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« Les attentats ont été un déclic psychologique. Je ne pouvais plus continuer à m’informer ainsi »

L’effet traumatisant d’attentats vécus et racontés, presque en temps réel, dans les médias et sur les réseaux sociaux a poussé certains lecteurs, auditeurs et téléspectateurs à réévaluer leur rapport à l’information.

Publié le 11 novembre 2016 à 12h40, modifié le 12 novembre 2016 à 14h09 Temps de Lecture 3 min.

Un homme consulte son smartphone dans une rue du centre de Bruxelles, le 23 novembre 2015.

Il faut parfois un événement si bouleversant qu’il vous oblige à remettre en question certains aspects de votre vie auxquels vous n’accordiez jusque-là que très peu d’importance. Les attentats de Paris et Saint-Denis, le 13 novembre 2015, ont été les plus meurtriers sur le territoire français. Les plus traumatisants aussi, car ils ont été simultanément vécus et racontés, presque en temps réel, sur les réseaux sociaux, les sites en ligne et les chaînes d’information en continu. Une médiatisation qui a ajouté à l’horreur une part de confusion, les faits mélangés aux fausses informations engendrant une panique supplémentaire.

Le rôle des journalistes, qui n’avaient jamais eu à couvrir de telles scènes de guerre à quelques kilomètres de leur lieu de travail ou de leur foyer, a fait l’objet d’analyses. Le regard de l’auditeur, celui du lecteur et celui du téléspectateur ont été moins étudiés. Un an après, des lecteurs du Monde.fr ont accepté de raconter comment leur rapport aux médias et leur façon de s’informer ont changé à l’aune de ces attentats et de ceux qui ont suivi.

Les uns critiquent un manque de recul et une course au scoop hystérique de la part de certains médias, d’autres expriment une envie de pouvoir « contrôler » et ne plus « subir » l’information. Certains ont une envie presque militante de confier leur argent et, denrée presque aussi rare, leur temps d’attention, à des médias en adéquation avec leur propre vision du monde.

« Radotage télévisuel, répété en boucle jusqu’à la nausée »

Suivre presque en direct les attaques terroristes dans les rues de Paris, pendant de longues heures devant un écran de télévision ou de téléphone suffirait à dégoûter quiconque de ces interfaces. Une fois passé le besoin de prendre connaissance des faits, beaucoup de personnes ayant répondu à notre appel à témoignages ont eu l’impression de se retrouver dans un tourbillon de non-information – du « radotage télévisuel, répété en boucle jusqu’à la nausée », pour Marie Loiseau, 69 ans.

« La brièveté des infos, l’absence de développement sur le pourquoi et le comment m’ont fait comprendre que je n’apprenais rien », dit Frédéric Lebrun, 41 ans. A la longue, ça devenait carrément contre-productif, et même une « source ultime d’anxiété » pour Sébastien Hirel, 29 ans, qui a depuis « cessé d’utiliser la télévision et les réseaux sociaux ».

« Je préfère choisir les moments où je vais vers l’information, raisonnablement, et ne plus la vivre comme une quête permanente, un flux avec lequel il ne faudrait plus lâcher prise. »

De ces jours de visionnage et de lecture, Kevin Dumont, 22 ans, n’a « retiré qu’un profond malaise, du stress, et des pensées racistes sous le coup de la colère ». « Ce comportement m’a poussé à arrêter avec ce type d’information, car j’avais peur, et cette peur biaisait mes jugements et mes réactions, au point d’en avoir honte », explique-t-il. De ce constat a découlé une prise de conscience :

« Les attentats ont constitué un déclic psychologique, il me semble désormais insupportable de continuer à s’informer ainsi. »

« Je sursautais à chaque notification »

Des gestes comme éteindre sa télévision, fermer l’onglet de son compte Facebook ou désactiver les notifications de ses applications sont devenus presque libérateurs pour ceux qui les ont appliqués. La déconnexion devient une décision réfléchie, pour ne pas « subir » l’information, mais « garder le contrôle », comme l’explique Vianney Robin, 27 ans.

« Ne pas être happé par l’information demande une grande vigilance. Ce n’est pas facile du tout, car les réseaux maintiennent un lien social dont on ressent la nécessité, surtout en cas d’attentat. Mais c’est nécessaire pour mener une vie sereine. »

Pascal Conges, 28 ans et résident en Angleterre, a aussi pris la décision de ne plus avoir « de notifications sur [s]on smartphone », car il « sursautai[t] et tremblai[t] à chaque fois ».

« Moi qui ai toujours dévoré l’actualité politique et mondiale, je ressens à présent le besoin de couper pour me protéger émotionnellement pour pouvoir continuer à vivre et travailler. »

Cette attitude aboutit à réfléchir profondément à ce qu’est réellement sa « consommation » de l’information. « Lorsqu’un événement violent survient, je me force à ne consulter les sites d’information qu’à des moments donnés afin de ne pas me maintenir en permanence dans un état d’anxiété », justifie de Belgique Pierre-François Pirlet, 34 ans.

Parfois, on en arrive à éviter, consciemment, certaines informations qui auraient pu être utiles ou intéressantes mais qui sont considérées comme potentiellement trop dures à regarder en face. « Il m’arrive maintenant souvent de volontairement ne pas regarder un article ou un reportage si je pense qu’il peut m’agacer. Je peux ainsi choisir les articles que je lis ou non », reconnaît Philippe Wen, 22 ans.

Robin Morellet, 24 ans, trouve « capital de s’informer », mais reconnaît aussi qu’il s’est « forcé à ne pas ouvrir d’articles ou de vidéos d’actualité pendant une semaine » après le 13 novembre 2015. « Et ça fait un bien fou… »

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