Femmes et islam : le cri de colère de Malika Boussouf

“Il n'y a que ceux qui ont le pied sur la braise qui en ressentent la brûlure”, dit un proverbe arabe. Cette brûlure, des millions de femmes la ressentent quotidiennement en terre d'Islam. La journaliste Malika Boussouf sera l'invitée du festival Etonnants voyageurs, qui débute le 14 mai 2016 à Saint-Malo.

Par Vincent Remy

Publié le 09 mai 2016 à 08h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h40

C'est une militante active de la cause des femmes, et une femme en colère qu'accueille le festival Etonnants voyageurs à Saint-Malo... Psychologue de formation, Malika Boussouf a embrassé en 1985 la carrière de journaliste. Elle est aujourd'hui éditorialiste du quotidien Le Soir d’Algérie. En 1995, elle a publié Vivre traquée (éditions Calman Lévy) et en 2014, en collaboration avec Monique Ayoun, Musulmanes et laïques en révolte – Rencontre avec 20 femmes d'exception

Etonnants voyageurs parle d'une « guerre faite aux femmes » en terre d'Islam, qu'en pensez vous ?

Cette expression générique recouvre toutes les guerres qui nous sont faites. En premier lieu, la guerre des pouvoirs établis, détenus par les hommes qui travaillent toujours « dans le bon sens », c'est-à-dire pour garder leur pouvoir, et tous les privilèges construits autour. Guerre aussi faite au corps de la femme. Ceux qui se sont rués vers la secte Daech s'enrôlent pour obtenir le corps des femmes. Ils n'ont aucun effort à faire puisqu'ils se le voient offrir en butin de guerre. Pour construire leur société modèle, les théoriciens de Daech considèrent qu'il faut commencer par mater la femme, transformer son corps en un instrument de la soumission. Ils le réduisent à un réceptacle. Le vagin n'est plus qu'un trou, un réservoir à sperme. Excusez la violence du propos : elle est nécessaire pour sensibiliser le monde au sort réservé aux femmes dans les régions sous la domination d'islamistes fous furieux. Il faut continuer à le faire, quitte à passer pour une hystérique. Car c'est bien connu, les femmes musulmanes qui s'arrogent le droit de dénoncer l'abjection des hommes intégristes passent inévitablement pour des hystériques.

De jeunes femmes s'enrôlent librement chez Daech...

Oui, beaucoup de jeunes femmes tunisiennes notamment, qui pensent servir une juste cause, avant de réaliser qu'elles vivent dans un baisodrome, spécialement aménagé pour la disponibilité et le confort d'assassins. Lorsqu'elles comprennent qu'elles ne sont les favorites de personne et que leur corps collabore à une immense orgie, il est souvent trop tard. Nous avons connu cette même tragédie en Algérie avec le maquis islamiste dans les années 90. Le « zaouadj el moutaa », mariage de jouissance, permettait le viol. Lorsque vous comparez ces deux guerres très différentes, leur point commun est d'être lié à la croyance religieuse : les islamistes s'en prennent aux femmes sur terre avant de retrouver leurs 72 houris dans un au-delà construit à leur convenance.

“Quand une religion est religion d'Etat et qu'elle est inscrite dans la Constitution, cela ouvre la porte à toutes les dérives.”

Ces pratiques ne sont-elles pas le fait d'une minorité déviante ?

Sachez qu'un grand imam égyptien de l'université islamique Al-Azhar avait, dans les années 90, interdit aux femmes algériennes enceintes à la suite d'un viol de se faire avorter. Pourquoi ? Parce qu'elles avaient été engrossées par des musulmans. Cette même autorité religieuse avait auparavant rendu licite l'avortement de femmes bosniaques, parce qu'elles avaient été violées par des chrétiens. Il faudrait aussi parler de l'esclavage moderne de ces femmes importées des Philippines ou de Malaisie, qui louent pour si peu leur force de travail et doivent assouvir à domicile les besoins sexuels de leur patron. Au Liban, une amie documentariste a fait un travail autour d'elles. Je ne peux m'empêcher de me mettre en colère quand je parle de la condition féminine.

Qu'en est-il en Algérie du Code de la Famille voté en 1984 ?

