Amélie, traductrice à Poudlard

Amélie, traductrice à Poudlard

(Cet article a été rédigé dans le cadre du collectif La Linguistiquerie. Retrouvez les autres articles ici.)

[Précision importante : le but de cet article est de mettre à l'honneur le formidable travail de traduction réalisé par Jean-François Ménard. Il ne vaut en aucun cas soutien aux propos discriminants qu'a pu tenir l'autrice de la saga.]

On me dit rat de bibliothèque, avide de savoirs et à la créativité débordante, voire originale… Bref, je suis une vraie Serdaigle ! Je suis si contente d’avoir intégré Poudlard, c’est une école merveilleuse et il y a tant à y apprendre ! Mon endroit préféré ? La bibliothèque, incontestablement. Elle est immense, majestueuse, et renferme des tas d’ouvrages que je prends grand plaisir à dévorer !

Ah tiens, en parlant de manger, j’ai un petit creux, je prendrais bien un Fizwizbiz… Ch’ai hâte che poufoir échayer… *gloups* Pardon, ce n’est pas bien de parler la bouche pleine ! Je disais : j’ai hâte de pouvoir essayer mes nouvelles fournitures scolaires, en particulier ma nouvelle plume. J’imagine déjà ses traits élégants et ses reflets ambrés miroiter sur mes copies lors des BUSE… Lors de ma rentrée de première année, je m’imaginais devoir murmurer la formule « Oubliettes » à mes camarades pour m’assurer d’avoir les meilleures notes aux examens… J’avais beaucoup révisé pendant les vacances, vu la quantité de choses à savoir, je ne voulais pas prendre de retard dès le début d’année ! Puis finalement, je me suis aperçue qu’il suffit de travailler dur pour s’en sortir : ce n’est vraiment pas si compliqué.

Oh, salut Ron ! Hein ? Eh, pas touche à mes Fizwizbiz ! Prends la poudre de cheminette ! Coquecigrue, n’essaie pas de l’aider non plus ! Ne me forcez pas à vous lancer un sortilège, ça serait tout à fait contraire au règlement de faire ça en dehors des cours !

Bon, c’est pas tout ça, mais il faut que j’aille aux toilettes avant le cours de potions… J’espère ne pas tomber sur Mimi Geignarde : elle n’est pas méchante, mais quand elle commence à se lamenter, difficile de l’arrêter ! Enfin, c’est une ancienne Serdaigle, et puis elle m’a aussi beaucoup appris sur l’histoire de l’école… Bref, je vous laisse, je n’aimerais pas être en retard : le professeur est très sévère. À plus tard !

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Si vous aussi vous avez grandi avec Harry Potter, cette terminologie vous est normalement familière. Que vous ayez lu les romans, ou vu les films directement en français, c’est avec ce vocable si propre à la saga que vous avez pénétré dans cet univers magique et évolué aux côtés des sorcières et sorciers qui le composent. Toutefois, la langue originale du roman est l’anglais, et c’est donc la plume du traducteur, Jean-François Ménard, qui vous a permis de vous familiariser avec ce monde. Revenons ensemble sur les termes cités précédemment pour essayer de retracer certains des processus de traduction créative employés pour retranscrire le monde d’Harry Potter.

Serdaigle (Ravenclaw)

Serdaigle est l’une des quatre maisons que les élèves peuvent intégrer à Poudlard. La principale caractéristique des élèves Serdaigle ? Leur intelligence et leur faculté à apprendre. C’est sans doute de là que la maison tient son nom anglais « Ravenclaw », que l’on peut décomposer en « Raven » (le corbeau) et « claw » (la griffe) : le corbeau, ainsi que les oiseaux de la même famille, sont réputés pour être des animaux très intelligents.

Mais alors, pourquoi utiliser un autre nom d’animal en français ? Si « claw » a été rendu par « serre », pourquoi opter pour « aigle » ? Plusieurs raisons peuvent justifier ce choix. Eh bien, il se pourrait en réalité que « Raven » ne renvoie pas véritablement à l’oiseau… Mais plutôt à la couleur sombre des serres ! L’emblème de la maison est d’ailleurs en réalité un aigle, comme l’indique le message de bienvenue suivant lors de la répartition : « L’emblème des Serdaigle est l’aigle. De tous les oiseaux, c’est celui qui vole le plus haut. ». Ici, l’aigle pourrait donc, tout aussi bien qu’un corbeau, symboliser que les élèves de Serdaigle brillent plus dans leurs études que leurs camarades.

