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Fermeture de Fessenheim : en finir avec les idées reçues

Article publié le 21 septembre 2020



À l’occasion de la fermeture des réacteurs de Fessenheim, certains discours reviennent en boucle. Revenons sur certaines idées reçues.

NB : initialement rédigé en 2020, cet article a été mis à jour en septembre 2022 pour la dernière question.



« Fessenheim était sûre et aurait pu continuer à fonctionner encore longtemps »

FAUX

Le site de Fessenheim est particulièrement vulnérable à certains risques non maîtrisables, du fait de sa situation en zone sismique et inondable, en contrebas du grand canal d’Alsace.

De plus, le vieillissement de la centrale entraînait des risques. Conçues pour un fonctionnement d’une quarantaine d’années seulement, les cuves des réacteurs n’étaient ni remplaçables ni réparables. Prolonger leur utilisation revenait à rogner sur les marges de sûreté, d’autant plus qu’elles présentaient des défauts susceptibles d’augmenter les risques de rupture [1] En outre, la centrale était équipée de pièces non conformes (notamment un générateur de vapeur sur le réacteur n°2), dont on ne peut affirmer qu’elles auraient fonctionné sans risque encore 10 années de plus.

Surtout, EDF savait qu’atteindre les objectifs requis pour la 4ème visite décennale représenterait un défi de taille. Ceux-ci exigeaient de porter la centrale au niveau de la dernière génération de réacteurs, ce qui nécessitait notamment de garantir que le radier, ce socle en béton sous la centrale, ne soit pas transpercé par le coeur en fusion en cas d’accident (une demande d’autant plus importante que Fessenheim est implantée juste quelques mètres au-dessus d’une des plus grandes nappes phréatiques d’Europe). Particulièrement mince (1,2 m d’épaisseur, contre 3 à 4 m sur la majorité du parc), le radier de Fessenheim avait déjà subi des travaux en 2012, mais ceux-ci n’avaient permis que de l’épaissir de 50 cm, avec pour seul effet de ralentir de 44h un éventuel percement. Au vu de la configuration des réacteurs, il ne restait guère de marge pour atteindre le niveau prescrit pour un fonctionnement au-delà de 40 ans.

Sachant cela, EDF a prétexté de la fermeture pour décider de ne pas mettre en oeuvre certaines prescriptions de l’Autorité de sûreté nucléaire, qui auraient été obligatoires pour un fonctionnement au-delà de 40 ans. Ainsi, EDF n’a pas réalisé d’études pour réévaluer l’aléa sismique, comme cela était exigé [2]. Surtout, elle a très tôt décidé de ne pas doter le site de « diesels d’ultime secours » destinés à garantir une alimentation électrique en toute circonstance (y compris en cas de séisme ou d’inondation). L’installation de ces équipements, requise avant fin 2018, faisait partie des mesures imposées suite à l’accident de Fukushima [3]. La correspondance d’EDF avec l’Autorité de sûreté nucléaire indique que la décision de l’entreprise de ne pas doter le site de diesels d’ultime secours a été prise plusieurs années avant les élections présidentielles de 2017. Ceci prouve que l’entreprise avait déjà acté l’arrêt de la centrale et qu’elle n’escomptait pas revenir dessus, même à la faveur d’un éventuel changement politique. [4].

Enfin, si EDF souhaitait vraiment prouver que la centrale de Fessenheim faisait l’objet d’une fermeture injustifiée, elle aurait préparé un dossier pour sa 4ème visite décennale en vue de le démontrer. Elle ne l’a pas fait. Comme l’a souligné devant les parlementaires Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire, "EDF a fait le choix assez tôt de ne pas préparer les réacteurs de la centrale à leur poursuite d’exploitation au-delà de la date d’échéance de leur 4ème réexamen de sûreté, soit 2020 pour le réacteur n°1". Une preuve du manque de confiance de l’entreprise dans la capacité de la centrale à atteindre le niveau fixé ? Dans tous les cas, selon l’ASN, "2020 est progressivement devenue une date butée qui ne pouvait pas être dépassée sans mettre les réacteurs de Fessenheim en situation d’écart par rapport au référentiel du 4ème réexamen de sûreté des réacteurs de 900 MW" .

Le jugement "globalement positif" posé par l’Autorité de sûreté nucléaire en 2019 sur le fonctionnement de la centrale sur l’année écoulée ne signifie donc pas pour autant que celle-ci aurait pu être autorisée à fonctionner au-delà de sa 4ème visite décennale. Cette expression signifie juste que le personnel a fait son travail correctement et que la centrale répondait aux standards exigés dans le cadre de sa 3ème visite décennale.

Notons enfin que l’arrêt de la centrale ne signe pas la disparition totale des risques : le combustible nucléaire usé devra encore refroidir plusieurs années sur le site, qui restera vulnérable aux séismes et inondations et dépourvu de diesels d’ultime secours.

« En fermant Fessenheim, la France va réduire son indépendance énergétique »

FAUX

Le combustible nucléaire utilisé à Fessenheim, comme dans toutes les centrales françaises, était fabriqué à partir d’uranium importé à 100%, depuis le Niger, le Kazakhstan, l’Australie… Par ailleurs, certaines opérations de fabrication du combustible avaient même lieu en Allemagne ou en Suède.

