Téléviseurs 8K : renonçons à ce désastre écologique

Alors que l’avenir de la planète n’a jamais été aussi incertain, est-il responsable de l’aggraver pour le plaisir de la très haute définition d’images ?
Téléviseurs 8K : renonçons à ce désastre écologique

La promesse sans fin de téléviseurs toujours plus performants est un désastre écologique et le symbole de notre vanité : au nom de l’amélioration de quelques gadgets visuels, nous sommes prêts à remettre en cause la viabilité de notre planète. C’est le point de vue que défend ici, arguments à l’appui, l’un de nos lecteurs, Éric Mahé. « Il y a des luxes que l’homme ne peut plus s’offrir », prévient-il.

Si le CES 2019, qui vient de se terminer, n’a pas apporté son lot d’annonces fracassantes, il est un domaine où les participants en ont vu de toutes les couleurs, c’est la télévision ! Cette chasse gardée des constructeurs asiatiques (Corée du Sud en tête) a sorti les grands moyens pour montrer ce que les futurs téléviseurs basés sur la norme 8K seront capables d’afficher et manifestement, ça va piquer les yeux !

Essayons de quantifier les apports de cette nouvelle norme 8K. Un téléviseur 4K, celui qui est (ou sera grâce aux soldes) dans nos salons est capable d’afficher 3840 × 2160 pixels, permet à des contenus créés avec cette définition d’être regardés avec une indéniable amélioration de la qualité d’image. Les paramètres sur lesquels les constructeurs de téléviseurs peuvent jouer pour se différencier sont, par exemple, la largeur des écrans, le renforcement du contraste (HDR) ou l’amélioration de la fluidité du mouvement. Mais le nom de ces normes est trompeur : le 4K ne permet pas d’afficher 4000 pixels (4096 exactement) mais seulement 3840 et porte, à juste titre, le nom de UDH (Ultra Haute Définition) abusivement appelé 4K. Le 8K n’échappe pas à cette règle et ne permettra d’afficher que 7680×4320 pixels.

Mais ce doublement de définition de l’écran correspond, par la règle magique de la multiplication, en un quadruplement du nombre de pixels. De plus de huit millions de pixels en 4K, les téléviseurs 8K passeront à plus de trente trois millions, soit l’équivalent de quatre écrans 4K alignés deux par deux. Ce déluge de pixels devrait nous permettre une expérience immersive sans précédent (et pour cause). Les contenus ne sont bien évidemment pas encore disponibles, les premiers essais de retransmission en 8K remontant aux Jeux Olympiques de Rio en 2016 par la télévision japonaise NHK, qui promet pour ceux de 2020 au Japon des « lives » en 8K. Cependant, en attendant ce nouveau Graal visuel, des techniques d’upscaling permettraient de transformer une image 4K en 8K afin de donner l’illusion d’utiliser au mieux les capacités de ces onéreux téléviseurs, à l’image de ce qui est encore en train de se faire pour les contenus n’ayant pas été générés nativement en 4K.

Du lourd pour la planète

L’année 2018 a consacré la collapsologie comme le thème majeur de réflexion (et d’angoisse) en se basant sur le fait que les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre pour des horizons allant de 2020 à 2050 ne seront pas tenus, rendant la catastrophe inéluctable. Le bon sens voudrait surtout que l’humanité veille à contenir son appétit de consommation afin que l’avenir soit un peu moins sombre tout en permettant un accès au plus grand nombre à la transition numérique des activités humaines.

Mais dans le cadre de ce que préparent les industriels de la télévision autour de la norme 8K, c’est tout l’inverse qui risque de se produire. S’il existe bien une innovation – car ce n’est en aucun cas un progrès – qui est déjà un luxe (nous y reviendrons) à la fois inutile et profondément nocif pour la planète, le futur déploiement de la technologie 8K décroche la médaille en plomb fondu de l’aveuglement de l’homme. Sans être des spécialistes du cycle de vie des produits numériques, une approche très approximative des coûts écologiques du 8K peut dès aujourd’hui être faite.

