Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Une cabane dans mon salon ou pourquoi les enfants confinés construisent-ils des cachettes ?

Un virus qui rôde, plus d’école, plus de copains avec qui jouer, des parents omniprésents… pour faire face à ce nouvel environnement, certains enfants se construisent des refuges intérieurs. Autant de miniconfinements apaisants.

Par 

Publié le 26 mars 2020 à 11h45

Temps de Lecture 4 min.

Une heure que Lou, 8 ans, s’affaire dans l’appartement. Elle a tiré son matelas jusque dans le couloir, calé un toit avec une couverture coincée entre les portes et avec des pinces à linge, installé un coin bibliothèque, un garde-manger et une guirlande lumineuse pour « voir dans le noir ». Le même soir, le premier du confinement, Gaspard, 10 ans, a piqué discrètement les chaises du bar, tiré des plaids du haut de son armoire jusqu’aux sièges, et calé les bouts avec des livres. C’est là qu’il a décidé de dormir depuis, entre les coussins et les paquets de gâteaux.

« Ma cabane est une source de vie, il peut y avoir des animaux qui attendent d’être emportés dans les bras des enfants, comme une licorne blessée, ou une sorcière qui attend d’être aimée. » Juliette, 8 ans

Les enfants sont nombreux à avoir eu le réflexe « cabane », dès le lundi 16 mars. Pour y passer la nuit ou simplement du temps pendant la journée. Pour Perrine Saada, psychologue clinicienne et psychothérapeute, « l’enfant crée ainsi une sorte de miniconfinement dans le confinement. Mais celui-ci est choisi, et c’est lui qui en définit les modalités : qui rentre dans la cabane, quand, à quoi on joue, de quoi on parle ».

Plus d’école, plus de cantoche, plus de copains avec qui jouer, plus de fêtes d’anniversaire le week-end… et des parents angoissés qui au mieux télétravaillent dans le salon, et au pire partent bosser à l’extérieur, là où le danger coronavirus guette. Face à cette perte de repères, de rythme, de cadre, les enfants ont besoin de combler le vide. « Et la construction d’une cabane y répond, car elle leur permet de se réapproprier le réel. » Tout en laissant la place à des jeux imaginaires.

Un imaginaire féerique, qui les entraîne loin du réel. « Ma cabane est une source de vie, raconte Juliette, 8 ans et déjà poétesse ; il peut y avoir un repas somptueux, des animaux qui attendent d’être emportés dans les bras des enfants, comme une licorne blessée, ou une sorcière qui attend d’être aimée. » Ou qui exprime différemment l’angoisse générée par l’épidémie et le confinement. Paul, 7 ans et demi, a ainsi transformé le canapé du salon en bunker antiatomique… ambiance guerre des étoiles. « C’est pour se protéger de l’attaque des clones… Et le petit trou que j’ai laissé, là, c’est pour qu’on puisse leur tirer dessus », explique-t-il en redisposant méticuleusement les coussins rigides pour créer des murs et un toit.

« C’est une démarche très saine, la construction d’une cabane ! Car l’enfant est pleinement actif, contrairement aux écrans qui le rendent passif », remarque Perrine Saada. Alors que tout le reste de la situation lui échappe, qu’il se sent impuissant, il reprend le pouvoir en construisant. « La cabane répond alors à ce besoin de liberté, de sentir, d’imaginer, d’être et d’avoir. » Il gagne en autonomie, puisque souvent, il veut la faire « seul », sa cabane. « Et le processus de construction est aussi important que le sentiment de satisfaction ressenti quand la cabane est finie », poursuit la psychologue clinicienne. Lou a tenu à ce que la photo de sa cabane soit postée « tout de suite » sur le Whatsapp familial. Puis en a fait un dessin afin de « garder un souvenir pour après ».

Des éponges émotionnelles

Dans la cabane façon « tente bédouine » de Sarah, 5 ans et demi, il y a des livres, des poupées, des bijoux, façon butin, en vrac, comme dans la grotte d’Ali Baba. Et elle exige une porte, en l’occurrence un rideau. Depuis le 16 mars, finalement, elle y joue peu, mais refuse absolument qu’on la détruise. Elias, 4 ans, dort depuis trois jours dans « une cabane cachette », sous son petit bureau.

Car évidemment, la cabane est aussi un refuge, un abri, qui devient « un espace sécurisant, intime, qui va apaiser psychologiquement l’enfant », poursuit Perrine Saada. Car même si on les protège autant qu’on peut, les enfants sont des éponges émotionnelles. Qui sentent l’inquiétude des parents, l’angoisse de l’incertitude, ne serait-ce que par une expression sur le visage, une attitude différente, des tensions dans la voix. « La cabane représente la sécurité affective qui lui manque alors qu’il ne sent pas son parent stable émotionnellement et qui le serait face à cette situation ? », souligne la psychologue clinicienne.

Tous les soirs, dans son lit devenu cabane, Chloé, 6 ans, s’entoure plus que jamais de coussins, de doudous, de grosses couettes, pour recréer un cocon. « D’un point de vue symbolique et psychanalytique, la cabane représente l’enveloppe originelle, maternelle, rassurante, contenante », analyse Perrine Saada. Comme si les cloisons de la cabane, aussi fragiles soient-elles, pouvaient protéger contre le virus et la maladie.

Faudra-t-il les laisser retourner les coussins du canapé, squatter les couloirs, vivre ou dormir sur des plaids poussiéreux à même le sol pendant plusieurs semaines ? « Si la cabane leur fait du bien, dans cette situation exceptionnelle, alors il faut les laisser se l’approprier… » Comme l’écrit le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, « un enfant heureux, c’est un enfant qui est à la fois sécurisé et dynamisé ». Doit-on, par conséquent, pousser les enfants qui n’en ont pas l’idée à se construire ce petit refuge ? « On peut leur proposer, si c’est un jeu qu’ils n’ont pas l’habitude de mettre en œuvre. Mais il faut être attentif à leur réponse », conseille Perrine Saada. Et surtout veiller à ce que les angoisses de confinement ne les poussent pas à un repli sur soi absolu.

Newsletter
« M Magazine »
Chaque dimanche, retrouvez le regard décalé de « M Le magazine du Monde » sur l’actualité.
S’inscrire

« En construisant des cabanes, l’enfant devient son propre prescripteur de bonheur », conclut la psychologue. Là où l’adulte lutte avec ses angoisses et essaye par tous les moyens, du jogging à la méditation, d’atteindre la fameuse pleine conscience, l’enfant y arrive souvent spontanément. D’ailleurs, Juliette, 8 ans, ne s’y est pas trompée : « La cabane, ce n’est pas pour les parents. Ils gâcheraient l’ambiance, ils sont trop sérieux. » Alors, à vous de jouer ?

Notre sélection d’articles sur le Covid-19

Retrouvez tous nos articles sur le SARS-CoV-2 et le Covid-19 dans notre rubrique

Sur l’épidémie :

Et aussi :

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.