« La fermeture de Fessenheim va coûter très cher »

VRAI

L’État a choisi d’effectuer un cadeau à EDF aux frais des contribuables Le 27 septembre 2019, l’État et EDF ont signé un protocole visant à indemniser l’entreprise pour la fermeture de Fessenheim [5] . Celui-ci prévoit le versement d’entre 370 et 443 millions d’euros pour couvrir certains frais, ainsi qu’un dédommagement pour le manque à gagner en terme de production d’électricité. Avec ce protocole, EDF a obtenu « le beurre et l’argent du beurre ». Le Réseau “Sortir du nucléaire“ a déposé plainte devant la Commission Européenne pour dénoncer une aide d’État déguisée [6]. En effet, certaines sommes ont normalement déjà dû être provisionnées par EDF (démantèlement, gestion des déchets), l’entreprise ayant décidé d’amortir la centrale sur 40 ans. Surtout, le dédommagement pour le manque à gagner part du postulat que la centrale aurait pu fonctionner jusqu’en 2041, une hypothèse hautement improbable, comme évoqué plus haut.

EDF se voit donc dédommagée pour une électricité qu’elle n’aurait pas pu produire, alors que cette fermeture lui a permis de ne pas réaliser les coûteux travaux qui auraient été requis. En outre, il est étrange de dédommager pour un fonctionnement prévu jusqu’à 60 ans alors que la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie prévoit qu’EDF ne recevra pas d’indemnisation pour les réacteurs s’arrêtant à 50 ans.

Dans un rapport publié en février 2020 [7], la Cour des Comptes critique vertement les clauses de ce protocole. Elle dénonce ce choix d’indemniser EDF pour un fonctionnement présumé jusqu’à 60 ans alors que la centrale ne réunissait pas même les conditions pour passer sa 4è visite décennale : les travaux nécessaires n’ayant pas été réalisés, les deux réacteurs auraient dû s’arrêter au plus tard respectivement en 2020 et 2022. Elle fustige également un protocole dont les modes de calculs sont insuffisamment détaillés, assortis de raisonnements non justifiés (comme supposer que le niveau de production restera le même qu’actuellement), et une négociation qui avantage considérablement EDF au détriment de l’État.

Avec ce protocole, l’État a finalement laissé EDF réaliser une opération très avantageuse, comme le rappelle la Cour des Comptes :

« À la date de signature du protocole, EDF était en situation d’arrêter d’exploiter un investissement qui sera complètement amorti à l’échéance de sa quatrième visite décennale, pour lequel une prolongation de quelques années seulement n’avait pas de sens en termes économiques, dont la rentabilité de la prolongation à plus longue échéance était fortement discutable et dans tous les cas beaucoup plus faible que celle des autres centrales 900 MW ».

Notons aussi que cette fermeture permet à EDF de réduire la surcapacité et donc d’éviter une baisse trop importante du prix de l’électricité : plus les quantités mises sur le marché de l’électricité sont importantes, plus les prix baissent, ce qui peut désavantager EDF lorsque ces prix deviennent inférieurs aux coûts de production.

On peut légitimement s’interroger sur la raison de cette indemnisation injustifiée et payée par les contribuables. S’agit-il de renflouer indirectement EDF ? De dissuader de fermer d’autres réacteurs ?

« La fermeture de Fessenheim va mettre des milliers de personnes au chômage »

CERTES, il y a un véritable enjeu de reconversion… mais à relativiser par rapport à d’autres situations

La fermeture de Fessenheim a été annoncée dès 2012, ce qui laissait du temps pour anticiper une reconversion. La centrale n’étant pas éternelle et certains travaux n’étant pas réalisés ou très difficilement réalisables, son arrêt était inéluctable. EDF aurait normalement dû jouer carte sur table auprès de ses salariés, du personnel des entreprises prestataires et des acteurs du territoire, ce qui leur aurait sans doute épargné bien des incertitudes. Pour autant, la reconversion des travailleurs est une vraie question, le démantèlement nécessitant un effectif beaucoup moins important. Les 600 salariés d’EDF présents sur le site de Fessenheim bénéficient d’une garantie d’emploi. Presque tous ont pu trouver un autre poste au sein du groupe, soit dans la région, soit sur une autre centrale. Quant aux sous-traitants, une partie d’entre eux naviguaient déjà entre plusieurs sites. Plus qualifiées que la moyenne des travailleurs industriels, les personnes travaillant à la centrale de Fessenheim pourront facilement trouver des postes en rapport avec leurs compétences. S’ils souhaitent rester dans le nucléaire, la filière est actuellement en grand besoin de personnes compétentes pour faire face aux lourds travaux prévus par EDF et au départ en retraite d’une bonne partie de son personnel.

Il n’est certes pas question de balayer d’un revers de main les conséquences humaines que peut représenter, pour des centaines de personnes, la disparition de leur lieu de travail. Pour autant, la fermeture de Fessenheim ne peut être comparée, en termes d’ordre de grandeur, à celle de certains sites industriels comme les complexes sidérurgiques lorrains. Si la réduction des emplois liés à la centrale aura des conséquences sur les communes voisines, le territoire ne sera pas soudainement transformé en désert : comme le montre une étude réalisée par l’INSEE en 2014 [8], Fessenheim était juste un « petit pôle d’emplois ».