Ce code est inspiré par la charia ! Quand une religion est religion d'Etat et qu'elle est inscrite dans la Constitution, cela ouvre la porte à toutes les dérives. Lorsque ce code a été voté, nous vivions sous un régime de parti unique. Des députés femmes l'ont voté ! J'explique ce vote par l'asservissement à des normes sociales établies par les hommes, au pouvoir détenu par les hommes, au parti unique dirigé par des hommes. Les femmes qui obtiennent un poste de responsabilité vont tout de suite épouser un comportement mimétique, celui du responsable au-dessus d'elles. C'est un cercle vicieux.

Comment ce code de la famille est-il appliqué par des magistrats dont 40% sont aujourd'hui des femmes ?

40% des magistrats sont des femmes, et alors ? Les femmes ne peuvent toujours pas se marier sans un tuteur, qui est toujours un homme, et cette règle vaut aussi pour les magistrates. Toutes les femmes restent des mineures à vie. Pour avoir la paix, les femmes qui font des études ne sont pas prêtes à remettre en cause le pouvoir patriarcal.

“En Algérie, 59% des femmes pensent qu'un mari a le droit de tabasser sa femme.”

La militante féministe Soumia Salhi dit pourtant que la société algérienne veut en finir avec le patriarcat...

Soumia Salhi est une amie, mais je crois malheureusement que cette volonté n'est que celle des organisations féministes. Je vois par exemple que le port du hidjab se développe partout. Ce qui a commencé dans les années 90 devient un comportement social généralisé. Les femmes, pour en finir avec les injonctions et les reproches venus des hommes, de leur famille, du groupe, portent le voile. Dans le même temps, selon une enquête du ministère de la Santé, 59% des femmes pensent qu'un mari a le droit de tabasser sa femme. Le patriarcat, à mon grand regret, a encore de beaux jours devant lui.

Le parlement algérien a tout de même voté l'an dernier une loi criminalisant les violences conjugales...

Mais il y a le pardon au cœur de cette loi ! Si la femme pardonne à son conjoint devant le juge, on n'en parle plus, c'est fini. Et elle pardonne souvent...  En outre, les femmes se résolvent rarement à déposer plainte. La responsable des questions de violence faites aux femmes dit que le vrai problème est là, dans le faible nombre de plaintes. Les femmes se soumettent parce qu'un divorce, c'est la honte dans la famille, une femme divorcée est rejetée.

“Ce qui m'a choqué, c'est que la levée de boucliers contre Kamel Daoud soit venue de la gauche bien pensante française.”

Le président Bouteflika ne s'est-il pas prononcé pour une réforme du code de la famille ?

Eh bien, on va attendre qu'il se décide à réunir sa commission, laquelle se mettra à étudier la situation...

Quand Kamel Daoud, votre compatriote d'Oran, parle « de misère sexuelle dans le monde arabo-musulman et de rapport malade à la femme, au corps et au désir », vous êtes d'accord ?

Oui, je partage ses propos, une guerre est faite au corps des femmes. J'ai écrit une chronique au Soir d'Algérie dans la même veine : « Je voile ma sœur et toi je te viole ». Elle n'a d'ailleurs pas eu un écho vraiment négatif en Algérie. Ce qui m'a choqué, c'est que la levée de boucliers contre Kamel Daoud soit venue de la gauche bien pensante française, celle qui a inventé l'expression « islamiste modéré ». C'est un oxymore, un islamiste n'est pas un modéré. Un proverbe dit : « Il n'y a que ceux qui ont le pied sur la braise qui en ressentent la brûlure. »

Quel est l'état d'esprit de la jeunesse algérienne ?

Très partagé, beaucoup veulent simplement partir parce qu'il n'y a pas de travail. Il n'y a pas grand chose à faire en Algérie, à part construire cette mosquée qui va pouvoir accueillir 120 000 musulmans, pour le prix d'une vingtaine d'hôpitaux.

Qu'est-ce qu'il faudrait pour que la société algérienne bouge ?

Il faudrait que le régime tombe.

Kamel Daoud dit plutôt qu'il faudrait que l'Algérie produise des citoyens, et pas seulement des croyants....

Pourquoi ne pas faire les deux à la fois, produire des citoyens et faire tomber le régime ? Il faut une prise de conscience pour s'en prendre à une dictature...

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