, depuis des décennies, se dresser contre pareille propagande diffusée en son sein témoigne d’une inacceptable lâcheté. Ensuite, le policier lambda souvent issu de milieux populaires envoyé dans les villes où les difficultés sociales s’accumulent, et où en conséquence le trafic de drogue a pignon sur rue, le vol et le racket sont monnaie courante voit face à lui une population largement immigrée ou descendante d’immigrés. Et la propagande raciste lui fait évidemment voir l’immigré ou enfant d‘immigré avant de voir l’être humain en proie à la violence sociale. C’est ainsi qu’un Zemmour peut pérorer sur la surreprésentation des noirs ou des maghrébins dans les prisons sans que personne ne lui oppose les conditions sociales dans lesquelles vivent les enfants d’immigrés et la construction sociale de la délinquance. La mise au ban de la grille d’analyse marxiste nous prive d’arguments décisifs. Blanc ou noir, si on ne naît pas raciste, on ne naît pas non plus délinquant ! Le travail à effectuer pour réformer la police est colossal. C’est par une redéfinition de l’Etat et de son rôle que cette séparation entre la police et les citoyens qu’elle est censée protéger pourra être résorbée, et les forces de « l’ordre injuste » transformée en forces de paix civile. Beaucoup de policiers lucides sont prêts à l’entendre et à y travailler. Qu’ils soient aidés et soutenus.
 
Pour autant, peut-on dire de l’Etat qu’il est, en tant que tel, raciste ? Ce serait pour le coup pousser à une généralisation à mon sens confondante. Et à une mécompréhension de ce qu’est l’Etat, bien plus un réceptacle des rapports sociaux (aujourd’hui largement défavorables aux intérêts populaires) qu’un tout homogène motivé par l’oppression. Entre autres exemples, comment défendre l’Aide médicale d’Etat, cette couverture maladie pour les étrangers en situation irrégulière et dont l’extrême droite a fait de sa suppression un cheval de bataille, si l’on considère l’Etat qui la met en place comme structurellement raciste ? Il y aurait trop d’incohérences qui masquent la vraie nature du racisme, son ancrage sociétal qui prend racine dans plus d’un siècle d’oppression coloniale et 500 ans de domination européenne à l’échelle du monde, et non dans les institutions républicaines.
 
Car oui, le racisme comme système s’appuie sur la dynamique historique du capital qui, une fois l’esclavage aboli, a transformé les anciens esclaves en salariés les plus exploités, puis les anciens colonisés et les nouveaux immigrés en main d’œuvre corvéable à merci, (dans le cadre de la libre concurrence) les reléguant massivement au bas de l’échelle sociale où se conjuguent quantités de phénomènes délétères. Dans sa dynamique contemporaine, le capital ne peut plus assumer le racisme anachronique, celui des Gobineau et consort. On ne s’étonne dès lors pas de voir les puissances capitalistes contemporaines, dans le numérique notamment, soutenir le mouvement Black Lives Matter en cherchant à l’empêcher de déborder son lit pour affronter la question sociale, le partage des richesses et l’impérialisme. Autant de choses sur lesquelles se fondent également et surtout, aujourd’hui, les discriminations. Tout en se gargarisant de l’antiracisme, le capitalisme le plus vorace perpétue les discriminations par les logiques même du marché. La lutte antiraciste doit donc se mener sur deux fronts : contre le vieux fond idéologique rance qui revient à la surface et contre les logiques capitalistes et impérialistes. L’action pour réparer la société des dégâts du colonialisme et du racisme est partie intégrante du combat pour changer le système. Il réclame donc une union populaire la plus vaste possible qui se joue des divisions instillées de toutes parts.
 
 
 
En restant à votre disposition, je souhaite à chacune et chacun d’entre vous la meilleure semaine possible.

Patrick Le Hyaric
 
 
Revue TAF - Travailler au futur n°2
 
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Ce numéro de la revue "Travailler au Futur" est entièrement consacré au travail des femmes.
 
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Ces quelques réflexions ont été rédigées en mars 2020, en plein confinement, avec le secours de Platon, Aristote, Pascal, Rousseau, Kant, Sartre et quelques autres...
 
Ces quelques réflexions ont été rédigées en mars 2020, en plein confinement, avec le secours de Platon, Aristote, Pascal, Rousseau, Kant, Sartre et quelques autres.

Et si cette pandémie ramenait à la surface des problèmes essentiels de nos sociétés et de chacun de nous ?
 
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