La France en dette écologique ce samedi : "Notre mode de vie est insoutenable au regard des ressources planétaires"

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La France en dette écologique ce samedi : "Notre mode de vie est insoutenable au regard des ressources planétaires"

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Manifestation contre la pollution place de la Concorde, à Paris, le 31 mars 2018
Manifestation contre la pollution place de la Concorde, à Paris, le 31 mars 2018
© AFP - Jacques Demarthon

Entretien. Si le monde entier vivait comme les Français, l'Humanité aurait épuisé toutes ses ressources naturelles disponibles et renouvelables dès ce samedi ! Révélation d'un rapport du WWF France, réalisé avec l'ONG Global Footprint Network. Le directeur général de WWF France, Pascal Canfin, y revient.

A partir de ce samedi, la France vivra à crédit. Une dette écologique née en ce "jour du dépassement", de plus en plus médiatisé ces dernières années par l'organisme américain Global Footprint Network.
Habituellement, la date mise en avant est mondiale, début août pour 2017. Mais pour la première fois, le WWF France, qui communique aussi sur ces chiffres, insiste sur le jour du dépassement français. Ce samedi en 2018, quand, en 1961, époque des premières données jugées fiables, il s'agissait du 30 septembre.

Entretien avec Pascal Canfin, le directeur général de WWF France.

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Comment qualifieriez-vous la situation de la France aujourd'hui ?

Si toute l'Humanité vivait comme nous, nous aurions besoin de presque 3 Terre, 2,9 pour être précis. Or, nous n'avons qu'une seule planète et cela veut dire que notre mode de vie est insoutenable au regard des ressources planétaires qui sont nécessairement limitées. Il faut donc engager de manière absolument urgente une stratégie de désendettement écologique, comme il existe une stratégie de désendettement financière. Il y a certes le déficit financier, public notamment, mais il y a aussi le déficit écologique.

Mais jusqu'où peut-on reculer ? Nous sommes passés de fin septembre en 1961 à début mai maintenant. A partir de quand sommes-nous en danger ?

La zone de danger ne se mesure pas pays par pays car les ressources sont mondiales : le poisson circule, le CO2 se balade dans l'air. Donc, au niveau mondial, nous sommes déjà dans la zone de danger, de faillite. "Nous sommes dans un état de catastrophe écologique", nous disaient par exemple les 15 000 scientifiques qui ont lancé un appel il y a quelques mois en Une du Monde. D'après un chiffre du rapport planète vivante du WWF, 60% de la population animale sauvage a disparu depuis quarante ans. 60% depuis que je suis né ! Les signaux sont là. Avec aussi le dérèglement climatique : déjà un degré et le GIEC va très probablement dire bientôt qu'il est trop tard pour les 1,5° et que les scénarios climatiques sont 3 degrés, 4 degrés, voire même 5 degrés dans le pire des scénarios.

Cela devient déjà sérieux. D'après les dernières données, les îles du Pacifique disparaîtront dans les 20 ou 30 prochaines années. On pensait d'abord que ce serait vers la fin du siècle...
C'est en train d'arriver, sauf que personne n'est là pour siffler la fin de la récréation. Il n'y a pas de banquier qui nous dit "maintenant, c'est fini, vous êtes en situation de surendettement, je ferme le robinet." Par construction, la nature continue et les arbres continuent à pouvoir être coupés. Le problème est que la nature n'a pas de voix, pas de pouvoir de sanctions, ni d'institutions qui disent : la limite est là !

Comme personne ne fixe la limite, nous la dépassons allègrement, un peu comme des adolescents sans parents. La science alerte mais ne fixe pas. C'est notre responsabilité et nous sommes incapables de mettre cela en place, en tant qu'espèce. Et la date du dépassement risque de ne pas s'améliorer.
C'est une question morale, éthique et politique absolument fondamentale, peut-être la question du siècle.

Le jour du dépassement de la France comparé à ceux d'autres pays du monde
Le jour du dépassement de la France comparé à ceux d'autres pays du monde
© Visactu

Comment a évolué dans le temps pour la France ce jour du dépassement ?

Il est intéressant de constater que nous avons atteint un pic d'empreinte carbone dans les années 70. Et on voit que l'empreinte écologique des Français depuis quarante ans est à peu près stable pour tout ce qui est lié à l'alimentation, à la pêche et à l'artificialisation. En revanche, elle a un peu diminué sur l'empreinte carbone. Mais on ne peut pas dissocier cela de la biocapacité mondiale. Et cette biocapacité diminuant, l'empreinte qui était soutenable à un moment donné devient insoutenable.
En 1961, nous étions déjà au-delà, mais c'était le 30 septembre. Alors qu'aujourd'hui, c'est le 5 mai. Soit 4 mois, et nous avons en gros dégradé par deux notre empreinte écologique. Et quand on agrège notre dette française année après année, on découvre que l'équivalent de notre dette écologique accumulée est l'équivalent de trente trois ans de consommation de ressources de la planète.