Surtout, cette fermeture peut constituer une impulsion pour une accélération locale de la transition énergétique, sachant que les secteurs de la maîtrise de l’énergie et des énergies renouvelables sont proportionnellement plus créateurs d’emplois que le nucléaire [9]. Rénovation thermique, développement du solaire et de l’éolien, conseil en énergie : le potentiel est là !

« La fermeture de Fessenheim va faire augmenter les émissions de CO2 de 6 à 10 millions de tonnes par an. Ce sont les centrales à charbon allemandes qui prennent le relai »

FAUX

Depuis des années, même avec l’indisponibilité récurrente de nombreux réacteurs, les émissions de CO2 liées à la production électrique française baissent. La fermeture de Fessenheim ne devrait pas changer grand-chose à cette tendance. Alors que la consommation d’électricité stagne, la France a déployé suffisamment de panneaux solaires et d’éoliennes depuis 2012 pour remplacer la production annuelle de quatre réacteurs. Le bilan prévisionnel de RTE prévoit que dans les années à venir, la réduction de la part du nucléaire ira de pair avec une baisse des émissions de gaz à effet de serre d’origine électrique, du fait du développement des énergies renouvelables.

À l’occasion de la fermeture de Fessenheim, la Société Française d’Énergie Nucléaire a pourtant clamé que cet arrêt se traduirait par l’émission de 6 à 10 millions de tonnes de CO2 supplémentaires par an. Ces chiffres partent du postulat que la production électrique annuelle de la centrale alsacienne (dans ses meilleures années !) serait mécaniquement et intégralement remplacée par celle de centrales au gaz ou au charbon situées ailleurs en Europe. Et le lobby nucléaire de suggérer que Fessenheim serait "remplacée" par la centrale à charbon de Datteln 4 en Allemagne, fraîchement inaugurée, jouant sur le cliché des Allemands qui quitteraient le nucléaire pour "relancer" le charbon.

Or un tel raisonnement, qui présuppose qu’une installation serait directement « remplacée » par une autre située dans un autre pays, est pour le moins tiré par les cheveux. Surtout, il s’avère déconnecté des réalités : sur le réseau électrique européen, ce sont les énergies renouvelables qui ont la priorité.

Par ailleurs, la mise en service de la centrale de Datteln (décidée bien avant 2011, et démarrée malgré l’opposition des écologistes, antinucléaires compris) est en réalité l’arbre qui cache la forêt de l’évolution du paysage énergétique allemand et européen, où le charbon est désormais largement devancé par les renouvelables. Une vingtaine de projets de centrale à charbon ont été annulés outre-Rhin et les énergies renouvelables, qui représentaient déjà 43% du mix électrique en 2019, y remplacent progressivement non seulement le nucléaire, mais aussi les fossiles. Selon les données officielles analysées par Agora Energiewende, les émissions de gaz à effet de serre découlant de la production d’électricité allemande ont diminué de 39% entre 1990 et 2019 et cette tendance ne fait que s’accentuer. Au niveau européen, selon les données d’Agora Energiewende, la même évolution est observée : en 2019, la production d’électricité à base de charbon a baissé de 24% et les émissions du secteur électrique de 12%, notamment du fait du déploiement des énergies renouvelables, qui représentent désormais 35% de la production européenne d’électricité. En 2020, selon les données collectées par Ember et Agora Energiewende, la tendance s’est encore accentuée : la part des renouvelables dans la production électrique des 27 est montée à 38%, dépassant pour la première fois celle des fossiles, descendue à 37%. Entre 2015 et 2020, l’intensité carbone du mix électrique européen a baissé de 29%. Si une partie de ces évolutions sont attribuables aux conditions climatiques et aux impacts du Covid, on ne peut que constater une tendance de fond : l’électricité européenne n’est plus dominée par les fossiles.

Au vu de ces données, le chiffre mis en avant par la SFEN est donc tout simplement mensonger. De manière générale, présenter le maintien en fonctionnement de Fessenheim comme une action pour le climat revient à se tromper de cible. Pour réduire les émissions de CO2 en France, la priorité n’est pas de maintenir en fonctionnement à grand frais des centrales vieillissantes, mais plutôt d’agir sur les transports et la rénovation énergétique des logements, secteur où notre pays est très en retard sur ses objectifs climatiques [10].

Enfin, si on peut s’interroger sur le chiffre produit par la SFEN, on doit à plus forte raison questionner celui avancé par l’association "Patrimoine nucléaire et climat", récemment créée, qui avance celui de ... 13 millions de tonnes de CO2 par an ! Cette surenchère basée sur des calculs infondés et des données fausse pose clairement la question de l’honnêteté intellectuelle des membres fondateurs de cette association.

« La France risque le black-out avec la fermeture de Fessenheim, il faudrait la repousser »

FAUX

L’Alsace n’est pas une île et son réseau électrique est connecté avec celui des territoires voisins. Comme le rappelait RTE début 2020, « la région Grand Est dispose de suffisamment de moyens de production pour répondre à ses besoins en électricité. Elle produit plus de deux fois plus qu’elle ne consomme » [11]. Les lumières ne se sont d’ailleurs pas éteintes pendant toutes les périodes où l’un et/ou l’autre des réacteurs ont été à l’arrêt (notamment en 2016 et 2017). L’arrêt définitif de la centrale ne représente pas un changement significatif.

