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Jacques Toubon s’inquiète de l’effet de la dématérialisation sur l’accès aux services publics

Pour la première fois, le Défenseur des droits consacre un rapport au risque d’exclusion et d’inégalité engendré par les démarches en ligne.

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Publié le 17 janvier 2019 à 11h57, modifié le 17 janvier 2019 à 11h57

Temps de Lecture 3 min.

Ce sont les milliers de réclamations parvenues au Défenseur des droits ces dernières années qui l’ont alerté sur le sujet : elles montraient toutes comment la dématérialisation des démarches administratives, qui facilite la vie de la plupart des Français, pouvait devenir pour certains un cauchemar, voire un nouveau facteur d’exclusion.

Alors que fin octobre, le premier ministre a redit son ambition « que 100 % des services publics soient accessibles en ligne à l’horizon 2022 », le Défenseur des droits a publié, jeudi 17 janvier, son premier rapport entièrement consacré à la dématérialisation, dans lequel il alerte sur le risque que cette mutation crée de nouvelles inégalités d’accès aux services publics. « Aucune organisation administrative, aucune évolution technologique ne peut être défendue si elle ne va pas dans le sens de l’amélioration des droits, pour tous et pour toutes », prévient le Défenseur des droits en introduction.

Or, c’est justement ce que souligne le rapport par des exemples concrets : l’amélioration des droits d’une majorité de Français – grâce à la simplification des démarches administratives, accessibles en ligne – ne rime pas avec l’amélioration des droits de tous. Comment font ceux qui vivent dans une zone blanche, dépourvue de toute connexion Internet et mobile ? Certes seuls 0,7 % des Français sont concernés, mais c’est tout de même 500 000 personnes. Sans compter les zones grises, où le débit de la connexion est trop faible pour réaliser de longues procédures correctement : l’inscription sur le site de Pôle emploi prend entre vingt et quarante-cinq minutes avec téléchargement de pièces jointes.

Outre cette fracture territoriale, il y a aussi une fracture sociale : le rapport souligne que 19 % des Français n’ont pas d’ordinateur à domicile et 27 % pas de smartphone. Sans compter ceux qui n’ont pas non plus de scanner, équipement incontournable pour l’envoi de pièces justificatives. Il y a, en outre, une fracture culturelle : si une majorité de Français sont très à l’aise dans l’univers numérique, un tiers s’estiment peu ou pas compétent pour utiliser un ordinateur. Or, parmi eux, se trouvent ceux qui en sont les plus tributaires pour toucher les allocations auxquelles ils ont droit : personnes âgées, personnes handicapées, allocataires de minima sociaux.

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Pannes, blocages, dérives

Les entraves viennent aussi de problèmes techniques, défauts de conception ou manque d’ergonomie des sites hébergeant les procédures. En cela, la catastrophique mise en œuvre du Plan préfectures nouvelle génération qui, depuis novembre 2017, oblige à faire les demandes de carte grise ou de permis de conduire uniquement en ligne, semble l’exemple à ne pas suivre. Pannes, blocages, lenteurs, erreurs, ont occasionné parfois des situations préjudiciables : faute de permis, certaines personnes ont saisi le Défenseur des droits après avoir perdu leur emploi.

Un autre exemple concerne les droits des étrangers. Le dépôt des demandes de titre de séjour occasionnant d’interminables files d’attente, trente préfectures ont rendu obligatoire la prise de rendez-vous en ligne. Mais le nombre de rendez-vous étant limité, les sites bloquent toute demande dès que le quota est atteint, rendant parfois leur prise impossible.

S’ajoutent d’autres dérives : s’engouffrant dans ces failles, des prestataires privés proposent désormais moyennant finances d’effectuer certaines démarches de carte grise comme de titres de séjour, à la place des demandeurs. Avec même parfois, dénonce le Défenseur des droits, un accès privilégié à des procédures accélérées.

Face à ces fractures, ces loupés, ces dérives, la première recommandation du Défenseur des droits est simple : « Qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée. » Il plaide, par ailleurs, pour que soient repérées et accompagnées les personnes en difficulté avec le numérique, jugeant les dispositifs existants – comme les maisons de services au public, les « points numériques » dans les préfectures, ou la distribution de chèque pour des heures de formation – intéressants, mais insuffisants. Il préconise de « redéployer une partie des économies procurées par la dématérialisation des services publics vers la mise en place de dispositifs pérennes d’accompagnement des usagers ».

Espérant contribuer par ce rapport « à faire en sorte que ce processus inéluctable et fondamentalement positif pour la qualité du service public respecte les objectifs des services publics sans laisser personne de côté », le Défenseur des droits met en garde : perdre le sens de cette transformation ou sous-estimer ses effets nous exposerait, écrit-il, « à un recul inédit de ce qu’est le service public en France ».

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