Depuis 2015, année pourtant de la COP21 et de l'Accord de Paris, la tendance est encore plus mauvaise. Les Français n'intègrent rien, ne changent pas ?

Depuis trois ans, c'est essentiellement lié aux augmentations de CO2 dues aux transports. Cette augmentation est favorisée par la baisse des prix du pétrole et par le retour de la croissance économique. Aujourd'hui, certains facteurs positifs existent, comme notre modèle alimentaire qui commence à changer (moins de viande, davantage de produits locaux). Mais les éléments négatifs dominent, là paradoxalement où a été signé l'Accord de Paris. 

Evolution du jour du dépassement en France depuis 1961
Evolution du jour du dépassement en France depuis 1961
- Global Footprint Network

Même si l'Allemagne, que l'on considère souvent plus attentive à ces questions, apparaît presque à la même date que la France ?

Le 1er mai, c'est vrai. Mais l'Allemagne est un pays très paradoxal, car il y a d'un côté, sans doute, une conscience écologique plus forte, et en même temps beaucoup de charbon. On a à la fois beaucoup plus de renouvelables qu'en France, mais aussi beaucoup de charbon. A la fois des bâtiments beaucoup mieux isolés et beaucoup plus performants sur le plan environnemental, et en même temps des voitures plus grosses en moyenne et qui donc consomment davantage de CO2.   
On ne peut pas dire que l'Allemagne serait aujourd'hui un modèle à suivre en la matière.
Et de toutes façons, si l'on croise sur une carte mondiale les pays qui auraient à la fois une empreinte écologique inférieure à 1 planète (donc soutenable sur le plan environnemental) et ceux qui auraient un indicateur de développement humain, qui mesure notre bien-être économique et social, supérieur à 0,8 (donc considéré par l'ONU comme un pays satisfaisant), le résultat est un ensemble vide. Aucun pays au monde ne fait les deux !
Il n'y a pas de modèle à suivre et cela nous permet de mesurer l'ampleur du défi qui nous reste à accomplir. 

Que préconisez-vous désormais ?

La bonne nouvelle est que les solutions sont disponibles. Nous savons faire des maisons à énergie positive, de l'agriculture biologique qui émet moins de CO2, des voitures propres, comme des deux roues et des trottinettes électriques. Nous savons faire tout ce qui permettrait de diminuer de manière drastique notre empreinte sur la planète. Mais la réalité est que ces solutions - disponibles - sont aujourd'hui encore marginales. Le véhicule électrique représente 1,5% des parts de marché. Les maisons à énergie positive, ce ne sont que quelques pour-cents. Nous avons donc absolument besoin de nouvelles politiques publiques, qui marquent une rupture avec cette situation, pour enfin engager le chemin du désendettement écologique et de la responsabilité. Ce chemin ne nous coûtera pas plus cher puisque nous avons montré par exemple dans le domaine de l'alimentation qu'une famille de deux adultes et de deux enfants pouvait consommer jusqu'à 50% de produits bio, tout en diminuant ses émissions de CO2 de manière très significative et sans dépenser un euro de plus. Tout simplement par exemple en mangeant moins de viande qu'aujourd'hui, et en privilégiant une alimentation de saison et locale. Tout cela est possible.

© Visactu

Avec quel bilan à un an de gouvernement Macron et avec l'exercice de Nicolas Hulot ?

Il est encore trop tôt pour faire le bilan politique de Nicolas Hulot. On pourra quand quatre grandes échéances encore en cours seront passées. La loi sur l'agriculture et l'alimentation, qui est en cours de discussion, la loi sur la mobilité, qui sera présentée en juin, évidemment la "PPE", c'est-à-dire le décret qui mettra en oeuvre la diminution de la part du nucléaire et l'augmentation des renouvelables, et puis le plan biodiversité, qui sera annoncé en juillet. Ces quatre échéances passées correspondront à l'essentiel des leviers sur lesquels Nicolas Hulot pouvait jouer. On pourra donc dire en septembre s'il y a eu un avant et un après Hulot.

Et vos interlocuteurs prennent-ils en compte cet indicateur du jour du dépassement ? Au-delà du traitement médiatique annuel.

Le traitement médiatique est de plus en plus fort. Et c'est le premier objectif de cet indicateur : faire changer les mentalités, faire prendre conscience de la dette écologique. Cela parle à tout le monde et cela permet de se représenter des questions écologiques complexes de manière à peu près simple.

Mais pour les entreprises et les pouvoirs publics, cet indicateur n'est malheureusement pas une boussole. D'où l'édito de notre document au sujet du désendettement écologique, alors que jusqu'ici aucun gouvernement ne s'est fixé cet objectif.

© Visactu