En février 2020, RTE a déclaré que la fermeture de Fessenheim (qui représente au mieux 2% de la production électrique française) ne devait pas impacter la sécurité d’approvisionnement [12]. Des leviers ont été identifiés pour faire face à la baisse de la production électrique qui en découlera.

Les conséquences de la crise sanitaire ont toutefois fait évoluer le contexte. Selon RTE, le report à l’hiver 2020-2021 d’opérations de maintenance qui auraient dû avoir lieu au printemps génèrera une « situation inédite nécessitant une grande vigilance [13]. Si l’approvisionnement devrait être assuré avec des températures de saison, des températures particulièrement rigoureuses pourraient entraîner des tensions. RTE a proposé plusieurs leviers d’actions (écogestes, effacement [14]). Et « en dernier recours, si et seulement si les leviers activés ne suffisaient pas, RTE pourrait avoir recours au délestage, c’est-à-dire à des coupures d’électricité maîtrisées, ciblées et temporaires sur le territoire. Il n’est en aucun cas question de black-out. ». L’Autorité de sûreté nucléaire a aussi fait part de ses préoccupations liées au décalage des arrêts de réacteurs en raison de l’épidémie : en cas de découverte d’un défaut générique sur une installation, il n’y aura plus de marge pour procéder à des fermetures sur une série de réacteurs potentiellement concernés. Mais cette tension se serait présentée dans tous les cas même si Fessenheim était restée en fonctionnement. Le problème que cette crise met en exergue n’est pas la fermeture de Fessenheim, mais bien notre système de production et de consommation d’électricité. La nécessité d’écouler la surproduction nucléaire, qui a mené au développement massif du chauffage électrique et au retard de la France en terme de performance énergétique des logements, génère une pointe hivernale compliquée à gérer. Quant à notre approvisionnement électrique, il repose majoritairement sur une technologie dangereuse, tributaire d’une maintenance lourde et complexe. Cette situation de vulnérabilité plaide pour un passage urgent à un système de production et de consommation d’énergie plus résilient et plus sobre.

Dans tous les cas, même EDF n’envisage pas le report de la fermeture de Fessenheim. Il serait bien compliqué de revenir sur une gestion du combustible pensée longtemps à l’avance et de rajouter de nouvelles opérations de maintenance à un calendrier de travaux déjà serré.

Complément 2022 « Nous ne serions pas dans cette crise énergétique si Fessenheim était restée en fonctionnement. Elle doit être relancée ! »

FAUX

Pour les raisons exposées plus haut, sauf à déroger à certaines prescriptions en terme de sûreté, Fessenheim aurait difficilement pu être autorisée à fonctionner au-delà de la 4ème visite décennale prévue en 2020.

À supposer qu’il y ait malgré tout une décision politique en ce sens, passant outre l’enjeu de sûreté, remettre en fonctionnement cette centrale prendrait des années : il faudrait faire revenir le personnel, commander du nouveau combustible nucléaire, effectuer certains travaux incompressibles, faire passer leur 4ème visite décennale aux réacteurs... Une telle proposition relève de la démagogie pure et simple.

Enfin, si jamais elle avait eu lieu, la poursuite de son fonctionnement n’aurait pas changé grand-chose à la situation de crise énergétique dans laquelle la France se trouve actuellement. À l’été 2022, la moitié du parc a dû être arrêté pour des raisons diverses : maintenance régulière, visites décennales, maintenance initialement prévue en 2020 et décalée du fait de la première vague de Covid, et, surtout, découverte d’un grave problème de corrosion sous contrainte touchant des tuyauteries cruciales pour la sûreté, dont la rupture entraînerait des conséquences très graves. Selon EDF, ce problème pourrait être lié à la conception des tuyauteries, et peut-être à des problèmes de qualité de réalisation.

À fin septembre 2022, 15 réacteurs sont à l’arrêt en lien avec ce problème, parmi lesquels 10 font l’objet de réparation et 5 de contrôles. Parmi ces réacteurs, on compte les plus récents et les plus puissants du parc. Leur puissance cumulée est plus de 10 fois supérieure à celle de Fessenheim : autant dire que son maintien en fonctionnement n’aurait pas changé grand-chose à un problème structurel plus large, qui vient interroger la maîtrise industrielle française. En revanche, si la trajectoire de développement des énergies renouvelables avait été plus ambitieuse et les objectifs de rénovation thermique performante vraiment respecté, les conséquences de cette crise auraient pu être atténuées.


Notes

[2Voir la déclaration de M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire "Aujourd’hui, je ne peux pas vous dire si, à l’issue des analyses qu’aurait pu conduire EDF, le résultat aurait été que la centrale nécessitait de renforcer, et si ces renforcements auraient été possibles"

[3Ces équipements feront d’ailleurs défaut pendant les quelques années restantes où le refroidissement du combustible nucléaire usé devra se poursuivre. Une action en justice a d’ailleurs été lancée à ce sujet

[4Dans un courrier daté du 27 juillet 2018 (voir sur le site de l’ASN), EDF affirme : "Il restait un délai de 4 ans à partir de janvier 2015 pour construire les 56 DUS devant équiper le parc nucléaire [NB : qui comprend 58 réacteurs avec Fessenheim]. Le délai moyen que nous constatons entre le début de la construction d’un DUS et sa mise en exploitation est de 3 ans et 4 mois". Si EDF avait vraiment eu la possibilité matérielle de faire fonctionner le réacteur plus longtemps et mis quelque espoir dans la victoire aux élections d’un parti favorable à cette option, elle aurait également engagé les travaux pour la mise en place de ces équipements à Fessenheim pour ne pas être hors délai.