Les téléviseurs 8K rendent heureux et épanouis. Ça vaut bien une planète.
Les téléviseurs 8K rendent heureux et épanouis. Ça vaut bien une planète. (cc) LG

Un premier constat est que plus un produit nécessite de matières hautement transformées, utilise des métaux rares et nécessite des procédés industriels complexes, plus l’ensemble de ses impacts dans les phases de fabrication et de fin de vie est grand. La lecture des fiches produits des téléviseurs 4K et 8K déjà disponibles chez les grandes enseignes en France est à ce niveau déjà édifiante. Le poids d’un téléviseur 4K est en moyenne de 15 kg alors que celui des téléviseurs 8K se situe aux environs de 30 kg. Même dans l’hypothèse où des efforts seraient faits pour réduire cette masse, l’augmentation du poids, et donc de l’ensemble des matériaux nécessaires à la fabrication, devrait se situer en 50 % et 70 % pour ces nouveaux écrans. Du lourd, disions-nous !

« La transition des 300 millions de postes TV aux USA correspondrait à une augmentation de la consommation électrique de trois “San Francisco” »

Concernant la consommation électrique, la moyenne pour un téléviseur 4K est de 170 kWh par an pour plus de 400 kWh par an pour un téléviseur 8K. Une étude réalisée par le Natural Resources Defense Council (NRDC) avait déjà mentionné en 2015 que la transition des 300 millions de postes TV aux USA du format HD au format UHD (4K) correspondrait à une augmentation de 8 milliards de kWh par an de la consommation électrique, soit l’équivalent de trois « San Francisco ». Cette même étude souligne également que l’activation de la fonctionnalité HDR (High Dynamic Range) permettant d’avoir une image plus lumineuse et contrastée consomme 50 % de plus que le visionnage de la même vidéo en mode normal. Il est donc certain que la norme 8K sera très énergivore et cela d’autant plus que son bon fonctionnement nécessitera de nouvelles fonctionnalités peu économes comme le HDR10+, le 8K AI Upscaling ou des processeurs quantiques !

Sur le plan des métaux rares, un autre rapport mentionne que la fabrication annuelle des téléviseurs consomme déjà 330 tonnes d’indium, soit la moitié de la production mondiale. Qu’en sera-t-il pour les écrans 8K dont la définition, et donc les besoins, sera multipliée par quatre ? Des travaux sont menés par les industriels pour diminuer la dépendance de l’électronique numériques vis-à-vis de ce type de métaux. Mais les résultats restent pour l’instant à confirmer alors que la demande pour ces mêmes métaux augmentent également pour les énergies renouvelables qui doivent supporter l’urgence d’une transition énergétique qui a déjà trop attendu. Et si l’on prend en compte les nuisances de tous ordres de leur extraction (pollution des milieux naturels, déboisement, conflits régionaux) et les difficultés technologiques du recyclage, envisager une augmentation de la demande sur ce type de ressources ne semble pas s’inscrire dans une démarche de responsabilité planétaire.

Mais un téléviseur n’est finalement que le dernier maillon d’une chaîne complexe qui va de la création de contenus jusqu’à sa distribution. La vidéo à la demande (VOD) et plus récemment le streaming vidéo ont fait la part belle au réseau au travers des box TV et du réseau Internet (Netflix). Les contenus 4K sont réservés aux abonnés à la fibre optique, le débit descendant devant être au moins de 25 Mbits/s, bien au-delà de ce que le cuivre ADSL est capable de fournir. Un rapport de Greenpeace met en évidence l’augmentation vertigineuse du volume échangé sur Internet pour le streaming ou la VOD. En 2015 (et aux USA), 63 % de trafic Internet correspondait au streaming vidéo et, à cette même époque, Netflix absorbait à lui tout seul plus de 30 % de la bande passante (et 15 % du trafic mondial).

