TRIBUNE

Darmanin ou la trumpisation du président Macron

Confier l'un des ministères pivot de la lutte contre les violences sexistes à un homme visé par une plainte pour viol est l'aveu d'insincérité d’un président qui a liquidé sa soi-disant grande cause du quinquennat sans ciller.
par Laurence Rossignol, sénatrice, présidente de l’Assemblée des femmes, ancienne ministre des Droits des femmes et Virginie Martin, politiste, sociologue
publié le 16 juillet 2020 à 14h48

Tribune. La palette des violences sexuelles et sexistes faites aux femmes est d'une infinie variété. Des plus brutes, l'assassinat et le viol, aux plus nuancées, le déni et le mépris. Les réactions, les mobilisations, la nausée provoquées par le gouvernement Castex sont proportionnelles à la violence symbolique que représente la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l'Intérieur et, dans une moindre mesure et un registre différent, de Eric Dupond-Moretti à la chancellerie.

Une violente claque à toutes celles et ceux qui pensaient que #MeToo avait ouvert une ère nouvelle : celle de la libération de la parole des victimes et de la condamnation morale ou pénale des auteurs.

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On imaginait, qu’enfin équipés des bonnes lunettes, nous allions ensemble identifier et neutraliser les prédateurs. Ces hommes toujours en chasse et dont la sexualité s’épanouit dans l’abus de pouvoir et de position dominante. On pouvait espérer que l’indulgence et la complaisance dont ils bénéficient étaient terminées.

On pouvait aussi envisager que les responsables politiques chargés d’accompagner le mouvement de la société vers la justice et l’égalité seraient distingués pour leur détermination et leur exemplarité.

Problème déontologique

Le choix du président de la République a été, au contraire, de nommer ministre de l’Intérieur, un homme faisant l’objet d’une enquête pour viol, harcèlement sexuel et abus de confiance. Rappelons que ses avocats ne contestent pas les faits (un échange de rapports sexuels contre une promesse de passe-droit), mais leur qualification pénale.

Cette nomination pose trois graves problèmes : un problème déontologique, un problème éthique et un problème politique.

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La déontologie est une culture propre à chaque profession. Dans le monde politique, des codes, une conduite à tenir se sont imposés. Depuis quelques années, la déontologie proscrit aux représentants du peuple d’utiliser leurs postes d’assistants parlementaires pour monter une PME familiale, de faire des fêtes au homard avec l’argent public ou des cachotteries au fisc. La loi n’est pas exhaustive sur ces manquements et la déontologie est d’abord jurisprudentielle, comme le prouvent les nombreuses évictions de ministres qui, formellement, étaient encore présumés innocents.

Il est également admis que les conflits d’intérêts éventuels doivent être évités. Ici, on peut s’interroger sur la façon dont les officiers de police judiciaire pourront enquêter, car l’enquête n’est pas close, sur leur ministre de tutelle.

Du point de vue de la déontologie, la nomination de M. Darmanin n’aurait donc pas dû être. Et les cris d’orfraie sur la présomption d’innocence, nullement mise en cause en l’espèce, ne sont qu’éléments de langage et de communication.

Ethique abîmée

Paul Ricœur, pourtant si cher au président Macron a beaucoup écrit sur l'éthique et sur son lien avec la politique. L'éthique est du coté de ce que Paul Ricœur nomme, «la visée de la vie bonne», dans le cadre «d'institutions justes». L'éthique contient en elle les principes d'estime de soi, de l'autre, la non-nuisance à autrui, la considération égale de chacun comme nous dirait aussi Ruwen Ogien.

L’éthique flotte autour de nous, l’éthique fait civilisation. La loi pourrait, en effet, se satisfaire de la nomination de M. Darmanin. Mais l’éthique ? Celle qui tente de travailler pour la vie bonne, celle chère au cœur de Butler, Ricœur, Aristote ? L’éthique est ici abîmée, écorchée.

Prenons cette affaire au regard de la distinction que fait Max Weber entre l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction. L’éthique de responsabilité demande de penser aux effets concrets de ses actes, de ses paroles et fait reposer sur l’individu la charge de la conséquence. L’éthique de conviction fait peser les conséquences d’un acte sur le monde, ses défaillances ou la sottise des hommes.

Gérald Darmanin, avec le soutien d’Emmanuel Macron, prend comme ligne, l’éthique de conviction : le monde me juge et ne comprend pas, les féministes bafouent les principes du droit, laissons faire la justice. Alors qu’il devrait plutôt, en responsable, se rendre compte des conséquences désastreuses du message envoyé aux femmes et aux hommes, à la cohésion de la société, à la vie bonne de chacun et de chacune. Quelle que soit la définition de l’éthique, celle-ci est largement piétinée par cette nomination. Et du coup, une question subsiste : qu’est-ce que la politique sans éthique ?

Hostilité au mouvement #MeToo

Confier les deux ministères pivots de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (l’Intérieur et la Justice) à un ministre suspect de viol, harcèlement et abus de confiance et à un garde de Sceaux, qui n’a jamais caché son hostilité au mouvement #MeToo nous a sidérées. Sidérées par l’aveu d’insincérité d’un président qui a liquidé sa soi-disant grande cause du quinquennat sans ciller. Dans une démocratie où la parole politique n’a déjà pas beaucoup de valeur, ce type de reniement est coûteux. Sidérées par l’implicite du geste : les prédateurs continuent et continueront à bénéficier d’une indulgence exorbitante.

La composition d’un gouvernement est une affaire sérieuse ; une telle décision politique ne procède pas d’un moment d’inattention. Elle est un choix d’incarnation, un message. Celui-ci est adressé aux antiféministes et aux masculinistes : aux pleurnicheurs du «on ne peut plus draguer», aux paranoïaques de la féminisation de la société et de la castration du masculin, aux nostalgiques du bon vieux temps.

C'est un gros clin d'œil au patriarcat et à son entre-soi. Comme l'a si bien dit le président de la République, dans son entretien du 14 Juillet, ça se discute «d'homme à homme».

C’est une volonté politique, celle de jeter le discrédit sur la parole des femmes et des hommes qui n’ont pu retenir leur colère, sur les féministes, de toute éternité qualifiées d’excitées.

On nous avait fait miroiter un tournant social. Nous ne voyons dans ce nouveau gouvernement, qu’une provocation, signe inquiétant de la trumpisation de la fin du quinquennat et de la future campagne du président sortant.

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