[5Le détail de ce texte n’a pas été rendu public et fait l’objet d’une demande à la Commission d’Accès aux Documents Administratifs.

[9En 2011, l’association Négawatt a réalisé une étude montrant que la mise en œuvre d’une transition énergétique ambitieuse était susceptible de créer plus de 600 000 emplois nets, ceux liés aux secteurs des énergies renouvelables et des économies d’énergies compensant très largement ceux détruits dans le nucléaire et les énergies fossiles : https://negawatt.org/IMG/pdf/synthese_emploi_scenario-negawatt_29-03-2013.pdf

[14Réduction provisoire et concertée de la consommation d’électricité d’un site ou d’un groupe de clients.

« Fessenheim était sûre et aurait pu continuer à fonctionner encore longtemps »

FAUX

Le site de Fessenheim est particulièrement vulnérable à certains risques non maîtrisables, du fait de sa situation en zone sismique et inondable, en contrebas du grand canal d’Alsace.

De plus, le vieillissement de la centrale entraînait des risques. Conçues pour un fonctionnement d’une quarantaine d’années seulement, les cuves des réacteurs n’étaient ni remplaçables ni réparables. Prolonger leur utilisation revenait à rogner sur les marges de sûreté, d’autant plus qu’elles présentaient des défauts susceptibles d’augmenter les risques de rupture [1] En outre, la centrale était équipée de pièces non conformes (notamment un générateur de vapeur sur le réacteur n°2), dont on ne peut affirmer qu’elles auraient fonctionné sans risque encore 10 années de plus.

Surtout, EDF savait qu’atteindre les objectifs requis pour la 4ème visite décennale représenterait un défi de taille. Ceux-ci exigeaient de porter la centrale au niveau de la dernière génération de réacteurs, ce qui nécessitait notamment de garantir que le radier, ce socle en béton sous la centrale, ne soit pas transpercé par le coeur en fusion en cas d’accident (une demande d’autant plus importante que Fessenheim est implantée juste quelques mètres au-dessus d’une des plus grandes nappes phréatiques d’Europe). Particulièrement mince (1,2 m d’épaisseur, contre 3 à 4 m sur la majorité du parc), le radier de Fessenheim avait déjà subi des travaux en 2012, mais ceux-ci n’avaient permis que de l’épaissir de 50 cm, avec pour seul effet de ralentir de 44h un éventuel percement. Au vu de la configuration des réacteurs, il ne restait guère de marge pour atteindre le niveau prescrit pour un fonctionnement au-delà de 40 ans.

Sachant cela, EDF a prétexté de la fermeture pour décider de ne pas mettre en oeuvre certaines prescriptions de l’Autorité de sûreté nucléaire, qui auraient été obligatoires pour un fonctionnement au-delà de 40 ans. Ainsi, EDF n’a pas réalisé d’études pour réévaluer l’aléa sismique, comme cela était exigé [2]. Surtout, elle a très tôt décidé de ne pas doter le site de « diesels d’ultime secours » destinés à garantir une alimentation électrique en toute circonstance (y compris en cas de séisme ou d’inondation). L’installation de ces équipements, requise avant fin 2018, faisait partie des mesures imposées suite à l’accident de Fukushima [3]. La correspondance d’EDF avec l’Autorité de sûreté nucléaire indique que la décision de l’entreprise de ne pas doter le site de diesels d’ultime secours a été prise plusieurs années avant les élections présidentielles de 2017. Ceci prouve que l’entreprise avait déjà acté l’arrêt de la centrale et qu’elle n’escomptait pas revenir dessus, même à la faveur d’un éventuel changement politique. [4].

Enfin, si EDF souhaitait vraiment prouver que la centrale de Fessenheim faisait l’objet d’une fermeture injustifiée, elle aurait préparé un dossier pour sa 4ème visite décennale en vue de le démontrer. Elle ne l’a pas fait. Comme l’a souligné devant les parlementaires Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire, "EDF a fait le choix assez tôt de ne pas préparer les réacteurs de la centrale à leur poursuite d’exploitation au-delà de la date d’échéance de leur 4ème réexamen de sûreté, soit 2020 pour le réacteur n°1". Une preuve du manque de confiance de l’entreprise dans la capacité de la centrale à atteindre le niveau fixé ? Dans tous les cas, selon l’ASN, "2020 est progressivement devenue une date butée qui ne pouvait pas être dépassée sans mettre les réacteurs de Fessenheim en situation d’écart par rapport au référentiel du 4ème réexamen de sûreté des réacteurs de 900 MW" .

Le jugement "globalement positif" posé par l’Autorité de sûreté nucléaire en 2019 sur le fonctionnement de la centrale sur l’année écoulée ne signifie donc pas pour autant que celle-ci aurait pu être autorisée à fonctionner au-delà de sa 4ème visite décennale. Cette expression signifie juste que le personnel a fait son travail correctement et que la centrale répondait aux standards exigés dans le cadre de sa 3ème visite décennale.

