En 2016, lorsque Netflix ouvre son service en Norvège, Bjorn Sorenssen a une surprise de taille. Ce professeur à l’université NTNU de Trondheim, spécialiste de l’histoire et des formats du documentaire, découvre alors, dans le maigre catalogue proposé à l’époque par le géant américain, un film qu’il connaît bien : Zeitgeist. « Cela m’a bien arrangé, plaisante-t-il. J’ai pu l’utiliser dans mes cours sur les documentaires complotistes, je savais que mes étudiants y auraient facilement accès. »
Car si Zeitgeist reste peu connu du grand public européen, c’est un blockbuster du cinéma conspirationniste. Réalisé par l’Américain Peter Joseph, le film et ses deux suites décrivent les « liens mystérieux » reliant, selon son auteur, le christianisme, les attentats du 11-Septembre et l’attaque de Pearl Harbor (7 décembre 1941), et expliquent que les banques, la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale) et d’autres entités contrôlent en réalité le monde, et prévoient d’équiper tous les humains d’une puce « RFID » pour les contrôler à distance. Les films, qui jouent par moments avec les codes de l’antisémitisme, ont également donné naissance à une sorte de mouvement politique – le Zeitgeist Movement –, qui dit vouloir changer les « paradigmes socio-économiques » de la société.
Que fait donc ce film dans le catalogue de Netflix, qui se targue de proposer et de financer des documentaires de très haute qualité, comme le brillant Wild Wild Country, encensé par la critique en 2018 ? « C’était la première phase d’exploitation de Netflix, analyse M. Sorenssen. Dans cette phase, vous cherchez en général à avoir des films qui sont populaires et qui sont bon marché. Ils ont probablement eu les droits gratuitement. » Disponible sur des dizaines d’autres plateformes, Zeitgeist est en effet accessible à tout le monde sur YouTube.
Zeitgeist n’est que la partie émergée d’un iceberg conspirationniste, souvent assimilé à YouTube, mais qui touche aussi les grands services payants de vidéo à la demande.
En matière de conspirationnisme, Amazon Prime Video est de loin le plus « riche » : on y trouve les grands classiques du mouvement « truther », qui pense que les attentats du 11-Septembre étaient un complot, comme Loose Change ou 9/11 : preuves d’explosifs. Mais aussi les vidéos du polémiste d’extrême droite Alex Jones, créateur ou actif diffuseur de dizaines de théories du complot visant Barack Obama et la gauche américaine.
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