« Nos anciens téléviseurs pourraient être exportés vers des “pays poubelles” »

Ces différents usages correspondront à eux seuls, suivant CISCO, à plus de 80 % de la croissance du trafic Internet à venir. La mise en place des infrastructures permettant un déploiement à grande échelle de la norme 8K nécessitera une augmentation considérable des ressources réseaux, de moyens de stockage et de distribution des data centers ainsi que le renouvellement complet du matériel de tournage. Une simple multiplication par quatre de ce que la norme 4K demande actuellement serait un dimensionnement trop grossier pour être acceptable. Mais, quel qu’il soit et dans les temps actuels, l’envisager n’est-il pas déjà une aberration écologique ?

Et cette obsolescence déjà programmée pose le problème du devenir des centaines de millions de téléviseurs HD (et 4K pour les achats en cours) dans les prochaines années. Le sort subit par les anciens écrans cathodiques traînant dans nos rues au fur et à mesure que le prix des écrans plats chutait n’augure rien de bon pour ces futures épaves. Un rapide tour sur les sites de ventes entre particuliers permet de trouver des écrans HD pour moins de 150 €. Mais avec un téléviseur 4K soldé en ce début 2019 à 300 €, ces écrans, qui n’ont aucune chance d’être vendus, devraient rapidement trouver le chemin de la casse. Si l’on peut supposer que les filières de recyclage soient plus efficaces et les législations plus contraignantes qu’il y a dix ans, comment ne pas envisager, au même titre que pour les déchets dangereux du bâtiment1, que d’autres circuits parallèles pourraient voir le jour et exporter nos anciens téléviseurs vers des « pays poubelles » ?

Quatre kilos de trop !

Le think tank The Shift Project a publié en octobre 2018 un rapport intitulé « LEAN ICT - Pour une sobriété numérique » qui met l’accent sur le fait que : « La transition numérique telle qu’elle est actuellement mise en œuvre participe au dérèglement climatique plus qu’elle n’aide à le prévenir  » et propose une définition de la sobriété numérique : « acheter les équipements les moins puissants possibles, les changer le moins souvent possible, et réduire les usages énergivores superflus.  »

C’est donc à nous, citoyens d’une Terre en souffrance, habitants d’une planète blessée qu’il convient de s’exprimer sur ce sujet. Parler de progrès en terme de contrastes de couleurs, de très hautes définitions ou d’environnement sonore ultra-spatialisé pour une meilleur expérience utilisateur n’est-il pas aujourd’hui, en 2019, l’avatar ultime de notre soif consumériste. Si la qualité d’un téléviseur 4K est déjà plus qu’honorable, pourquoi ne pas dire que cela nous convient, que le prix à payer par la planète, dont l’avenir n’a jamais été aussi incertain, pour une amélioration de notre confort visuel relève d’une coûteuse vanité dont nous refusons d’être le prétexte ou la cible mercantile. Il y a des luxes que l’homme ne peut plus s’offrir2. Et renoncer collectivement à voir en 8K la prochaine coupe du monde serait le signe historique d’une responsabilisation de l’homo numericus !!  

 

(1) : Un article du Monde daté du 22/12/2108 décrit les annonces disponibles sur Leboncoin de certaines personnes proposant de prendre en charge des déchets, parfois dangereux, contre rétribution alors que les compétences et les autorisations requises pour traiter de tels déchets restent à confirmer.

(2) : « As mentioned before, it’s not just created for a better user experience, it’s a lifestyle experience. It will insert itself into your life in a way TVs weren’t able to before and make your life more comfortable and efficient as a result.  ». Cette phrase, tirée du site de Samsung, laisserait supposer que nos vie deviendraient plus « confortables et efficaces » grâce à ces nouveaux écrans… Vraiment ? Alors qu’aucune mention n’est faite sur les mesures écologiques susceptibles d’accompagner ces innovations !!

 

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