Que la confusion entre ces deux oiseaux ait été voulue dans la source ou non, la mascotte qui devait initialement être un corbeau a d’ailleurs été changée en aigle dans les films. Le français s’est ici simplement moins embarrassé de ces distinctions, en utilisant directement le terme « aigle » et en l’associant à « serre », d’où la traduction en « Serdaigle » !

Mimi Geignarde (Moaning Myrtle)

Au-delà de l’allitération du nom anglais que J.K. Rowling affectionne tout particulièrement (Godric Gryffindor, Helga Hufflepuff, Rowena Ravenclaw, Salazar Slytherin, etc.), voici comment se décompose le nom anglais de ce personnage : « to moan » peut se traduire par « geindre », « se lamenter », « maugréer »… Bref, cela renvoie à une image de personne qui ronchonne, ou pleurniche : en tout cas, qui n’est pas la plus heureuse au monde ! C’est d’ailleurs cette image assez négative que véhicule ce personnage : la terminaison péjorative en « -arde » de « Geignarde » est alors très bien choisie en français !

Concernant « Myrtle », il s’agit, au-delà d’un vrai prénom, d’un mot qui désigne aussi bien la myrte, une plante assez commune qu’on ne remarque pas vraiment, mais également une couleur plutôt sombre (un vert foncé). Difficile de rendre tous ces sens en français… Le traducteur a ici opté pour le diminutif « Mimi », qui permet de ne pas trop s’éloigner du nom source.

Poudre de cheminette (Floo powder)

Cette poudre magique permet aux sorcières et sorciers de voyager via le réseau des cheminées magiques : un moyen efficace de se rendre d’un point A à un point B ! Mais d’où provient son nom ? En anglais, « floo » découle, selon les dires de l’autrice, du mot « flue », qui désigne un conduit de cheminée… L’orthographe a simplement été légèrement modifiée ! Je ne sais pas pour vous, mais cela me fait personnellement penser à une onomatopée, comme si quelqu’un « partait en fumée » !

En français, cela a été rendu par « poudre de cheminette », une manière habile de mêler cette notion de cheminée tout en nous faisant entendre (comme je l’ai inscrit dans mon texte précédemment) « prendre la poudre d’escampette », une expression qui signifie « s’enfuir »… Qui correspond bien à l’idée d’un déplacement rapide ! Cet objet magique permet d’ailleurs, à plusieurs reprises dans les romans, aux personnages de se sortir d’une situation délicate.

Coquecigrue/Coq (Pigwidgeon/Pig)

Passons à présent au rigolo petit hibou de Ron ! En anglais, son nom est « Pigwidgeon », et s’abrège en « Pig ». « Pigwidgeon » peut signifier « petit » (surtout lorsqu’il s’applique à des créatures magiques). Il s’agit à vrai dire du nom de l’une des créatures féériques (orthographiée « Piwiggen ») du poème Nimphidia de Michael Drayton. La terminologie d’Harry Potter s’inspire en réalité grandement de la littérature, et l’on trouve des tonnes de références à d’autres œuvres dans les romans ! Au-delà de cette connotation, le terme se décompose aussi en « pig » (cochon), qui est aussi le surnom de l’animal et lui confère un côté absurde et drôle, mais aussi « widgeon » (canard siffleur). Un nom très riche pour un si petit hibou !

En français, cela a été traduit par « Coquecigrue », ce qui nous donne le diminutif « Coq ». Une transposition idéale ! On conserve ici l’idée des deux animaux, un coq et une grue, ainsi que le diminutif en trois lettres, qui correspond à un animal amusant par rapport au compagnon réel (Coquecigrue a-t-il réellement la fierté d’un coq ?). La référence littéraire a elle aussi été transposée : la coquecigrue est en réalité une créature imaginaire que l’on retrouve dans Gargantua de François Rabelais : « Traversant ensuite la rivière à Port-Huault et racontant ses infortunes, il rencontra une vieille sorcière qui lui prédit que son royaume lui serait rendu à la venue des coquecigrues ». L’allusion ici est alors très maline : même si le compagnon de Ron est un hibou, et non une créature magique, il évolue dans contexte qui relève de la sorcellerie, et qui est inconnu des Moldus !

Oubliettes (Obliviate)

Il s’agit ici de la formule du sortilège d’Amnésie (ou « Memory Charm » en anglais). La formule anglaise « Obliviate » vient du verbe latin « obliviscor », qui signifie « oublier ». C’est d’ailleurs une racine qu’on retrouve dans d’autres termes anglais, comme « oblivion » qui désigne l’oubli. Si la formule a ici pris une forme qui semble verbale en « -ate », le français a choisi une autre stratégie.

