Blasphème

Affaire Mila : la société française divisée sur la critique des religions

La moitié des Français, selon un sondage Ifop publié par «Charlie Hebdo», désapprouvent le droit de critiquer les religions.
par Bernadette Sauvaget
publié le 5 février 2020 à 17h12

L'affaire Mila, du nom d'une lycéenne de 16 ans qui avait insulté l'islam dans une vidéo postée sur Instagram le 18 janvier, n'en finit pas de faire débat. Si elle déchire la classe politique, elle divise également la société française, selon un sondage Ifop publié mercredi par Charlie Hebdo. Réalisé auprès de 2 005 personnes, il montre une stricte égalité entre ceux qui soutiennent (50% donc) le droit de critiquer, «même de manière outrageante, une croyance, un symbole ou un dogme religieux», selon la formulation de la question, et ceux qui y sont défavorables.

En revanche, 58% des sondés estiment que les propos de la lycéenne, menacée de mort sur les réseaux sociaux, ne relèvent pas de la «provocation à la haine à l'égard d'un groupe de personnes, en raison de leur appartenance à une race ou à une religion déterminée». Fait étonnant, la proportion s'inverse chez les plus jeunes. Parmi les 18-24 ans, 57% perçoivent les déclarations de Mila comme étant racistes. «Les nouvelles générations sont davantage sensibles à la notion de tolérance et à l'acceptation de l'altérité», remarque l'historien et sociologue des religions, Philippe Portier.

À lire aussiMila, 16 ans, a-t-elle été exfiltrée de son lycée par la police après une vidéo anti-islam ?

Sans surprise, 85% des musulmans estiment également que les propos de Mila constituent une provocation à la haine. Pour ce qui est des autres religions, ce sont les protestants qui s'offusquent le plus des propos de Mila, 59% contre 45% chez les catholiques pratiquants. «Il faut voir là le poids pris par les évangéliques», analyse Philippe Portier, évoquant leur grande détermination à défendre leurs croyances.

Ce sondage a été réalisé quinze jours après la diffusion de vidéos sur les réseaux sociaux dans lesquelles la lycéenne tenait des propos très virulents contre le Coran et l'islam après avoir elle-même essuyé des insultes homophobes. Depuis, elle a été exfiltrée de son établissement scolaire après avoir reçu des milliers de messages de menaces. Dans un premier temps, le parquet de Vienne (Isère) avait ouvert une enquête pour incitation à la haine avant de la classer. Toutefois, les investigations se poursuivent pour tenter d'identifier certains auteurs des menaces.

En 1789, la Révolution française a supprimé le délit de blasphème et la loi de 1881 sur la presse a consacré la liberté d'expression. Depuis une trentaine d'années, à la suite notamment de la parution du livre de Salman Rushdie, les Versets sataniques, le débat a repris. Même si les libertés d'expression et de critique des religions ne sont pas, en France, strictement remises en cause, certains milieux croyants, parfois au nom des droits de l'homme, revendiquent le respect de leur sentiment religieux.

Telle qu'elle apparaît dans le sondage, la division de la société française sur la liberté de critiquer radicalement augure-t-elle de changements à venir ? Des débats sûrement… Pour le politologue Philippe Portier, émerge toutefois ce qu'il appelle «un pôle intermédiaire dans la société française qui promeut la civilité et qui, de ce fait, remet en cause le développement illimité de la liberté d'expression».

L’affaire Mila, elle, est complexe, mêlant plusieurs problématiques, à la fois l’expression de plus en plus violente sur les réseaux sociaux, la question de l’anonymat des comptes, l’homophobie et la montée de l’intolérance dans des milieux religieux radicaux.

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