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Etat d’urgence dans le droit commun : pourquoi le projet du gouvernement inquiète

Selon les informations du « Monde », le gouvernement prépare un projet de loi qui vise à placer dans le droit commun les mesures exceptionnelles permises par l’état d’urgence. L’idée suscite de multiples inquiétudes.

Par  et

Publié le 09 juin 2017 à 14h39, modifié le 09 juin 2017 à 15h14

Temps de Lecture 4 min.

Après les derniers attentats commis par l’organisation djihadiste Etat islamique en Grande-Bretagne, en Iran et en France, le gouvernement d’Edouard Philippe se prépare à aller très loin sur la question sécuritaire.

Selon un document que Le Monde a pu consulter, le gouvernement prépare un projet de loi « renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure », qui a été soumis au conseil de défense mercredi 7 juin. Ce texte dit que quasi toutes les mesures de l’état d’urgence pourraient se retrouver dans le droit commun. En clair, des mesures jusqu’ici temporaires et exceptionnelles, qui limitent les libertés des citoyens le temps de lutter contre un danger imminent, risqueraient de devenir légales en temps normal.

Qu’est-ce que l’état d’urgence ?

Proclamé en novembre 2015, à la suite des attentats de Paris, et prolongé cinq fois, jusqu’à juillet, l’état d’urgence donne à la police, sous le contrôle du juge administratif et du Conseil d’Etat, des pouvoirs qu’elle n’a pas en temps normal sans l’intervention du pouvoir judiciaire.

Dans le détail, grâce à l’état d’urgence, les préfets de département (représentant l’Etat au niveau local) peuvent :

  • interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures choisis ;
  • instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé, c’est-à-dire qu’on décide qui a le droit ou non de s’y rendre et comment ;
  • obliger la remise aux autorités d’armes acquises légalement ;
  • interdire le séjour dans tout ou partie d’un département à une personne dont on considère qu’elle entrave, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics.

Le ministre de l’intérieur, pour l’ensemble du territoire, et le préfet, dans le département, peuvent :

  • ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion ;
  • interdire à titre général ou particulier les réunions considérées comme de nature à provoquer ou à entretenir le désordre ;
  • placer une personne suspecte sous bracelet électronique.

Le décret déclarant ou les lois reconduisant l’état d’urgence donnent aussi :

  • aux préfets le pouvoir d’ordonner des perquisitions au domicile de suspects de jour comme de nuit ;
  • le droit aux tribunaux militaires de se saisir des crimes qui relèvent normalement de la cour d’assises du département ;
  • le droit de fouiller les véhicules sans instruction du procureur.

Ce régime d’exception a été créé en 1955 pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) et utilisé seulement six fois.

Que dit le projet de loi du gouvernement ?

L’esprit du projet de loi pourrait se résumer par la formule « tenir la justice à l’écart ». La plupart de ces outils, pour l’instant limités à un cadre exceptionnel, seraient mis définitivement à la disposition du ministère de l’intérieur et des préfets, qui pourraient donc prendre, en matière antiterroriste, une série de mesures sans intervention d’un juge, censé garantir les droits des citoyens :

Assignation à résidence. Le texte proposé par le gouvernement prévoit la possibilité de prononcer des assignations à résidence de trois mois renouvelables, dans une formulation qui reprend quasi-mot pour mot les termes de la loi sur l’état d’urgence.

Perquisition administrative. C’est là encore un copier-coller de l’état d’urgence. Ainsi l’exploitation des données numériques, des ordinateurs et autres téléphones portables qui auront été saisis serait soumise à l’autorisation du seul juge administratif, et non d’un juge judiciaire.

Contrôle des déplacements. Le ministère de l’intérieur pourra décider de placer toute personne suspecte sous bracelet électronique. Cette mesure avait été introduite dans la loi de l’état d’urgence à l’occasion de sa première prolongation, en décembre 2015, mais la Place Beauvau ne s’en était pas servie, de peur qu’elle ne soit pas conforme à la Constitution.

Fermeture d’un lieu de culte. Elle sera désormais grandement facilitée. Les préfets pourront la décider dès lors qu’ils estiment que « les propos qui y sont tenus, les idées ou les théories qui y sont diffusées ou les activités qui s’y déroulent, provoquent à la discrimination, à la haine, à la violence, à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger, ou font l’apologie de tels agissements ou de tels actes ».

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Là encore, le projet de loi ne requiert plus qu’un juge vérifie que les propos en question provoquent effectivement à la discrimination, la haine, la violence, etc.

Surveillance des communications. Ce projet comporte également une série de mesures concernant les services de renseignement, notamment la surveillance des communications hertziennes (cela comprend les échanges entre un téléphone portable et une antenne-relais). Une personne suspectée sera aussi dans l’obligation de donner à la police ses identifiants et mots de passe de tout compte Internet.

Répression. Le fait de ne pas obéir à ces obligations peut valoir à la personne concernée jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

Pourquoi ce projet inquiète

Jusqu’à présent, la plupart de ces mesures requéraient l’intervention ou le contrôle d’un magistrat, afin de protéger les citoyens contre d’éventuels abus policiers. Désormais, l’Etat, par l’entremise des préfets, pourrait décider seul de leur utilisation, et imposer des bracelets géolocalisables ou limiter la liberté de déplacement d’un citoyen sur de simples soupçons.

Au-delà, et même si le texte était limité au domaine de l’antiterrorisme, ce qui en limite la portée, de nombreux juristes ou acteurs politiques s’insurgent contre un texte qui va à l’encontre des principes de protection des libertés publiques qui ont été bâtis et consolidés après la seconde guerre mondiale.

Et l’utilité même du dispositif pose question : la commission de suivi de l’état d’urgence de l’Assemblée nationale a affirmé, à plusieurs reprises, que les mesures de cette situation d’exception ne servaient plus à grand-chose, la justice classique et les services de renseignement ayant pris le relais dans la lutte antiterroriste, avec leurs outils respectifs.

En revanche, un rapport d’Amnesty International du 31 mai 2017 dénonce l’usage de ces mesures par l’Etat pour réprimer de manière disproportionnée des manifestations.

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