Quoique la racine latine reste conservée (le mot « oubli » provient du même terme latin), le choix du traducteur a ici sans doute été de conserver une certaine cohérence sur les sons. En effet, « Oubliettes » se prononce pratiquement de la même manière que l’anglais « Obliviate ». On peut aussi imaginer que la formule fait référence à l’expression « jeter aux oubliettes » (d’où le mot écrit sous sa forme plurielle ?), qui contient aussi cette idée d’oubli forcé.

Poudlard (Hogwarts)

« Poudlard »… Vous avez grandi avec ce nom, celui de la fameuse école de sorcellerie, mais vous êtes-vous déjà demandé les raisons qui se cachent derrière cette traduction ? En anglais, l’école porte en effet un nom bien différent : celui de « Hogwarts ». Pourquoi « Hogwarts » ? Si l’autrice a indiqué que l’idée lui est venue après avoir vu des crotons capitatus (« hogworts »), une plante somme toute assez commune, on peut également y voir une autre explication… Du moins, ce n’est pas cette piste qu’a choisie le traducteur !

En effet, on peut décomposer le nom anglais en « hog », le cochon, et « warts », les verrues… Ce qui est tout à coup bien moins reluisant ! C’est la raison pour laquelle le traducteur a fait ce choix en français : « Poudlard » se décompose en effet en « pou de lard », l’idée étant de garder un nom relativement concis… D’où la verrue qui devient pou, et le cochon qui devient lard (une idée qui a été reprise dans un autre choix de traduction : Coline vous en parlera dans son article de demain !). La bonne surprise que le traducteur a eue ? Plusieurs personnes lui ont demandé par la suite comment se prononçait « Poudlard » en anglais, pensant qu’il ne s’agissait pas d’une traduction : mission de transcréation réussie !

Fizwizbiz (Fizzing Whizbees)

Ces confiseries que l’on retrouve à la boutique Honeydukes de Pré-au-Lard permettent de léviter légèrement lorsqu’on les mange. Il s’agit en réalité de sherbet, une confiserie acidulée typique du monde anglo-saxon qui contribue à placer l’histoire d’Harry dans un contexte très propre au Royaume-Uni… Ce qui fait aussi sa force !

L’anglais « Fizzing Whizbees » peut se décomposer ainsi : « fizzy » signifiant « acidulé », « whiz(z) » qui veut dire « sifflement », et « bees », les abeilles. Tout cela a du sens ici : il s’agit de bonbons acidulés, qui permettent de s’envoler légèrement, les abeilles produisent du miel…

Mais au-delà de l’aspect sémantique, on observe ici surtout un jeu sur les sonorités : la triple sonorité en /ɪz/ nous fait véritablement « entendre » ce qu’il se passe, et nous avons l’impression qu’un petit insecte vient bourdonner à nos oreilles ! Plus que le sens, c’est donc l’effet qui devait être retranscrit ici : le traducteur a donc simplifié l’orthographe, pour l’adapter à un public francophone qui n’aura pas forcément les référentiels anglais nécessaires pour décortiquer le sens des mots… Mais ce n’est ici pas ce qui prime, donc tant pis : comme je vous l’expliquais dans mon article sur la traduction créative, il vaut parfois mieux retranscrire l’effet produit sur le lectorat !

BUSE (O.W.Ls)

À Poudlard, les différents examens se présentent tous sous forme d’acronymes, que ce soit en anglais ou en français… Mais ces acronymes ont été modifiés : pourquoi ? En réalité, l’acronyme de chaque développé correspond à un nom d’animal ! Ainsi, nous avons en anglais les examens « O.W.L » (la chouette) pour « Ordinary Wizarding Levels » et « N.E.W.T » (le triton, Solène vous en parlait hier !) pour « Nastily Exhausting Wizarding Tests ».

Ici, difficile de conserver une traduction très littérale qui permette de garder le jeu sur les acronymes… Les développés ont alors été retraduits, afin de retomber sur d’autres animaux : la chouette est devenue « BUSE » (Brevet Universel de Sorcellerie Élémentaire) et le triton « ASPIC » (Accumulation de Sorcellerie Particulièrement Intensive et Contraignante), un serpent proche du cobra. On observe aussi une certaine gradation de ces animaux en français : un aspic est a priori plus dangereux qu’une chouette, ce qui illustre bien l’évolution des pouvoirs des élèves !

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Ceci n’est qu’un aperçu des multiples choix qu’a fait Jean-François Ménard, traducteur des romans, au cours des dix années de sa vie consacrées à traduire cet univers… Un monde si riche, rempli de références mythologiques et littéraires, empreint d’humour, au bestiaire vaste et à l’imaginaire débordant. Si l’œuvre de base regorge de créativité, il n’en fallait pas moins au traducteur pour permettre au lectorat francophone d’apprécier l’univers des jeunes sorcières et sorciers !