Notons enfin que l’arrêt de la centrale ne signe pas la disparition totale des risques : le combustible nucléaire usé devra encore refroidir plusieurs années sur le site, qui restera vulnérable aux séismes et inondations et dépourvu de diesels d’ultime secours.

« En fermant Fessenheim, la France va réduire son indépendance énergétique »

FAUX

Le combustible nucléaire utilisé à Fessenheim, comme dans toutes les centrales françaises, était fabriqué à partir d’uranium importé à 100%, depuis le Niger, le Kazakhstan, l’Australie… Par ailleurs, certaines opérations de fabrication du combustible avaient même lieu en Allemagne ou en Suède.

« La fermeture de Fessenheim va coûter très cher »

VRAI

L’État a choisi d’effectuer un cadeau à EDF aux frais des contribuables Le 27 septembre 2019, l’État et EDF ont signé un protocole visant à indemniser l’entreprise pour la fermeture de Fessenheim [5] . Celui-ci prévoit le versement d’entre 370 et 443 millions d’euros pour couvrir certains frais, ainsi qu’un dédommagement pour le manque à gagner en terme de production d’électricité. Avec ce protocole, EDF a obtenu « le beurre et l’argent du beurre ». Le Réseau “Sortir du nucléaire“ a déposé plainte devant la Commission Européenne pour dénoncer une aide d’État déguisée [6]. En effet, certaines sommes ont normalement déjà dû être provisionnées par EDF (démantèlement, gestion des déchets), l’entreprise ayant décidé d’amortir la centrale sur 40 ans. Surtout, le dédommagement pour le manque à gagner part du postulat que la centrale aurait pu fonctionner jusqu’en 2041, une hypothèse hautement improbable, comme évoqué plus haut.

EDF se voit donc dédommagée pour une électricité qu’elle n’aurait pas pu produire, alors que cette fermeture lui a permis de ne pas réaliser les coûteux travaux qui auraient été requis. En outre, il est étrange de dédommager pour un fonctionnement prévu jusqu’à 60 ans alors que la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie prévoit qu’EDF ne recevra pas d’indemnisation pour les réacteurs s’arrêtant à 50 ans.

Dans un rapport publié en février 2020 [7], la Cour des Comptes critique vertement les clauses de ce protocole. Elle dénonce ce choix d’indemniser EDF pour un fonctionnement présumé jusqu’à 60 ans alors que la centrale ne réunissait pas même les conditions pour passer sa 4è visite décennale : les travaux nécessaires n’ayant pas été réalisés, les deux réacteurs auraient dû s’arrêter au plus tard respectivement en 2020 et 2022. Elle fustige également un protocole dont les modes de calculs sont insuffisamment détaillés, assortis de raisonnements non justifiés (comme supposer que le niveau de production restera le même qu’actuellement), et une négociation qui avantage considérablement EDF au détriment de l’État.

Avec ce protocole, l’État a finalement laissé EDF réaliser une opération très avantageuse, comme le rappelle la Cour des Comptes :

« À la date de signature du protocole, EDF était en situation d’arrêter d’exploiter un investissement qui sera complètement amorti à l’échéance de sa quatrième visite décennale, pour lequel une prolongation de quelques années seulement n’avait pas de sens en termes économiques, dont la rentabilité de la prolongation à plus longue échéance était fortement discutable et dans tous les cas beaucoup plus faible que celle des autres centrales 900 MW ».

Notons aussi que cette fermeture permet à EDF de réduire la surcapacité et donc d’éviter une baisse trop importante du prix de l’électricité : plus les quantités mises sur le marché de l’électricité sont importantes, plus les prix baissent, ce qui peut désavantager EDF lorsque ces prix deviennent inférieurs aux coûts de production.

On peut légitimement s’interroger sur la raison de cette indemnisation injustifiée et payée par les contribuables. S’agit-il de renflouer indirectement EDF ? De dissuader de fermer d’autres réacteurs ?

« La fermeture de Fessenheim va mettre des milliers de personnes au chômage »

CERTES, il y a un véritable enjeu de reconversion… mais à relativiser par rapport à d’autres situations

La fermeture de Fessenheim a été annoncée dès 2012, ce qui laissait du temps pour anticiper une reconversion. La centrale n’étant pas éternelle et certains travaux n’étant pas réalisés ou très difficilement réalisables, son arrêt était inéluctable. EDF aurait normalement dû jouer carte sur table auprès de ses salariés, du personnel des entreprises prestataires et des acteurs du territoire, ce qui leur aurait sans doute épargné bien des incertitudes. Pour autant, la reconversion des travailleurs est une vraie question, le démantèlement nécessitant un effectif beaucoup moins important. Les 600 salariés d’EDF présents sur le site de Fessenheim bénéficient d’une garantie d’emploi. Presque tous ont pu trouver un autre poste au sein du groupe, soit dans la région, soit sur une autre centrale. Quant aux sous-traitants, une partie d’entre eux naviguaient déjà entre plusieurs sites. Plus qualifiées que la moyenne des travailleurs industriels, les personnes travaillant à la centrale de Fessenheim pourront facilement trouver des postes en rapport avec leurs compétences. S’ils souhaitent rester dans le nucléaire, la filière est actuellement en grand besoin de personnes compétentes pour faire face aux lourds travaux prévus par EDF et au départ en retraite d’une bonne partie de son personnel.