En traduction comme en écriture, il faut alors redoubler d’inventivité et de créativité, ne pas hésiter à jouer sur les mots, les sens et les effets pour faire passer non seulement un message, mais aussi (et surtout, peut-être) des émotions. Qui n’a pas ressenti d’émerveillement en feuilletant les pages du roman lorsque nous avons découvert la grande salle, enfourché un dragon, qui n’a pas ri avec Ron, tremblé face à la froideur de Voldemort, qui n’a pas ressenti de colère profonde envers Dolores Ombrage ? En traduction littéraire, et en traduction créative de manière générale, c’est cela qu’il convient de rendre avant tout. Si des traductions littérales sont parfois possibles, ce n’est pas systématiquement le cas, et il faut parfois ruser pour conserver cet effet produit sur le lectorat !

N’hésitez pas à aller parcourir les articles de mes consœurs sur les autres maisons de l’univers d’Harry Potter : vous y découvrirez des explications concernant la traduction d’autres termes propres à la saga ! J’espère que cet article vous aura permis de retomber en enfance, apporté un peu de magie… Et une maigre consolation de ne pas avoir reçu votre lettre pour intégrer Poudlard !

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Bibliographie :

Bartashova, Olga A. Journal of Siberian Federal University. “The Author’s Phonosemantic Nonce Lexis as the Language Game Instrument”. Article de philologie. Université d'État d'économie de Saint-Pétersbourg. 2017.

Clark, Leisa Anne. Butterbeer, Cauldron Cakes, and Fizzing Whizzbees: Food in J.K. Rowling's Harry Potter series. Thèse. Université de Floride du Sud. 2012.

Drayton, Michael. The Battaille of Agincourt. “Nimphidia, the Court of Fayrie. 1627. 218 pages.

Habran, Pauline. Analyse comparative du doublage et du sous-titrage dans les films Harry Potter : dans quelle mesure les contraintes respectives du doublage et du sous-titrage ont-elles influencé la traduction des dialogues de Dumbledore ? Mémoire de Master en Traduction. Université de Genève. 2019.

Rabelais, François. Gargantua et Pantagruel. Bibliothèque Larousse. 1534.172 pages.

Webographie :

Ford, Madison. “Why Is Ravenclaw’s Mascot an Eagle” [en ligne]. Mugglenet, 2 décembre 2016 [consulté en novembre 2020]. Disponible sur https://www.mugglenet.com/2016/03/why-is-ravenclaws-mascot-an-eagle/

Gallimard Jeunesse, série de vidéos “Rencontre avec Jean-François Ménard, traducteur de "Harry Potter" de J. K. Rowling” [en ligne]. YouTube, 2014. Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=RGRV54ahsWA

Lieb, Aurelia. “MYTHTERY: Ravenclaw’s Symbol Is an Eagle” [en ligne]. Mugglenet, 7 juin 2018 [consulté en novembre 2020]. Disponible sur https://www.mugglenet.com/2018/06/mythtery-ravenclaws-symbol-is-an-eagle/ 

Rowling, J.K. “The Floo Network” [en ligne]. Pottermore, août 2015 [consulté en novembre 2020]. Disponible sur https://www.wizardingworld.com/writing-by-jk-rowling/the-floo-network

“Notes sur la traduction française” [en ligne]. Wiki Harry Potter [consulté en novembre 2020]. Disponible sur https://harrypotter.fandom.com/fr/wiki/Wiki_Harry_Potter 

Maëva Bekkar

Partner relations manager | Content and SEO writer

3y

Je suis aussi Serdaigle, je ne peux que valider cet article ! 👏🏻

Amélie Vergne

Inclusive translator (English-Italian > French) | IT 💻 - Toys and games 🎮🎲 - Feminism 💪

3y

Et pour rappel, voici les autres articles de notre série : Agnès Wilkanowski (Gryffondor) : https://frama.link/TAYhg0X- Solène Binet (Poufsouffle) : https://frama.link/Kh9FGbLB Coline Sgorbini (Serpentard) : https://frama.link/8XoMTCwW

Agnès Wilkanowski

Interprète de conférence 🗣️ I Anglais <> Français / Espagnol > Français 🎧

3y

Tu partages un Fizwizbiz avec une de tes consoeurs de Gryffondor ? 😁

Solène Binet

🔎 Sherlock of words 💡 | English/Italian>French translator | Education, marketing, sciences, food & wine, diversity, equity, and inclusion (DEI) | 🍁 In Quebec until August 2024 🍁

3y

Une vraie Serdaigle, Amélie : quelles bibliographie et webographie de toute beauté ! 😍

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