Il n’est certes pas question de balayer d’un revers de main les conséquences humaines que peut représenter, pour des centaines de personnes, la disparition de leur lieu de travail. Pour autant, la fermeture de Fessenheim ne peut être comparée, en termes d’ordre de grandeur, à celle de certains sites industriels comme les complexes sidérurgiques lorrains. Si la réduction des emplois liés à la centrale aura des conséquences sur les communes voisines, le territoire ne sera pas soudainement transformé en désert : comme le montre une étude réalisée par l’INSEE en 2014 [8], Fessenheim était juste un « petit pôle d’emplois ».

Surtout, cette fermeture peut constituer une impulsion pour une accélération locale de la transition énergétique, sachant que les secteurs de la maîtrise de l’énergie et des énergies renouvelables sont proportionnellement plus créateurs d’emplois que le nucléaire [9]. Rénovation thermique, développement du solaire et de l’éolien, conseil en énergie : le potentiel est là !

« La fermeture de Fessenheim va faire augmenter les émissions de CO2 de 6 à 10 millions de tonnes par an. Ce sont les centrales à charbon allemandes qui prennent le relai »

FAUX

Depuis des années, même avec l’indisponibilité récurrente de nombreux réacteurs, les émissions de CO2 liées à la production électrique française baissent. La fermeture de Fessenheim ne devrait pas changer grand-chose à cette tendance. Alors que la consommation d’électricité stagne, la France a déployé suffisamment de panneaux solaires et d’éoliennes depuis 2012 pour remplacer la production annuelle de quatre réacteurs. Le bilan prévisionnel de RTE prévoit que dans les années à venir, la réduction de la part du nucléaire ira de pair avec une baisse des émissions de gaz à effet de serre d’origine électrique, du fait du développement des énergies renouvelables.

À l’occasion de la fermeture de Fessenheim, la Société Française d’Énergie Nucléaire a pourtant clamé que cet arrêt se traduirait par l’émission de 6 à 10 millions de tonnes de CO2 supplémentaires par an. Ces chiffres partent du postulat que la production électrique annuelle de la centrale alsacienne (dans ses meilleures années !) serait mécaniquement et intégralement remplacée par celle de centrales au gaz ou au charbon situées ailleurs en Europe. Et le lobby nucléaire de suggérer que Fessenheim serait "remplacée" par la centrale à charbon de Datteln 4 en Allemagne, fraîchement inaugurée, jouant sur le cliché des Allemands qui quitteraient le nucléaire pour "relancer" le charbon.

Or un tel raisonnement, qui présuppose qu’une installation serait directement « remplacée » par une autre située dans un autre pays, est pour le moins tiré par les cheveux. Surtout, il s’avère déconnecté des réalités : sur le réseau électrique européen, ce sont les énergies renouvelables qui ont la priorité.

Par ailleurs, la mise en service de la centrale de Datteln (décidée bien avant 2011, et démarrée malgré l’opposition des écologistes, antinucléaires compris) est en réalité l’arbre qui cache la forêt de l’évolution du paysage énergétique allemand et européen, où le charbon est désormais largement devancé par les renouvelables. Une vingtaine de projets de centrale à charbon ont été annulés outre-Rhin et les énergies renouvelables, qui représentaient déjà 43% du mix électrique en 2019, y remplacent progressivement non seulement le nucléaire, mais aussi les fossiles. Selon les données officielles analysées par Agora Energiewende, les émissions de gaz à effet de serre découlant de la production d’électricité allemande ont diminué de 39% entre 1990 et 2019 et cette tendance ne fait que s’accentuer. Au niveau européen, selon les données d’Agora Energiewende, la même évolution est observée : en 2019, la production d’électricité à base de charbon a baissé de 24% et les émissions du secteur électrique de 12%, notamment du fait du déploiement des énergies renouvelables, qui représentent désormais 35% de la production européenne d’électricité. En 2020, selon les données collectées par Ember et Agora Energiewende, la tendance s’est encore accentuée : la part des renouvelables dans la production électrique des 27 est montée à 38%, dépassant pour la première fois celle des fossiles, descendue à 37%. Entre 2015 et 2020, l’intensité carbone du mix électrique européen a baissé de 29%. Si une partie de ces évolutions sont attribuables aux conditions climatiques et aux impacts du Covid, on ne peut que constater une tendance de fond : l’électricité européenne n’est plus dominée par les fossiles.

Au vu de ces données, le chiffre mis en avant par la SFEN est donc tout simplement mensonger. De manière générale, présenter le maintien en fonctionnement de Fessenheim comme une action pour le climat revient à se tromper de cible. Pour réduire les émissions de CO2 en France, la priorité n’est pas de maintenir en fonctionnement à grand frais des centrales vieillissantes, mais plutôt d’agir sur les transports et la rénovation énergétique des logements, secteur où notre pays est très en retard sur ses objectifs climatiques [10].

Enfin, si on peut s’interroger sur le chiffre produit par la SFEN, on doit à plus forte raison questionner celui avancé par l’association "Patrimoine nucléaire et climat", récemment créée, qui avance celui de ... 13 millions de tonnes de CO2 par an ! Cette surenchère basée sur des calculs infondés et des données fausse pose clairement la question de l’honnêteté intellectuelle des membres fondateurs de cette association.

« La France risque le black-out avec la fermeture de Fessenheim, il faudrait la repousser »

FAUX

L’Alsace n’est pas une île et son réseau électrique est connecté avec celui des territoires voisins. Comme le rappelait RTE début 2020, « la région Grand Est dispose de suffisamment de moyens de production pour répondre à ses besoins en électricité. Elle produit plus de deux fois plus qu’elle ne consomme » [11]. Les lumières ne se sont d’ailleurs pas éteintes pendant toutes les périodes où l’un et/ou l’autre des réacteurs ont été à l’arrêt (notamment en 2016 et 2017). L’arrêt définitif de la centrale ne représente pas un changement significatif.

En février 2020, RTE a déclaré que la fermeture de Fessenheim (qui représente au mieux 2% de la production électrique française) ne devait pas impacter la sécurité d’approvisionnement [12]. Des leviers ont été identifiés pour faire face à la baisse de la production électrique qui en découlera.

Les conséquences de la crise sanitaire ont toutefois fait évoluer le contexte. Selon RTE, le report à l’hiver 2020-2021 d’opérations de maintenance qui auraient dû avoir lieu au printemps génèrera une « situation inédite nécessitant une grande vigilance [13]. Si l’approvisionnement devrait être assuré avec des températures de saison, des températures particulièrement rigoureuses pourraient entraîner des tensions. RTE a proposé plusieurs leviers d’actions (écogestes, effacement [14]). Et « en dernier recours, si et seulement si les leviers activés ne suffisaient pas, RTE pourrait avoir recours au délestage, c’est-à-dire à des coupures d’électricité maîtrisées, ciblées et temporaires sur le territoire. Il n’est en aucun cas question de black-out. ». L’Autorité de sûreté nucléaire a aussi fait part de ses préoccupations liées au décalage des arrêts de réacteurs en raison de l’épidémie : en cas de découverte d’un défaut générique sur une installation, il n’y aura plus de marge pour procéder à des fermetures sur une série de réacteurs potentiellement concernés. Mais cette tension se serait présentée dans tous les cas même si Fessenheim était restée en fonctionnement. Le problème que cette crise met en exergue n’est pas la fermeture de Fessenheim, mais bien notre système de production et de consommation d’électricité. La nécessité d’écouler la surproduction nucléaire, qui a mené au développement massif du chauffage électrique et au retard de la France en terme de performance énergétique des logements, génère une pointe hivernale compliquée à gérer. Quant à notre approvisionnement électrique, il repose majoritairement sur une technologie dangereuse, tributaire d’une maintenance lourde et complexe. Cette situation de vulnérabilité plaide pour un passage urgent à un système de production et de consommation d’énergie plus résilient et plus sobre.

Dans tous les cas, même EDF n’envisage pas le report de la fermeture de Fessenheim. Il serait bien compliqué de revenir sur une gestion du combustible pensée longtemps à l’avance et de rajouter de nouvelles opérations de maintenance à un calendrier de travaux déjà serré.

Complément 2022 « Nous ne serions pas dans cette crise énergétique si Fessenheim était restée en fonctionnement. Elle doit être relancée ! »

FAUX

Pour les raisons exposées plus haut, sauf à déroger à certaines prescriptions en terme de sûreté, Fessenheim aurait difficilement pu être autorisée à fonctionner au-delà de la 4ème visite décennale prévue en 2020.

À supposer qu’il y ait malgré tout une décision politique en ce sens, passant outre l’enjeu de sûreté, remettre en fonctionnement cette centrale prendrait des années : il faudrait faire revenir le personnel, commander du nouveau combustible nucléaire, effectuer certains travaux incompressibles, faire passer leur 4ème visite décennale aux réacteurs... Une telle proposition relève de la démagogie pure et simple.

Enfin, si jamais elle avait eu lieu, la poursuite de son fonctionnement n’aurait pas changé grand-chose à la situation de crise énergétique dans laquelle la France se trouve actuellement. À l’été 2022, la moitié du parc a dû être arrêté pour des raisons diverses : maintenance régulière, visites décennales, maintenance initialement prévue en 2020 et décalée du fait de la première vague de Covid, et, surtout, découverte d’un grave problème de corrosion sous contrainte touchant des tuyauteries cruciales pour la sûreté, dont la rupture entraînerait des conséquences très graves. Selon EDF, ce problème pourrait être lié à la conception des tuyauteries, et peut-être à des problèmes de qualité de réalisation.

À fin septembre 2022, 15 réacteurs sont à l’arrêt en lien avec ce problème, parmi lesquels 10 font l’objet de réparation et 5 de contrôles. Parmi ces réacteurs, on compte les plus récents et les plus puissants du parc. Leur puissance cumulée est plus de 10 fois supérieure à celle de Fessenheim : autant dire que son maintien en fonctionnement n’aurait pas changé grand-chose à un problème structurel plus large, qui vient interroger la maîtrise industrielle française. En revanche, si la trajectoire de développement des énergies renouvelables avait été plus ambitieuse et les objectifs de rénovation thermique performante vraiment respecté, les conséquences de cette crise auraient pu être atténuées.



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